Photo du CPA © J. Delmarty
En juin 2018, le CMTRA accueillait, dans les murs du Rize, la première rencontre nationale des Ethnopôles. Au nombre de onze aujourd’hui, les Ethnopôles labellisés par le ministère de la Culture constituent un réseau de structures originales, à l’intersection entre recherche et actions patrimoniales et culturelles. Ils renouvellent tous à leur manière et sur une thématique singulière les liens entre l’ethnologie et plus largement les sciences sociales d'une part, et les politiques culturelles d'autre part.
La quatrième édition de ces journées de travail collectif et d'échanges aura lieu les 29 et 30 septembre 2022. Cette année, c'est l'équipe du
Centre du patrimoine arménien (CPA) qui nous accueillera à Valence pour deux journées
d'échanges autour des attachements au(x) territoire(s).
Deux membres de l'équipe du CMTRA y participeront et interviendront aux côtés des représentants des 10 autres structures labellisées Ethnopôles sur le territoire national.
Le programme de la journée du 30 septembre, ouverte au public, sera bientôt consultable et téléchargeable sur le site du CPA.
Présentation de la journée « Être ici ? Être d’ici ? » - 30 septembre 2022
C’est la dimension sociale du rapport à une entité spatiale d’échelle variée (du micro-lieu à de vastes ensembles régionaux en passant par le quartier ou le village…), que nous interrogerons lors des rencontres de Valence, consacrées aux formes d’ancrage et aux modes d’identification pluriels aux territoires (du quotidien, du proche ou du lointain ailleurs).
Les ethnopôles, en leurs territoires divers et variés, ne sont-ils pas en mesure de se saisir empiriquement de l’attachement aux lieux?
À partir de l’exemple de la diaspora arménienne de/à Valence, il s’agirait notamment de mieux comprendre le « sentiment d’appartenance au pays d’origine » exprimé par diverses populations résidant (« enracinées » ou nouvellement installées) ou de passage dans le territoire considéré (Sencébé, 2004)… Les situations de mobilité, historiques et contemporaines, par les enjeux qu’elles activent – enjeux de légitimité territoriale – permettent en effet d’accéder aux mécanismes de construction des mémoires situées. D’un côté, l’expérience de l’exilé se vit comme une « déterritorialisation » de l’identité qui peut parfois prendre la forme d’un « arrachement ». Elle incarne le sentiment d’une séparation insurmontable entre deux lieux (Sayad, 1999), un lieu que l’on a quitté et qui retient les traces de son vécu et un lieu « vide », marqué par l’absence de mémoire. Etre exilé, c’est avoir une « mémoire qui ne sert à rien » écrivait Albert Camus (1947 : 72). De l’autre, l’installation de nouveaux arrivants met en lumière en effet, les processus d’appropriation et de transformation matérielle et symbolique d’un lieu (Halbwachs [1941] 2008 :128) qui peut alors devenir le support des discours d’appartenance territoriale. Ceux-ci renvoient au phénomène de la nostalgie (Chauliac, 2021). Si le retour est impossible, le pays natal peut dès lors devenir un refuge imaginaire et sensible, reconstruit par bribes sur le lieu habité, à travers les récits, la cuisine, la musique: le fado portugais (Dos Santos, 2010) les représentations du Mont Ararat dans les restaurants arméniens (Hovanessian, 1992), ou celles du Mont Viso dans l’imaginaire des immigrés piémontais en partance pour l’Ariège (Ughetto, 2023) etc.
Que signifie cet « attachement au pays », dans un contexte de globalisation où certaines élites économiques prônent le détachement généralisé ? Au sentiment d’appartenance au pays d’originede départ, mis à l’épreuve, s’ajoute, en situation migratoire, une relation, nouvelle, au pays d’accueil. Les communications pourraient explorer les combinaisons et produits de ce double attachement, qui articule un rapport au passé et au devenir d’un collectif jouant son identité, son intimité, ses territorialisations. Les situations « d’autochtonie » (Retière, Renahy) caractérisées par ce qui s’est longtemps appelé des « identités régionales » (voire municipales) seront évidemment abordées au cours de cette journée, toujours selon la problématique de l’attachement aux lieux et aux territoires, alors que ces territoires se recomposent socialement à la faveur de migrations de plus ou moins grande distance et ampleur. Cette nouvelle configuration place aussi les « autochtones » dans une double territorialisation, imaginée et nostalgique, réelle et en devenir. Les demandes sociales de patrimonialisation ne sont-elles pas traversées, voire motivées, par ces mises en tensions entre identités nostalgiques ( plutôt nostalgie ou mémoire nostalgique) et recompositions territoriales ? Les ethnopôles participent à la construction et à l’attachement au(x) territoire(s). A quelle échelle ? Selon quelles temporalités ? Et pour quelles populations ? Les discussions que nous vous proposons ont pour objectif de nous amener à questionner la façon dont les ethnopôles travaillent sur et avec un territoire.
INFOS PRATIQUES
Rencontres nationales des Ethnopôles
Journée du mardi 30 septembre ouverte au public.
Pour plus de renseignements contacter le CPA : +33 4 75 80 13 00
Lieu :
Centre du patrimoine arménien (CPA)
14 rue Louis Gallet, 26000 Valence
Bibliographie indicative
BOTEA,
B. et ROJON, S., 2015, « Ethnographies du changement et de l’attachement.
Terrains urbains », Parcours anthropologique.
BREVIGLIERI,
M., 2001, « L’étreinte de l’origine. Attachement, mémoire et nostalgie chez les
enfants d’immigrés maghrébins », Confluences Méditerranée, vol. n° 39, p.37-47.
CAMUS,
A., 1947, La Peste, Paris, Gallimard
CHAULIAC,
M. (à paraître) « Nostalgie », Handbuch Sozialwissenschaftliche Gedächtnisforschung,
Praktiken und Objekte des Vergangenheitsbezugs, sous la dir de Mathias Berek et
al., Springer Verlag
DETIENNE,
M., 2003, Comment être autochtone. Du pur Athénien au Français raciné. Paris,
Seuil, collection La librairie du XXIe siècle.
FESCHET
V., ISNART C. (dir.), 2013, « Pays perdus, pays imaginés », Ethnologie
française, vol. 43, n° 1,
GIULIANI,
M.-V., 2006, « Quitter sa maison. Les enjeux du déplacement », in
Serfaty-Garzon, P., Un chez-soi chez les autres, Montréal, Bayard Canada, p.
165-197.
HALBWACHS
M., 2008 [1941], La Topographie légendaire des Évangiles en Terre sainte. Étude
de mémoire collective, Paris, puf.
HOVANESSIAN, M., 1992, Le lien communautaire
: trois générations d'Arméniens. Paris, Armand Colin (collection L'ancien et le
nouveau).
LA
SOUDIERE M. de, 2019, Arpenter le paysage, Poètes, géographes et montagnards,
Paris, Anamosa.
MICOUD, A. (dir.), 1991, Des Hauts-Lieux. La Construction
Sociale de l'Exemplarité, CNRS ed., Paris.
RENAHY,
N., 2010, « Classes populaires et capital d’autochtonie. Genèses et usages
d’une notion », « Mobilité / autochtonie. Sur la dimension spatiale des
ressources sociales », Regards Sociologiques, n° 40, p. 9-26.
RETIERE,
J.-N., 2003, « Autour de l'autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social
populaire », Politix, vol. 16, n°63, pp. 121-143.
SAYAD, A. 2003, La Double absence. Des illusions de l'émigré
aux souffrances de l'immigré, Paris, Seuil
SENCEBE, Y., 2004, « Être ici, être
d’ici. Formes d’appartenance dans le Diois », Ethnologie Française, Vol. 34, n°
1, p.23-29.
STOCK,
M., 2006, « L’hypothèse de l’habiter poly-topique : pratiquer les lieux géographiques
dans les sociétés à individus mobiles », EspacesTemps.net
UGHETTO,
A., (sortie 2023), « Interdit aux chiens et aux Italiens », film d’animation,
Les films du tambour de soie- Gebeka : https://www.interditauxchiensetauxitaliens.com/index.php/language/fr/
WEIL,
S., 1949, L'Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l'être
humain, Gallimard, Paris.