Boutique Mon compte
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA
accueil > nos actions > lettres d'information > lettre d'information n°54. e... > lettres d'information > les musiciens indiens, génies de l'improvisa... Adhérer
menu
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA

Les musiciens indiens, génies de l'improvisation

Ethnomusicologue, enseignant au CNSMD de Lyon, Fabrice Contri nous raconte sa rencontre avec O.K. Subramaniam, virtuose indien du nâgasvaram, grand hautbois de l'Inde du Sud, et la gestation d'un nouveau CD consacré à cet instrument. Un souhait personnel en accord avec la tradition

Ce disque est le fruit d'un apprentissage car c'est d'abord pour jouer de la flûte que j'ai rencontré O.K. Subramaniam. L'étude d'un instrument - même si je n'ai jamais cherché à devenir "un interprète" au sens professionnel du terme - m'est toujours apparue comme une nécessité pour ressentir puis comprendre une musique. Si cette démarche est importante pour un musicologue, elle le semble encore davantage pour l'ethnomusicologue puisque, dans son cas, il s'agit de s'immiscer au sein d'une autre culture. En ce qui concerne l'Inde (du Sud), les structures de composition et d'improvisation, fort complexes, ne peuvent sans doute être comprises sans un contact direct avec la matière musicale.

J'ai donc d'abord connu O.K. Subramaniam en tant que flûtiste. Ce n'est qu'après plusieurs leçons que je l'ai entendu jouer de ce grand hautbois caractéristique de l'Inde du Sud, le nâgasvaram. Il s'agit de son véritable instrument, celui qu'il pratique en concert ou pour les différentes activités des temples. Son style, la formation qui l'accompagnait la première fois que je l'entendis (celle de la musique classique) m'ont tout de suite séduit. La relation d'étudiant, puis amicale, qui me liait à ce musicien m'a permis d'avoir un véritable rôle de conseiller artistique pour ce CD. Mon expérience de cette musique m'a en effet aidé dans le choix d'un programme (compositions, structures d'improvisation, râga et tâla) mais aussi d'un certain style qui visait à équilibrer les improvisations rythmiques virtuoses (ce que le musicien appelle "mathématiques vivantes") avec des passages plus "lyriques". J'avais en tête le shehnai, cet autre hautbois du Nord de l'Inde cette fois, plus connu en Occident. Le jeu de O.K.

Subramaniam n'était pas sans me rappeler celui de cet instrument notamment par la finesse de ses dynamiques - et en cela il différait sensiblement de celui des autres instrumentistes que j'avais entendus jusqu'alors. J'ai ensuite su, en parlant avec Subramaniam, que s'il ne jouait pas lui-même de cet instrument, il l'accompagnait souvent puisque son propre frère en est un maître réputé.

Je n'ai certes pas voulu modifier la tradition mais pousser O.K. Subramaniam vers une certaine direction qui constitue justement son originalité : une présentation progressive du râga, une place offerte au silence, une ornementation certes toujours complexe mais mesurée, l'importance de l'improvisation, des tempos plus lents que ceux, de plus en plus frénétiques, de nombre de musiciens actuels. Cela n'était pas "changer la tradition" mais, en un certain sens, y revenir. Ces différents traits stylistiques caractérisaient en effet, notamment, l'ancien style de la région de Tanjore, berceau de la musique carnatique1 "moderne" et de ses grands compositeurs. O.K. Subramaniam en connaît parfaitement les richesses et les secrets puisque, durant toutes ses années d'apprentissage, il a été le disciple d'un maître fameux de cette partie du Tamil Nadu.

Si le style de ce CD s'inscrit donc pleinement dans la tradition, la formation employée (celle de la musique classique) apparaît en revanche plus novatrice. L'association du nâgasvaram avec des instruments moins sonores, le violon et la tambûrâ (luth à quatre cordes jouant le bourdon), nécessite un contrôle extrêmement nuancé de la puissance et du timbre. Plus qu'un simple tour de force, cette manière d'utiliser l'instrument conduit le musicien à défier, peut-être davantage encore que dans le cadre de la musique de temple, des contingences techniques et organologiques particulièrement contraignantes. Le nâgaswaram est en effet réputé pour être extrêmement difficile, notamment sur le plan du contrôle du débit d'air et des doigtés. Ces impératifs, loin de nuire à l'expressivité musicale, apportent au contraire, dans ce CD, des couleurs et une profondeur nouvelles par la tension toute particulière qu'ils engendrent.

C'est donc en quelque sorte un souhait personnel que j'ai réalisé à travers ce disque tout en espérant que le plaisir en serait partagé.







La composition inspiratrice de l'improvisation

Cet enregistrement propose un éventail assez large des nombreuses catégories de composition et d'improvisation de la tradition carnatique. La structure actuelle des concerts en Inde du Sud tend, hélas, de plus en plus à limiter le répertoire au seul kriti (plage 2), forme reine de cette musique depuis le 19ème siècle. Aussi les six œuvres qui composent ce CD ont-elles été choisies, outre leurs qualités artistiques, pour témoigner de cette diversité.

Les musiciens indiens ne cessent de fasciner le monde entier pour leur extraordinaire génie de l'improvisation. La tradition carnatique peut ainsi parfois surprendre par l'importance qu'elle accorde aux compositions. Cependant il ne faudrait pas se méprendre : si les formes closes existent (c'est-à-dire les compositions au sens occidental du terme), la quintessence du génie musical réside surtout dans l'improvisation qui donne vie - sa vie véritable, essentielle - à l'œuvre léguée par le compositeur. Le terme composition et avec lui ceux de compositeur et d'interprète revêtent ici un sens beaucoup plus large qu'en Occident. Les compositeurs sont reconnus non seulement pour leur musique mais aussi pour leurs écrits poétiques (philosophiques) et, puisqu'ils ne cessent à travers leurs oeuvres de chanter leur dévotion (bhakti) à Dieu, ils apparaissent souvent comme de véritables saints et sont d'ailleurs vénérés comme tels. "Les œuvres de nos saints-compositeurs constituent autant de modèles pour les générations et les générations de musiciens passées et à venir. Leur perfection mélodique quant à l'art du râga et du tâla en fait des joyaux insurpassables, on peut ainsi se contenter de les jouer telles quelles. Cependant un véritable musicien - entendons ici l'interprète - saura aussi maîtriser la vie propre de la musique c'est-à-dire l'improvisation. L'improvisation ne signifie donc pas le contraire de la composition mais son utile compagne, celle par laquelle l'œuvre du passé accède à nouveau, pleinement, à la vie"2.

Ainsi, ai-je voulu avec O.K. Subramaniam, et cela malgré le choix d'une formation qui n'appartient pas à la musique de temple, mettre en valeur cette dimension dévotionnelle qui passe par l'exubérance du jeu improvisé. Nombre de CD actuels de musique carnatique, ceux qui se vendent le mieux en Inde du moins, consistent en une succession de compositions (kriti) jouées littéralement. L'improvisation disparaît ainsi progressivement et les oeuvres sonnent alors comme une succession de "chansons" assez monotone.

O.K. Subramaniam, musicien de temple, n'oublie pas la tradition religieuse du Sud de l'Inde. Si je lui ai demandé de laisser s'exprimer - au-delà de la virtuosité rythmique - un sentiment lyrique, personnel ; si j'ai choisi de l'enregistrer au sein d'une formation non conventionnelle, cela a été aussi pour que l'empreinte de son style, de ses convictions, participent pleinement à faire (re)vivre les oeuvres. Cela est aussi sans doute, qu'il y ait inspiration divine ou révélation d'un idéal esthétique, le gage de toute véritable interprétation.







L'avenir de cet enregistrement

Ce CD vient compléter un autre enregistrement, récemment édité2, de musique de temple cette fois qui restitue de manière merveilleuse l'ambiance de ces lieux sacrés de l'Inde du Sud. Ces deux ouvrages comblent ainsi un vide discographique en offrant une vision riche et assez complète de cet instrument jusqu'alors méconnu en dehors de l'Inde.

Une tournée des musiciens, avec O.K. Subramaniam, est programmée pour le printemps (mi-mars) 2005. Plusieurs concerts (au CNSMD3 de Lyon mais aussi à Paris, Genève...) nous permettront d'entendre tour à tour le nâgasvaram dans la formation de ce CD mais aussi dans celle de temple.

Ce passage des musiciens à Lyon sera également l'occasion d'organiser une master-class de percussion au CNSMD. J'ai travaillé pour ma part à plusieurs reprises en Inde pour une association française4 qui organise des stages d'initiation, de sensibilisation, à la culture du Sud de l'Inde et notamment à la musique. Avec le percussionniste Balakrishnan Kamath (joueur de mridangam et de tambourin, kanjîra) nous avons obtenu de merveilleux résultats notamment sur le tambourin. Les musiciens français ont été fascinés par la variété des frappes utilisées en Inde sur ce petit instrument et les échanges entre les deux cultures se sont montrés fort probants : certains d'entre eux (deux percussionnistes professionnels notamment, l'un spécialiste des musiques irlandaises et bretonnes, l'autre membre des célèbres percussions de Strasbourg) sont même montés sur scène pour dialoguer avec leurs professeurs indiens.

Ce projet de master-class s'inscrit bien dans la politique culturelle (multiculturelle) menée par Henry Fourès qui favorise grandement la diffusion des musiques traditionnelles au sein du CNSMD. Inciter puis assister à de telles expériences, où l'ethnomusicologue assume à mon avis l'un des ses rôles essentiels - celui d'interprète entre deux mondes - représente également l'une des principales raisons d'être de la classe d'ethnomusicologie au CNSMD ainsi que des enregistrements et des tournées. 1. Musique classique de l'Inde du Sud.

2. Inde du Sud - Temple de Chidambaram, Periya Melam, 1CD Ocora, Harmonia Mundi distribution, C560178.

3. Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse.

4. Bheeshma, Art et Culture. Fabrice Contri Contact

Fabrice Contri CNSMD 3 quai Chauveau 69009 Lyon

Tél. 04 72 19 26 26


logo CMTRA

46 cours du docteur Jean Damidot
69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75

mentions légales

46 cours du docteur Jean Damidot, 69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75