"Une musique qui s'adresse
au coeur et à l'âme."
Entretien avec Jean-Philippe Chassagne,
de l'ensemble Krites, Trio de musique crétoise.
Jean-Philippe Chassagne : Je suis allé en Crête pour la première fois en 1991. On s'est arrêtés dans un village situé à l'ouest de l'île, une région qu'on appelle la Chanée : le village de Cournas, le seul village de l'île où il y a un lac. Là-bas, on avait loué une maison. Un soir, on entend de la musique traditionnelle. On va voir : c'était Sifis, joueur de lyra et chanteur qui jouait pour le village, avec Scandridakis et Yannick Pavakis.
Quand j'ai rencontré Sifis, c'était la première fois que j'entendais de la musique traditionnelle crétoise. Ca a été pour moi une découverte extraordinaire. Je me suis dit qu'il fallait absolument que j'arrive à les rencontrer musicalement. En juillet 1996, je suis retourné en Crête, où là j'ai pu jouer avec Yannick et Sifis. On a fait le "boeuf" rituel, puis on a commencé à travailler ensemble et surtout sur leur répertoire. J'ai pu monter ce projet, pour qu'ils puissent venir en France.
CMTRA : Qu'y a-t-il de spécifique dans cette musique crétoise ?
J-P.C. : Je crois que c'est vraiment une musique qui s'adresse au coeur et à l'âme. C'est cela qui a "motivé" cette rencontre extraordinaire. Je connaissais un peu la musique grecque, mais quand j'ai écouté pour la première fois la musique crétoise, elle m'a fait vibrer. Les musiques traditionnelles sont liées, c'est à dire qu'elles ont toutes un fonds commun qui nous touche dans ce que l'on a de plus profond .
Les musiques que joue le trio crêtois sont essentiellement des musiques de danses , bien qu'il existe aussi des "mantinades", poèmes chantés qui parlent de la vie quotidienne, très anciens C'est un peu le blues crétois.
CMTRA : Tu es batteur de formation, as-tu trouvé des choses intéressantes d'un point de vue rythmique ?
J-P.C : C'est assez riche et intéressant : ils travaillent essentiellement sur des mesures à deux temps, mais il y a beaucoup de mesures à quatre et huit temps, et aussi des douze sur huit, et des mesures à cinq temps. Par rapport au jazz contemporain tel qu'on le pratique actuellement, qui utilise beaucoup les modes, la musique crêtoise est aussi complexe. Il est intéressant de voir quel parcours a pu avoir ce type de musicalité par rapport au jazz : le jazz nous arrive des États-Unis, puisqu'il a été importé en France et en Europe après la deuxième guerre mondiale. Il était parti d'Afrique pour aller aux États-Unis, et pour revenir en Europe.
Mais ensuite, si l'on observe la pratique du jazz contemporain actuel, on remarque qu' il y a beaucoup d'emprunts à la musique orientale, et que finalement tout se coupe et s'entrecoupe dans l'histoire, puisque le jazz est lui aussi déjà une musique traditionnelle dès son origine. Enfin j'étais en territoire connu car toute la musique crétoise utilise les modes de tradition grecque. En plus de la partie rythmique, je n'étais pas du tout dépaysé musicalement : l'originalité de tout ça tient au fait que mon parcours est plutôt jazz, et que c'est par le jazz modal que j'ai découvert les "couleurs" de la tradition ! Simplement comme si c'était un retour aux sources.
CMTRA : Tu as découvert les instruments tels le lauto (luth) et la lyra (vièle à archet). Cela ne rappelle-t-il pas certaines musiques tradiitonnelles du centre de la France ?
J-P.C. : Il y a des morceaux à trois temps qui m'ont fait penser à des musiques traditionnelles de France, notamment des bourrées limousines.
CMTRA : Connais-tu un peu les bourrées de Corrèze jouées au violon ?
J-P.C. : Oui, parce que si je suis né à Paris, toute ma famille est originaire de Corrèze, et quand j'étais petit, j'ai été amené à écouter ce type de répertoire.
CMTRA : De quel coin de la Corrèze es-tu ?
J-P.C. : D'Uzerche !
CMTRA : Tu sais qu'il y avait de très bon violoneux là-bas !
J-P.C. : Je connaissais un peu les violons, et surtout les standards à l'accordéon, Ségurel, tout ça.
En fait mon père a joué quand il était jeune. Dans les années 1940/50 quand il retournait dans sa famille l'été, il jouait du violon. Il était autodidacte et avait appris à jouer toutes les bourrées auvergnates et corréziennes, il faisait danser les cousins pendant les fêtes de moissons.
CMTRA : C'est une autre discussion qu'il faudra avoir ensemble! Revenons à ces musiciens crêtois : J'imagine que si tu fais venir ce groupe en France cette année, tu as d'autres projets avec eux ?
J-P.C. : Eh bien, grâce au CMTRA, Grégory Ramos m'a mis en relation avec le centre hellénique lyonnais. J'ai pu rencontrer Nocos Ligueiros, d'origine grecque à qui j'ai fait écouter la cassette. Il a été très enthousiasmé par la musique, à tel point qu'il a proposé que le Trio rejoue sur Lyon en novembre. La communauté grecque va organiser une semaine de festivités autour de la Grèce, nous jouerons donc dans ce cadre-là.
D'autre part j'ai envoyé un dossier à la maison de disques Al Sur. Michel Pajiras est vivement intéressé par la cassette et par le type de répertoire que l'on joue. J'espère réaliser un disque avec eux.
CMTRA : Jean-Philippe, peux-tu nous rappeler les dates de la venue de cet ensemble crétois en Rhône-Alpes, notamment à Nyons ?
J-P.C. : Les 22 et 23 juillet nous serons à Nyons : le 22 au soir, pour un concert en plein air, et le 23 pour une journée de stage de danses grecques et crétoises, avec à l'accompagnement musical le Trio Crétois. Le 17 juillet nous serons à Lyon pour les "Jeudis des Musiques du Monde", à la Croix-rousse, dans le 1er arrondissement. Et nous cherchons bien sûr d'autre contacts.