" Le premier de ces grands projets de
barrages, c’est Tignes. Tignes a l’honneur d’être connu du grand
public, aujourd’hui encore. Roselend a beau être bien plus audacieux,
sans doute plus beau, nettement plus puissant, Roselend n’est pas connu.
Monteynard l’est par les véliplanchistes grenoblois, le Mont-Cenis par
une aristocratie de pêcheurs à la ligne, mais Tignes est universellement
familier parce qu’on a noyé le village de Tignes ! Pour un peu, dans
l’imagerie collective, on se représenterait d’affreux fonctionnaires de
l’époque, sanguinaires ou insensibles, en train, soudain, de chasser
sous les þots des milliers de gens qui vivaient paisiblement en chantant
et en dansant au fond de leur vallée où gazouillait un ruisseau
mélodieux !
Tignes, ce n’était assurément pas cela du tout. Tignes, c’était
d’abord 230 millions de m3 stockés à 1800m d’altitude, et si on avait
demandé à l’époque par referendum aux français s’il fallait ou non se
résoudre à déplacer une centaine de foyers, noyer 100 hectares de riches
prairies et même noyer le cimetière et son église, pour stocker 230
millions de kWh, il n’y a aucun doute que que plus de 90% des français
auraient répondu oui sans hésitation.(...)
Les Tignard étaient dans leur genre à la fois encore au Moyen-Âge, vivant en circuit fermé, et en même temps aristocrates de la montagne, souvent colporteurs à travers les monts, puis commissionnaires à l’Hôtel Drouot, ou chasseurs-braconniers, voire, dit-on, contrebandiers. Ils résistèrent, même en sachant la cause sans espoir, et ce sont les CRS qui durent évacuer les derniers opposants À Tignes, on s’est résigné, mais on n’a pas admis. "
" On l’a vu, l’essentiel de l’activité agricole de
Tignes pouvait être maintenu. Mais il s’agissait de proÞter
intelligemment du bouleversement incontestable que le projet apportait
pour orienter le futur Tignes vers une activité nouvelle qui se
pratiquait déjà assez " artisanalement ", mais que certains disaient
pleine d’avenir : le ski. La station de Val d’Isère avait déjà un
développement qui paraîtrait aujourd’hui ridicule, mais qu’on estimait à
l’époque considérable.
Pourquoi ne pas créer à 2100 m d’altitude, dans un site grandiose,
une nouvelle station reliée à Val d’Isère ? On créerait ainsi des
emplois locaux qui compenseraient largement ceux perdus du fait de 100
ou 150 hectares de pâtures et de forêts noyés. L’EDF promit de céder
gratuitement à la commune tous les bâtiments construits pour le chantier
- en particulier ceux qui logeaint les cadres et les ingénieurs - pour
en faire des hôtels ou des hébergements divers. Ce qu’il advint. "
Pierre Gérard,
L’épopée hydroélectrique de l’électricité de France
46 cours du docteur Jean Damidot, 69100 Villeurbanne
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