Concept du Loup
Entretien avec Jean-Pierre Simonnet
Absinthe fut l'un des groupes de musique traditionnelle française les plus importants des années 70. Installés entre Lyon, Romans et Grenoble, les membres d'Absinthe (Jean-Paul Autin, Patrick Mazellier, Jean-Pierre Simonnet) jouaient une musique imprégnée des collectages réalisés par le groupe : en Dauphiné surtout, auprès de violoneux et de chanteurs, puis en Auvergne. Absinthe, groupe de musique instrumentale essentiellement (violon, mandole, clarinette, cabrette) s'est dissout au début des années 80 sans enregistrer ni disque, ni CD.
Jean-Paul Autin est aujourd'hui l'un des piliers de l'ARFI, Patrick Mazellier poursuit son travail de recherche en Dauphiné et Vercors et joue dans Rural Café.
Jean-Pierre Simonnet est enseignant à l'école de musique de Villefontaine, et vient de former avec Laurence Dupré et Estelle Walter le groupe "Concept du Loup".
CMTRA : Jean- Pierre Simonnet, te voici revenu au bercail Trad' . Quel a été ton parcours depuis la dissolution du groupe mythique Absinthe, dans les années 70 ?
Jean-Pierre Simonet : J'ai rejoint le Claqu'Galoche, qui à l'époque était composé d'Anatole Benoit, des frères Foray et Jean-Luc Bresson. J'ai fait quelques concerts avec eux et un disque, et puis j'ai pris le grand virage que j'attendais depuis longtemps, tout comme mes collègues d'Absinthe d'ailleurs; j'ai joué dans diverses formations de jazz, du trio à l'octet.
Puis en 1986 j'ai rejoint "Musica-brass", créé par Jean Paul Autin, pour des spectacles de rue : l'Avant-Garde Républicaine, où je jouais de la basse à vent.
Puis j'ai rencontré un musicien important pour moi, le guitariste américain Gene Bertoncini : ancien architecte, sa façon de concevoir sa musique tissée comme un ensemble architectural et développée avec beaucoup d'interactions entre les musiciens m'a séduit.
CMTRA : Après ce grand voyage jazz de près de 20 ans, pourquoi reviens-tu aujourd'hui aux bourrées d'Auvergne et aux formules du 3/8 ?
J-P.S. : J'ai continué à écouter de la musique traditionnelle. J'ai toujours aimé les arrangements et les mélodies dans l'esprit de Planxty ou du Bothy Band. Et à l'école de musique de Villefontaine, ma collègue Laurence Dupré, violoniste, a rencontré des gens comme Jean-François Vrod ou Miqueu Montanaro. On avait envie de monter quelque chose autour de cette musique.
Moi j'ai eu l'occasion de faire pas mal de collectages dans le Massif Central et dans le Dauphiné. J'ai eu plutôt envie de partir d'une musique que je connaissais. On voulait une musique d'expression française, dans le cur de la musique traditionnelle, ou bien des compositions qui s'inspirent de ces musiques, non seulement pour retrouver sans doute des belles mélodies, mais retrouver aussi une façon de diffuser cette musique.
Je garde des souvenirs vraiment impérissables de concerts, de bals traditionnels, et de rencontres avec des musiciens: des moments festifs où la musique se partage pour une circonstance, autour d'un verre c'est quelque chose qu'on apprécie, et que je veux retrouver afin de diffuser notre musique de cette façon. Estelle Walter, autre formidable musicienne, que connaissait Laurence, joue de la contrebasse ; elle partage notre goût pour la musique trad, et elle a immédiatement adhéré au projet.
CMTRA : Concept du loup, c'est donc un trio à cordes ? Penses-tu intégrer les cornemuses dont tu joues aussi ?
J-P.S. : Pour l'instant la cabrette reste pour moi une inspiration pour mon jeu. J'essaye de retraduire les picotages, les coups de doigts sur la guitare portugaise ou sur le bouzouki : je suis d'abord un musicien de cordes. On trouve dans le répertoire du Concept du Loup des compositions et des airs traditionnels que nous arrangeons en utilisant également la polyphonie de manière rythmique, comme des "riffs" ou des phrases qui s'entrecroisent ou qui se superposent. Les alliages de timbres, cordes frottées, pincées, harmoniques, bruitages, apport des flûtes, etc.
Tout cet effort sur le son est aussi un axe important de notre travail. En fait chaque instrument a un rôle polyvalent en étant tour à tour mélodique, harmonique ou percussif.
CMTRA : Quelle place peut avoir l'improvisation, pour toi qui vient du jazz ?
J-P.S. : On voudrait justement éviter de faire référence au jazz, genre "on enlève le thème, on garde la grille !". Moi j'ai été marqué par Bouscatel dans "la Tyrolieno d'Auvergne" ! J'entends cet air : à chaque écoute le thème passe et chaque fois il est différent ; il y a quelque chose comme une spirale, ça s'en va , on n'est jamais au même endroit, mais on est toujours un peu plus loin du thème
On retrouve aussi l'improvisation dans les "regrets", mélodies au départ simples, et puis l'interprétation qu'il en fait sublime tout. On reste devant un monument, comme quand on est devant un soliste de jazz. Bouscatel s'exprime complètement dans le morceau qu'il joue.
Evidemment, on a d'autres influences puisqu'on a tous les trois un cursus jazz, mais on essaye d'établir des règles du jeu qui soient différentes : ça peut être une improvisation collective, ça peut être aussi une improvisation rythmique sur des petits modules, des choses comme ça. En fait c'est le morceau qui va le dire, ce n'est pas pré-établi au départ.
CMTRA : Projets, envies, concepts ?
J-P.S. : Dès le départ notre première envie c'est de pouvoir inviter des musiciens qui viendraient s'intégrer au groupe pour une circonstance, pour un concert : on a envie de partager cette musique, mais aussi pour la détourner, en faire autre chose. Pour nous, c'est quelque chose d'important pour rendre la musique vivante.
Pour nous, la place de l'improvisation sera toujours essentielle, plus que les arrangements peut-être. On pense déjà à la percussion, à la voix aussi . Nous ne chantons pas, mais nous voulons intégrer la voix, l'expression vocale mélodique, et continuer aussi à développer le jeu interactif dans les arrangements, les chorus.
CMTRA : Vous êtes tous enseignants de musique. Quelle stratégie menez-vous dans l'école de musique de Villefontaine par rapport aux musiques traditionnelles ?
J-P.S. : Il n'y a pas de "cours de musique traditionnelle" pour l'instant, parce qu'on a privilégié deux axes. D'abord, faire découvrir cette musique en faisant venir des musiciens qui pratiquent une musique traditionnelle. Ce qui est intéressant c'est qu'à Villefontaine, les animations en musique traditionnelle qu'on a pu faire se déroulent chaque fois dans la salle de formation musicale : donc pour les musiques de tradition orale c'est une bonne chose.
Parallèlement à ces rencontres, ces découvertes, on a fait venir Pierre Rebaud qui présentait la cornemuse et la vielle, Christian Oller qui présentait l'accordéon, les musiciens de "Cire tes souliers" pour l'accordéon diationique, violon, guitare, bouzouki, et la musique irlandaise. Quant à moi j'anime maintenant deux ateliers de pratique collective des musiques traditionnelles.
Le but du jeu n'est pas du tout de faire "découvrir" la musique traditionnelle ou de faire jouer la musique traditionnelle, mais c'est de faire jouer de la musique à partir de la musique traditionnelle. Par exemple dans cet ensemble j'ai une batterie, un synthé, un piano, un violon, une flûte traversière et une guitare électrique ! Avec les élèves nous essayons soit des arrangements que j'ai écrits, soit nous cherchons ensemble des airs sur lesquels ils accrochent.
Ce sont des gens qui suivent pour la plupart un cursus jazz ou un cursus classique et qui justement trouvent un complément à partir d'un répertoire de musique traditionnelle. Le répertoire est un point de départ, toujours par cette volonté de faire jouer une musique française, celle qui est peu enseignée dans les écoles de musique. On peut facilement y écouter du jazz, de la petite formation à la grande formation classique. Les musiques traditionnelles, c'est assez difficile dans nos structures d'enseignement.
CMTRA : Tout ça se traduit par une représentation publique ?
J-P.S. : Bien sûr, parce que je tiens à ce que les élèves jouent aussi dans ces contextes vivants, comme le bal en musique traditionnelle. C'est très important et donc on a fait un bal en compagnie de la Galopine, l'année passée, on a joué pour la fête de la musique aussi. Enfin, tout ce qui se rapporte aux circonstances locales. Et puis nous jouerons au bal du printemps du CMTRA avec cet ensemble d'élèves, c'est bien pour eux de sortir du cadre confiné de l'école.
CMTRA : Toi qui fut l'un des pionniers du renouveau des musiques traditionnelles dans les années 70, quel regard portes-tu aujourd'hui sur la vie de ces musiques en l'an 2000 ?
J-P.S. : C'est difficile parce que je suis resté pendant 15 ans sans aucun contact avec les musiques traditionnelles en dehors des enregistrements que je possède. Mais en revivant cela il y des choses que je retrouve et qui, vraiment, me plaisent : tous les côtés associatifs, toutes les rencontres, ces festivals , tout ce qui se passe après les concerts, le soir à la buvette, tout le côté "partage de la musique", (et qui n'est pas si facile dans le jazz puisqu'il faut monter sur scène). Cela peut être dans un coin de rue, dans une salle, on sort son instrument et on joue avec quelqu'un, directement. Cela n'a pas changé et je trouve ça très bien.
Propos recueillis par Eric Montbel
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Concept du Loup
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