De l'objet à l'instrument... l'imagination sans limite
Entretien avec Guy Thevenon
CMTRA : Guy Thevenon, tu proposes plusieurs formes d'expositions vivantes autour de l'objet, et de l'instrument dans des époques différentes. Nous nous sommes intéressés ici à l'expostion : "Musiques et instruments des premiers âges".
Peux-tu nous en parler ?
Guy Thévenon : Cette exposition s'intéresse aux objets sonores avant l'ère du métal, on y trouve des reconstitutions d'objets préhistoriques, on y trouve également des objets utilisés dans les sociétés dites "primitives" d'aujourd'hui, et puis de simples objets naturels qui se sont transformés en instruments parce qu'on les frappe ou on souffle dedans. D'autres, encore, sont un peu plus travaillés comme les instruments en terre cuite.
CMTRA : Quels ont été tes recherches et le temps consacré à réunir ou à fabriquer ces objets ?
G.T. : Depuis tout petit, je tape, je frotte sur tout ce que je peux trouver, j'écoute des musiques très différentes et j'en joue aussi. Mon attention s'est portée vers des musiques des sociétés primitives. J'étais passionné pour comprendre comment avec un objet très simple, on arrive à faire des sons, à essayer de moduler ces sons, avec des variations très fines, si bien que l'oreille apprend à percevoir des petites nuances que l'on a un petit peu perdu l'habitude de capter dans nos sociétés occidentales, parce que instruments et musique sont propres et codifiés.
Ensuite, ça a été la curiosité de la manipulation. C'est-à-dire, faire des gestes différents, travailler des matières différentes, apprendre la simplicité : souffler dans des tuyaux de bambou comme le font les Pygmées (cela a l'air facile lorsqu'on le fait entre nous, mais avec eux, on est un peu ridicule !). Alors, en collectionnant les instruments, en écoutant beaucoup de musique, petit à petit je suis arrivé à monter des expositions.
Comme j'en ai eu assez des expositions sous vitrine, j'ai décidé de présenter et de jouer des instruments dans des espaces sans barrière. Ainsi, dans un espace qui illustre soit l'origine, le pays, la contrée, la matière ou comme ici l'époque, je peux me déplacer au milieu de ces instruments et faire un spectacle vivant.
Ces objets excitent notre curiosité, donc il faut donner quelques explications, situer les instruments dans le temps et comprendre que beaucoup d'instruments sont toujours utilisés aujourd'hui quelque part sur notre planète. Il faut évidemment les jouer devant les gens, en précisant bien que je sais faire sonner ces instruments, mais que je ne sais pas en jouer dans la mesure où je ne connais pas les langages musicaux de ces musiques.
Mes sources de travail sont les quelques écrits existants sur les débuts de la musique. Très peu de gens ont travaillé sur ces questions, cela n'intéresse pas les ethnomusicologues en général. Il y a quand même deux ou trois écrits intéressants. Alors, je me suis tourné vers la documentation sonore, puisque je lis énormément de pochettes de disques de gens qui ont voyagé. Donc j'écoute, je reconstruis, parce que je n'ai pas forcément les moyens d'aller voir tout le monde sur la terre. J'ai aussi beaucoup lu sur la préhistoire pour avoir un oeil un peu différent.
Dans l'archéologie actuelle, on peut mieux connaître ceux que l'on appelle les "hommes préhistoriques". Jusqu'à présent, on les a toujours vu comme des gens qui avaient peur, qui avaient faim, qui s'appelaient les "hommes des cavernes", alors que leur habitat était souvent varié et mobile. En fait, ces hommes ont très bien vécu à certaines époques, ils avaient une telle emprise sur leur environnement qu'ils n'avaient plus besoin de fabriquer d'outils performants. Ils ont alors pu prendre leur temps, s'asseoir, discuter, fonder des familles, des clans, des communautés, en bref inventer l'humanité. Ce qui fait que ces gens étaient beaucoup plus fins que l'on pourrait le penser. D'où l'idée qui est quand même relativement nouvelle, qu'ils aient pu faire ce que l'on appelle de la musique. Une idée qui ne passait pas il y a trente ans.
Il y a beaucoup de choses actuelles qui proviennent de la préhistoire, et je considère que mise à part l'électricité, les phénomènes de production de sons proviennent de la préhistoire. Les gestes sont très anciens : secouements, pincement, les frappes, et puis tout ce qui est vent, les hautbois, clarinettes, tout cela se fait avec des petits morceaux de pailles... Pourquoi les hommes préhistoriques n'auraient pas utilisé tout cela ?
Ce qui est sûr, c'est que l'on ne peut pas trouver certaines matières parce qu'elles disparaissent avec le temps. C'est comme cela, par exemple, que l'on a étudié la taille du silex, mais personne ne s'est posé la question de savoir s'ils taillaient d'autres matières.
Aujourd'hui, on se dit que s'ils étaient capables de travailler la pierre, ils étaient capables de travailler le bois, mais bien sûr le bois à disparu ! Alors, je pense que des morceaux de paille ont aussi disparus. On ne peut pas savoir précisément quelle musique faisaient ces hommes, mais on a retrouvé des flûtes avec des trous, ce qui nous indique des notes assez précises sans connaître l'ordre de ces notes...
Ceci nous amène à une partie de mon travail : l'imagination. L'intérêt de passer au côté pratique, c'est essayer les matières, jouer, les faire parler, pour se rapprocher peut-être ainsi de ce que nous avons déjà vécu en d'autres temps.
CMTRA : Peut-on parler des utilités de ces objets ou de ces instruments qui ont un sens dans différentes sociétés dites "primitives", encore aujourd'hui ?
G.T. : Le travail qu'il y a à faire, comme le fait l'archéologie, c'est de comprendre les sociétés dites "primitives" d'aujourd'hui. À savoir, comment ils vivent, quels gestes ils font, quels outils ils utilisent et comment la société arrive à tourner. Je fais un peu pareil avec la musique en décryptant des rythmes, en essayant de comprendre ce qu'ils veulent mettre dans la musique et à quoi elle leur sert. Car elle n'est pas née simplement comme cela pour faire joli, cela a été une obligation : les hommes ont utilisé des cris d'animaux pour faire peur, pour éloigner un ennemi, ou au contraire, pour apaiser, pour s'appeler...
Je considère que la musique c'est le jonglage avec les sons, donc tout ce qui est son est musique : il suffit d'écouter le vent dans les branches, ceci est très subjectif, et je considère que c'est de la musique. Le monde est créé avec le son, et j'essaye de dire au gens, que ce langage-là, c'est ce que les mots n'arrivent pas à dire, et cela dure toujours.
Aujourd'hui, on appelle cela un art. Mais, je considère que le rapport entre le musicien, un instrument et la musique a toujours été le même, c'est à dire que quelqu'un va essayer de manipuler l'objet ou l'instrument, il va chanter, émettre des sons, et va faire ce que l'on appelle de la musique, c'est ce triangle qui régit tout.
CMTRA : Tu as classé cette exposition par époque, mais aussi par gestes. Peux-tu nous parler du rapport entre le geste et l'instrument, entre le geste et l'objet ?
G.T. : C'est une manière un peu plus pragmatique d'expliquer ce parcours en classant les instruments par gestes. Les gestes sont adaptés à la forme de l'instrument, à la matière, et c'est comme cela que les hommes vont arriver à trouver des systèmes qui marchent et d'autres qui ne marchent pas. Certains systèmes fonctionnent mais n'ont pas été travaillés, il y a donc des instruments qui sont restés primitifs, et puis d'autres systèmes se sont élaborés parce qu'ils se sont avérés très performants. Ce classement permet aussi d'expliquer le geste de l'animal, le fait de marcher, de se gratter, et d'expliquer les gestes utilitaires, piler les graines, frotter une meule, tailler du silex...
Ces gestes utilitaires forment des sons, puis il y a aussi les imitations des éléments naturels qui se font par association geste et matière, pour arriver de fil en aiguille à des instruments élaborés et à la création des notes, par exemple en tapant sur un morceau de bois, et en associant plusieurs morceaux de bois, on s'aperçoit qu'il y a des sons différents.
CMTRA : A part ces expositions vivantes, exploites-tu ces objets d'une autre manière ?
G.T. : Oui, on est en train de redécouvrir en Occident tous les pouvoirs de la thérapie musicale, ce que l'on appelle la magie des chamans, et le fait d'endormir les gens, de les calmer, de les apaiser. J'ai fait de la musicothérapie en utilisant des sons très simples, des musiques primitives. Le rendu sur le corps est énorme. En fait, je travaillais la relaxation dans un hôpital, mais mon travail était essentiellement d'essayer de faire parler, tout du moins d'essayer de faire sortir des sons de la bouche des psychotiques autistes. C'est-à-dire essayer, à travers leur corps ou les instruments, de leur faire émettre des sons pour petit à petit leur faire exprimer quelque chose par le langage : oui, non...
Et ce qui est extraordinaire c'est d'arriver à avoir une relation avec des gens extrêmement fermés sur eux-mêmes à travers les sons, à travers l'objet et le geste que l'on fait sur ce dernier. On a pu observer aussi chez des personnes qui sont atteintes très profondément qu'à l'écoute de certaines musiques, elles se mettent à pleurer d'émotion, alors qu'elles peuvent avoir une blessure très grave, et ne rien manifester.
CMTRA : As-tu d'autres formes d'expositions ?
G.T. : J'ai monté plusieurs expositions par thèmes : celle-ci nous parle des premiers âges, primitifs et préhistoriques, une deuxième raconte l'histoire de la musique depuis la préhistoire jusqu'à aujourd'hui à travers les matières : le minéral, les matières végétales... et le plastique. Une troisième reprend la réalisation et l'évolution d'un instrument de A à Z, par exemple, on commence à souffler dans une paille pour arriver au saxophone.
Autrement, je présente l'exposition d'instruments primitifs en milieu scolaire, et je propose également une formation aux personnes non musiciennes pour faire de la musique avec des enfants. Leur faire vivre, comment sans connaître une note de musique arriver à jouer avec des matériaux et des gestes simples, et à y trouver du plaisir.
J'ai réalisé aussi une exposition sur l'histoire des instruments méditerranéens, par exemple avec les anches méditerranéennes : souffler dans une paille jusqu'à avoir une clarinette égyptienne. Louis Soret, spécialiste de la Méditerranée est venu jouer des instruments pendant cette exposition.
Enfin, une autre forme d'exposition, celle des différentes matières sonores, une installation par matière dans un espace suffisamment grand, avec une véritable mise en espace et en lumière. Deux musiciens s'occupent de l'illustration sonore. Les gens peuvent suivre les démonstrations en étant assis. Alors, on passe toutes les matières, le bois, le métal qui peut aller de la timbale tibétaine au clocher d'église, à la caisse de voiture, pour terminer au plastique qui est la première matière avec laquelle les musiciens peuvent choisir la couleur de leur instrument.
À partir de ce moment-là, c'est du grand délire, on fait des tambours avec des bassines, des flûtes en PVC, et du PVC compressé, des trompes en tuyau d'arrosage... l'imagination n'a pas de limite !
Propos recueillis par Catherine Chantrenne
Expositions
- 05/01 au 30/01
SAINT-ETIENNE (42) Bibliothèque municipale,
Exposition musicale vivante sur le thème de la Méditérranée.
rens. 04 77 43 09 77
- 08/02 au 24/02
SAINT-QUENTIN-FALLAVIER (38)
Espace George Sand, exposition musicale vivante
"Musiques et Instruments des premiers âges".
rens. 04 74 95 56 01
- 20/03 au 25/03 -
CHAMBON-S/LIGNON (43)
Exposition musicale vivante "Du tronc d'arbre au laser".
Atelier musical le matin.
rens. 04 71 65 74 75
Contact :
Guy Thevenon
Tél : 04 77 41 10 04