La région Rhône-Alpes a accueilli depuis un siècle de nombreux musiciens étrangers,
voyageurs du bout du monde qui bien souvent n’ont emporté qu’un bien essentiel : leur instrument. Ces musiciens ont contribué à marquer culturellement, et en profondeur, le paysage social français. Ces populations sont venues en France pour des raisons diverses : fuites politiques, recherche d’une nouvelle vie, études universitaires, migrations familiales... La région Rhône-Alpes, avec ses bassins industriels importants, Lyon, Saint Etienne, Valence, Grenoble, ses grands chantiers de construction, ses mines ou ses instituts de recherche, a accueilli des gens venus d’Italie, d’Arménie, d’Espagne, de Pologne, de Grèce, d’Algérie, du Maroc, du Chili, d’Argentine, de Turquie, du Vietnam, du Sénégal : autant de musiciens, autant de musiques qui ont marqué notre siècle, qui se sont installées dans nos vies et nos cultures. Nos musiques, nos cuisines ou nos habitudes vestimentaires, nos langues, nos accents même en sont transformés.Ces musiques du siècle se sont parfois mêlées aux
propres traditions musicales des populations rurales, comme le montrent
les exemples des musiciens italiens en Savoie ou dans le Vercors, les
Polonais dans les mines des Cévennes ou à Saint Etienne. Mais le plus
souvent, ces traditions musicales se sont juxtaposées sans vraiment se
croiser, constituant un univers riche et bigarré musicalement, mais peu
uniforme.
Les traditions musicales étrangères ont, elles, beaucoup plus
facilement intégré les instruments et systèmes musicaux des musiques
populaires ou savantes occidentales, celle de la variété ou des musiques
classiques. Pour s’en convaincre, il faut écouter les pièces
interprétées ici par les joueuses de cithare. Thanh Nga TRAN, diplômée à
21 ans du Conservatoire de Saigon joue et enseigne le dàn tranh,
cithare à 16 cordes qu’elle emporta dans le voyage en avion qui devait
la conduire en France après la chute de Saigon. Elle est accompagnée à
la cithare à 21 cordes et à la guitare, dans une forme « chanson » qui
aboutit à un genre particulier, où l’influence américaine ou française
parait sensible, mais où le jeu de cithare parfaitement maîtrisé reste
le pilier de la composition.
La musique impressionniste de Kuo-Ying Chiang,
au Kòu Tcheng, grande cithare chinoise apparaît comme un retour
d’influence : l’écriture de Debussy serait à la fois utilisée comme une
citation, un clin d’il, ou comme la référence fondatrice d’un
orientalisme de l’intérieur dans cette « École chinoise » des
compositeurs post-révolutionnaires. Le syncrétisme se réalise sans doute
sous nos yeux, et semble être à l’oeuvre aujourd’hui même. De nouvelles
musiques font émergence, souvent assimilées à la "world music". Mais
au-delà d’un terme passe-partout et d’un effet passager, le mouvement
musical qui croise les musiques d’origine étrangère et les musiques
locales est un mouvement de fond, engagé depuis une cinquantaine
d’années peut-être, et dont on peut sérieusement envisager qu’il ira en
s’accroissant.
D’ailleurs bien des groupes et artistes étrangers font appel à des
musiciens français, venus du folk, du jazz, du trad ou du rock pour
intégrer leurs formations : ainsi Ilyès, jeune chanteur algérien né à
Batna, a étudié le piano et le violoncelle au conservatoire d’Alger. Son
style est inspiré du « chaoui » des montagnes des Aurès, auquel il
applique, dans une démarche musicale novatrice, des harmonisations
classiques occidentales. Il est accompagné ici par des instruments tels
le violoncelle ou la flûte traversière, et par des musiciens connus de
la scène chanson et folk lyonnaise. Al Andalus est un groupe de flamenco
muticulturel installé dans les quartiers ouvriers de Saint-Chamond, où
plusieurs nationalités croisent les Français originaires d’Andalousie.
Le groupe, réuni autour du guitariste Paco Fernandez, joue une musique
de fête, où la danse tient une place de choix, mais où les originaires
d’Espagne ne sont pas les seuls présents. Valérie Gnahoré a grandi sur
scène dans le village artistique multiculturel Ki-Yi Mbock d’Abidjan,
elle réalise avec Colin Laroche de Féline dans le duo franco-ivoirien
Ano Neko une admirable fusion de l’héritage bété, par le chant, la danse
et du jeu de guitare occidental de Colin, travaillé à la manière
africaine.
Les instruments électriques ou électroniques
tiennent une place importante dans les nouvelles musiques du monde.
Hayri Balkan de son expérience de chanteur dans l’orchestre de la
Radio-Télévision à Ankara a gardé un attachement pour la musique
classique, sanat müzi. Il a formé en France un orchestre de mariage
adapté à la demande des communautés turques attentives à l’actualité des
productions musicales urbaines en Turquie, dans les styles arabesk puis
pop, jouées sur l’elektro-saz, le synthétiseur ou org, la batterie et
la derbouka.
Cap-Vert Acoustic, comme la plupart des
groupes cap-verdiens utilise les intruments héritiers d’influences et de
syncrétismes antérieurs. L’ensemble interprète les compositions
d’illustres musiciens populaires sur les styles coladeiras, mornas, qui,
bien qu’inédits, se sont diffusés dans tout l’archipel et au-delà sur
les rives des émigrations lointaines.
Certains artistes semblent relever quant à eux d’une certaine orthodoxie musicale,
fidèles aux modèles et à une école de composition, d’interprétation. On
écoutera attentivement ici Murat Agac. Son jeu au saz témoigne de la
proximité des sources traditionnelles et de la richesse des traditions
instrumentales turques, dans l’exercice de soliste aussi bien que dans
les réponses alternées avec le chanteur. Mourad Agac a suivi les classes
du conservatoire d’Istanbul. Son jeu, très délié, s’inscrit dans le
renouveau initié par de grands joueurs contemporains comme Arif Sag.
Adel Salameh et Naziha Azzouz se glissent à la perfection dans le
modèle des grands interprètes arabes, de Munir Bachir à Oum Kalsoum.
Naziha à également travaillé avec l’Ensemble Joglaresa au Royaume-Uni
sur un répertoire méditerranéen médiéval. Adel a rapidement obtenu une
réputation d’interprète du ’oud’ parmi les plus brillants. Il s’est
produit en radio et télévisions dans le monde entier.
Le répertoire de Spitak
s’inspire de maîtres contemporains arméniens mais aussi des troubadours
Sayat Nova et Komitas. L’ensemble répète à Décines sous la direction de
grands solistes d’Erevan comme Gaguik Muradian (kementcha), présent sur
cet enregistrement, des orchestrations pour instruments traditionnels :
hautbois doudouk, percussion dehol, oud, kanon, santour, zourna et vièle
à archet kamentcha.
Ali Darban Sari et Ali Reza Pakravan sont deux jeunes musiciens iraniens. Ils ont reçu un enseignement musical classique très poussé à Téhéran, sur des instruments emblématiques comme le santur (psaltérion à baguettes), le daf et le zarb (percussions à peaux). Les deux amis sont très liés avec la communauté iranienne de la côte ouest des Etats-Unis (Los Angeles), destination finale de leur pérégrination. L’ensemble de musique traditionnelle du Cambodge réuni autour de M. Krum Thay est destiné aux fêtes et aux mariages, son activité essentielle est liée à la communauté d’origine, sans influence occidentale. L’orchestre est composé d’une cithare à cordes pincées, de vièles à archet captif, de cymbalum à plectre, tambour, cymbales aiguës et d’une chanteuse ou un chanteur.
Kodrat Kabiri, venu
d’Afghanistan chante dans la tradition des « ghazals », ces chansons
d’amour semi-classiques dont les version modernes ont été popularisées
par le cinéma, le disque et la radio en Inde et en Afghanistan.
L’harmonium permet un dialogue intéressant avec Edouard Prabou qui
l’accompagne aux tablas, percussionniste indien fameux dans le jazz et
les musiques expérimentales.
D’autres musiciens croisent leurs techniques de jeu avec d’autres esthétiques expérimentales.
Le musicien le plus radical dans cette démarche d’expérimentation est
sans doute Thinh N’Guyen Duyên, virtuose flûtiste vietnamien, dont toute
la musique est orientée vers la recherche et la création.
Artistes « intérimaires » plutôt qu’intermittents, ces artistes
dorment le jour et travaillent la nuit. Ils font les trois-huit,
certaines fois du fait de leurs déplacements sur les scènes
internationales, mais plus souvent dans les usines du couloir de la
chimie à Lyon, ou dans les industries métallurgiques, dans les chantiers
des grandes villes.
Chaque fin de semaine, du printemps à l’automne, ils courent jouer
dans les fêtes de mariage et sur des scènes extra-régionales, en France
et dans les pays limitrophes. Arrivés avec un important bagage musical
théorique, parfois doublé d’une forte expérience dans le domaine de la
pédagogie, de la scène, du théâtre musical, ou de la danse, ils ont
participé à de forts mouvements de renouveau des expressions musicales
traditionnelles de leur pays d’origine.
Le parachutage en France et l’installation brutale dans le nouvel environnement des unités de constructions bordant les périphériques des principaux axes routiers régionaux, le défaut de reconnaissance des compétences par les institutions musicales du pays d’accueil, ajoutées aux difficultés d’expression en langue française conduisent à des situations innovantes, tragiques et sublimes à la fois. Elles témoignent d’un isolement dramatique mais surtout d’une ouverture sur le monde et ses expressions musicales contemporaines, pour un résultat qui outrepasse toujours l’imagination. Ces musiciens ont témoigné de leur volonté de ne pas être à l’endroit où l’on espérait les trouver, dans des formes que l’on dit « figées » ou « métissées ». Ils sont partout où nos mots ne peuvent encore les décrire, et en cela ils sont sans doute inscrits dans une démarche artistique de qualité.
Eric Montbel, Valérie Pasturel
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