Consacré aux musiciens maghrébins en
Rhône-Alpes est venue d’un constat : l’espace musical en milieu urbain
est fortement marqué aujourd’hui par les cultures et les musiques de
l’émigration. Les précédents numéros de l’Atlas Sonore rendaient compte
des musiques traditionnelles rurales et des paysages sonores propres aux
campagnes des départements de Rhône-Alpes : musiques et chansons de la
Bresse, des Baronnies ou de la Cévenne ardéchoise, par exemple.
L’enquête en milieu urbain, suite logique de notre inventaire
régional, fait apparaître des pratiques musicales elles aussi peu
visibles, mais pourtant riches et diversifiées, qu’il s’agisse de Lyon,
de Grenoble ou de Saint-Etienne : ainsi pour les communautés d’origine
espagnole (flamenco), arménienne ou portugaise la musique tient un rôle
social et identitaire très fort. Les musiciens du Maghreb sont nombreux
en Rhône-Alpes. Tunisiens, algériens ou marocains sont venus en France
pour des raisons diverses, économiques, politiques ou religieuses. Les
musiques qu’ils pratiquent sont très différenciées, révélatrices de
classes sociales, et de préoccupations diverses : une improvisation de
oud classique se situe bien loin d’une chanson de "raï", qui elle-même a
peu de choses en commun avec un prélude arabo-andalou ou une chanson
"engagée" kabyle.
Du moins est-ce ainsi que le ressentent les musiciens de ce disque. Pour l’auditeur occidental non spécialiste, celui qui marche dans les rues de Lyon, de Saint-Fons ou de Vénissieux, et qui perçoit au passage une musique de fête au fond d’un café, un poste de radio par une fenêtre ouverte, une cassette dans un magasin de la Guillotière, c’est un son générique qu’il identifie immédiatement mais sans analyse : la "musique arabe"est mal connue et peu comprise. Nous avons saisi la chance d’avoir sur place de formidables musiciens, pour les enregistrer et les présenter dans ce disque catalogue. _ Faire mieux connaître ces musiques, donner aux artistes l’occasion de dépasser leur cadre communautaire habituel, les porter à la connaissance et à l’appréciation d’un plus grand public, tels sont nos buts : montrer surtout qu’il s’agit de musiques de proximité, celle du voisin de palier ou d’immeuble, celle du parent d’élève, celle du commerçant du coin de la rue.
Certains de ces musiciens sont professionnels, d’autres
semi-professionnels. Tous ont une pratique de longue date, toujours
acquise au pays, et transportée en France, souvent avec des
modifications et évolutions dues au nouveau contexte. La perte de sens
s’accompagne toujours de la construction d’un sens nouveau,
l’acculturation suggère l’enculturation. En d’autres termes, la musique
présentée ici doit sans doute beaucoup aux nouveaux modes de vie
rencontrés par ces musiciens après quelques années passées en France.
Certains sont arrivés ici en 1957, ouvriers chez Brandt ou RVI à
Vénissieux, et ont peu bougé depuis, au seul rythme des retours annuels
dans la famille d’origine. D’autres sont des immigrés récents, algériens
le plus souvent.
Ce disque, assez représentatif des genres et de la vie musicale de
la région, est loin de réunir tous les musiciens maghrébins de Lyon ou
des environs. Bien d’autres artistes nous sont restés inconnus, ou n’ont
pas désiré s’associer à l’aventure. Mais les musiques du Maghreb, et
plus généralement de la Méditerranée, portent en elles la vigueur des
musiques du sud, où la percussion est reine, où la fête ne se conçoit
qu’en musique, où l’intériorité des improvisations donne au silence la
puissance d’une ligne mélodique. Les taqsims (improvisations
non-mesurées) sont nombreux dans ces enregistrements.
Par là bien sûr les musiques du Maghreb se font universelles, soeurs
du blues, parentes de toutes les musiques modales d’un bout à l’autre
du continent indo-européen, modernes et présentes dans toutes les
avancées des musiques nouvelles. Ces raisons-là suffiraient à elles
seules à justifier l’intérêt que nous devrons porter à ces pratiques
musicales communautaires. Mais il en est d’autres : la musique est un
élément fondamental du partage et de la tolérance.
Eric Montbel
Le travail initié par Jean Blanchard et Marc Loopuyt dans le cadre du Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes, et qui a consisté à inviter de grands maîtres marocains ou algériens à Saint-Fons et Villeurbanne, a constitué l’amorce du travail de recherche actuel. Enfin nos partenaires pour ce projet, Inter-Service Migrants, le FAS, la Direction de la Musique et de la Danse, et la Ville de Saint-Fons, ont permis la réalisation de l’Atlas Sonore Rhône-Alpes n°11, Musiciens du Maghreb à Lyon, Saint-Fons, Villeurbanne, Vénissieux, Saint-Etienne, Grenoble.
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