"Notre musique nous fait du bien."
Entretien avec Massoud Roanaq, du groupe Shams
Massoud Roanaq : La musique afghane que nous présentons vient de très loin puisqu'il y a près de dix mille kilomètres de distance avec la France. Mais elle n'est pas si éloignée quand même, car elle a une coloration fortement influencée par la musique indienne.
Tout en ayant ses propres particularités, elle est aussi influencée par la musique iranienne, par la musique populaire afghane, c'est à dire par toutes les musiques ethniques. Nous présentons un répertoire semi-classique. Ce que nous appelons les "ghazals" est un mot arabe au départ, qui était une forme d'abord littéraire puisque c'était pour présenter les poèmes d'Amour. "Ghazal" signifie chant d'Amour, se lamenter d'Amour. Cette forme littéraire est passée dans la musique en utilisant les techniques de la musique classique ou de la musique savante indienne. Pour ce genre musical, nous avons choisit en même temps des poèmes qui ont un fort symbolisme de l'Amour.
Malgré tout, ce répertoire n'est pas vraiment reconnu en occident, on connaît mieux le "Quawali" qui est plus un genre musical religieux : il parle de Dieu, du Prophète, du mysticisme, des relations entre l'Homme et Dieu. Les limites en ce qui concerne le mysticisme et la divination du poème du ghazal n'est pas si éloigné que cela du "Quawali", dans le sens où, on peut interpréter l'Amour de diverses manières : il y a l'amour humain, il y a l'amour divin. Chacun y prend ce qu'il veut finalement. Il existe plusieurs ghazals : les ghazals en langue ourdoue de l'Inde, les ghazals en langue persane Outre ce répertoire, nous présentons des chansons populaires de l'Afghanistan.
CMTRA : En quelle langue chantez-vous ?
M.R. : L'Afghanistan a plusieurs langues officielles, les deux premières sont le persan et le pachtou, et nous utilisons les deux.
CMTRA : L'influence historique de l'Islam est claire, mais comment expliquez-vous l'influence culturelle et musicale de l'Inde ?
M.R. : Ces racines sont très profondes. L'Afghanistan est un carrefour historique d'Est en Ouest, et du Nord vers le Sud, et a subi des influences de part et d'autre : nous avons déjà été en contact avec la culture zoroastrienne, puis les Perses, et ensuite le bouddhisme. Enfin, l'invasion islamique est assez récente finalement, elle date de dix siècle à peu près. Ils ont apporté la civilisation musulmane, et même si maintenant l'Afghanistan est un pays musulman, il a gardé des valeurs profondes du bouddhisme et d'autres cultures.
CMTRA : Comment fait-on pour apprendre ces répertoires avec des influences de cultures, de religions, de politiques aussi nombreuses ?
M.R. : La première raison qui nous motive c'est la passion. C'est elle qui nous mène et nous incite à faire quelque chose. Et c'est selon nos affinités que nous avons choisi ce répertoire. Personnellement, je suis très intéressé par le soufisme : le ghazal est par excellence une forme de dévotion pour interpréter ce sentiment, faire passer ce message de l'islam, ce coeur de l'islam qu'est le soufisme. Je crois que c'est la forme la plus appropriée.
La deuxième raison, l'histoire l'a voulu ainsi : c'est à dire que plutôt d'avoir été influencés par la musique iranienne, nous l'avons été par la musique indienne. J'avais à peine trois ans, mon père me présentait cette musique. Je ne comprenais évidemment pas tout, et il y avait des choses qui me paraissaient absurdes, des techniques qui me semblaient ridicules, mais qui sont aujourd'hui fortement ancrées en moi.
Je crois que mes collègues ont la même sensation. Plus tard, nous avons appris cette musique sous l'incitation de mon père, qui vu mon intérêt et celui de mon frère pour la musique classique indienne, nous a envoyés chez un professeur de tablas, puisque c'est la base de toute la musique indienne. Il faut absolument connaître une grande partie des rythmes pour pouvoir évoluer dans cette musique.
Par la suite, l'Histoire s'est faite, l'Afghanistan a subi l'invasion soviétique, et nous avons été obligés de quitter notre pays pour venir en France. Là , nous avons simplement continué ce que l'on avait appris, en travaillant pour se perfectionner.
C'était non seulement un besoin intérieur, mais aussi le besoin de retrouver ses racines, et d'affirmer notre identité. Je parle pour notre groupe, même si aujourd'hui, tout ceci est arrivé à un tel point que notre musique nous fait du bien, et que nous ne pouvons plus nous en passer. C'est donc dans le registre de la passion que l'on trouve toutes les raisons de notre choix musical.
CMTRA : Les membres du groupe Shams vivent maintenant dans la région lyonnaise, vous jouer votre musique en France. Comment vivez-vous le fait de jouer cette musique très particulière et très éloignée culturellement de l'environnement français. Comment se passe la relation avec le public, quelles sont les "bases de compréhension, ou de non-compréhension" ? Car c'est toujours étonnant d'assister à un concert dont on ne comprend pas les paroles, si ce n'est le système musical. Comment le groupe perçoit-il cela ?
M.R. : Les premiers contacts que nous avons eu avec le public français, en grand nombre nous ont montré qu'il y avait bien sûr ce problème-là : faire partager cette musique qui n'a rien à voir avec la musique occidentale, parce que les paroles ne sont pas dans la même langue. Je pense que d'une part, dans la mentalité française et occidentale on attache de l'importance aux paroles, et d'autre part on est plus attiré par une musique que l'on connaît.
Plus tard, quand on a commencé à faire des concerts pour un public français, nous avons décidé de traduire les textes. Bien que toute traduction ampute quelque part le sens du texte, et d'autant plus, quand on parle de poésie persane, de poésie orientale, il est possible qu'il faille écrire des livres entiers pour traduire un seul vers
C'est une de nos difficultés. Mais, je pense que les gens qui sont un temps soit peu curieux et ouverts à d'autres cultures, sont tout à fait réceptifs tant au niveau de la poésie qu'au niveau de la musique.
Avant tout, je crois que pour intéresser les gens il faut être très rigoureux dans la qualité des choses que nous présentons. Notre défi avec ce que nous connaissons, est d'essayer de ressortir le meilleur de nous même, et de présenter de la qualité. La qualité musicale, c'est vaste, un musicien vous dira que ce n'est pas simplement de la musique et des notes, mais aussi et surtout des émotions.
Quand on parle de poésie, c'est aussi un sens mais cela doit venir du coeur, c'est la vie qu'il faut donner. Il faut se donner en entier, il faut présenter toutes nos valeurs qui ne sont pas forcément connues du public.