Ce travail autour des musiques de la haute vallée du Giffre a fait
l’objet d’une publication sur support cassette en 1995. À l’occasion de
la première édition du festival Hautes Vibrations (juillet 2008,
Annecy), commande a été faite par l’association Terres d’Empreintes au
Centre des Musiques Traditionnelles Rhône Alpes d’une réédition CD de
l’ouvrage.
Depuis ces dix dernières années, les techniques audio et les
approches de la
musique ont évolué et ont été renouvelées, le présent ouvrage ne pouvait
ignorer ces innovations en présentant une simple réédition de l’atlas
original. Nous avons cependant respecté l’esprit initial de ses
concepteurs ; au-delà de son intérêt purement historique, il s’est avéré
précurseur par son approche globale et transversale du fait musical.
Nous en avons donc gardé les grands principes, tout en les renouvelant
par l’intégration d’éléments nouveaux :
"Ce que donne à entendre la tradition populaire
n’est pas qu’une collection de jolies mélodies, c’est tout le reste, des
timbres, des formes, des pré-textes, où le son est d’abord l’affaire de
celui qui le joue."
Fort de cette assertion de Jean-François
Vrod*, nous avons cherché à mettre en valeur les hors-champs de l’enquête : les
moments d’hésitations où la mémoire se retourne sur elle-même et se cherche pour
laisser échapper quelques bribes recomposées pour l’occasion, les murmures et les
exclamations, les oublis et les jaillissements de la parole, la satisfaction de l’anecdote
bien dite, les accents de la langue, les silences… Tout ce qui singularise le discours
et témoigne de l’aléatoire d’une rencontre, tout ce qui montre qu’un itinéraire musical
est avant tout une expérience personnelle unique, jamais systématisée.
Un autre aspect important porte sur la relation de l’habitant, de l’artisan et du
musicien à son environnement. La musique s’inscrit et se renouvelle dans un territoire.
Le Haut-Giffre, pays de grandeur, d’intenses échanges mais aussi d’isolement, ne
pouvait qu’avoir une empreinte forte sur ses hommes et ses femmes.
La troisième dimension insiste sur ce qui fait musique. Les
musiciens ne sont pas toujours ceux que l’on désigne comme tels et les
producteurs de sons (êtres humains, animaux, machines en mouvement,
objets qu’on frotte, qu’on secoue ou qu’on fend) s’inscrivent dans le
propos musical pour peu qu’on se donne la peine de tendre l’oreille et
d’interpréter leurs signes. Gestes de métiers, sons de nature, objets
domestiques et outils sont autant de sources d’inspiration pour
l’oreille aux aguets. Les hommes et les femmes des sociétés rurales,
pour qui la musique était un bien rare et précieux, savaient le
reconnaître et le cultiver, ils sont à ce sujet d’un utile et
inestimable enseignement.
D’un point de vue plus « thématique », une attention particulière a
été portée sur les carnavals de la vallée, réjouissances populaires
intensément riches et hautes en couleurs, qui ont encore, malgré leur
récente disparition, beaucoup à nous apprendre sur l’art de la fête et
des transgressions sociales. Ils sont d’autant plus intéressants qu’ils
étaient le moment d’échanges musicaux soutenus et que la musique y
jouait alors
une fonction particulière. Plus largement, les pratiques culturelles des
habitants du Haut-Giffre rejoignent ici les traditions des carnavals
ancestraux de l’arc alpin, qui de la Suisse à la Slovénie, surprennent
encore aujourd’hui par leur force rituelle et par la puissance des
imaginaires déployés.`
Nous avons également voulu donner davantage de visibilité à des
instruments relativement peu rencontrés sur le terrain français : la
grelotyre, l’harmonica, le triangle, les cuillères… Autant de petits
instruments aux accents parfois « exotiques » qui offrent de nombreuses
possibilités rythmiques et qui, de par leur maniabilité et leur
légèreté, permettent d’innombrables usages. Un hommage particulier est
rendu aux
violoneux de la vallée, car le violon, instrument populaire par
excellence de cette partie des Alpes, n’a malheureusement bénéficié à ce
jour d’aucune édition significative.
Et nous retrouvons bien sûr orchestres champêtres, bandes de
carnaval et musiciens routiniers, qui nous emmènent de valses
tyroliennes et polka à 4 pas, en marches de carnavals et de conscrits,
vers les mémoires des habitants de la vallée du Giffre. Chacunes à leur
manière, ces formations témoignent de cette place si particulière tenue
par la musique dans la vie culturelle en Haut-Giffre.
Afin de réinsuffler du rythme au montage sonore et étayer ces
différents aspects, nous avons revisité certains témoignages, supprimé
quelques pistes pour en privilégier d’autres, ajouté quelques
collectages, et des interprétations plus récentes. Le livret a été
réécrit et repensé autour des extraits sonores du CD ; chaque extrait
musical est renseigné et contextualisé. Au-delà de l’aspect patrimonial,
puisse cette version revisitée ouvrir sur des nouvelles lectures de la
mémoire de ce pays et sur des explorations musicales libres, vivantes et
novatrices…
* Musicien s’inspirant des musiques et de l’imaginaire des violoneux d’Auvergne