Hugo Cuvilliez, luthier et facteur d'instruments
de l'Irlande au cor des Alpes
Entretien avec Hugo Cuvilliez
CMTRA : Hugo Cuvilliez, tu es installé à ton compte depuis un an à Marsanne, dans la Drôme, en tant qu'artisan luthier. D'abord, quels instruments fabriques-tu ?
Hugo Cuvilliez : Je fais plusieurs choses. Ma spécialité, c'est la guitare classique de concert. Mais avant ça, j'ai fabriqué des instruments traditionnels irlandais. Et aujourd'hui, je fabrique aussi des cors des Alpes, avec un collègue. Bien sûr, je m'occupe aussi de réparations, ça me permet de rencontrer des musiciens.
Quelle a été ta formation ?
J'étais en fac de maths - physique quand j'ai découvert la lutherie en réparant dans ma chambre de résidence un oud iranien pour un copain. J'ai commencé à m'intéresser à la facture du violon grâce à un très beau livre : « l'Art de la lutherie », de Tolbecque. Et me voilà parti peu de temps après pour un stage de lutherie de trois mois à Galway, en Irlande, qui a en fait duré deux ans. Les pubs et les sessions irlandais, on s'attache ! Là-bas, j'ai appris à construire des instruments traditionnels irlandais : bouzouki, mandola, mandoline, bodhran, qui est le tambourin irlandais, j'ai fait aussi une harpe celtique Voilà, c'est à peu près tout pour les instruments traditionnels.
De retour en France, je m'installe à Briançon, je trouve un petit atelier, que j'ai trouvé très froid, très humide, pas très commode. J'ai alors eu la chance de rencontrer Alain Prouvé, un ébéniste de la vieille ville. Il m'a proposé un établi dans son atelier. On s'est mutuellement appris beaucoup de choses. Pendant trois ans, j'ai en fait travaillé tout seul, j'ai affiné la construction de mes guitares, j'ai trouvé mon type de barrage, ma « patte ». J'ai fait une dizaine de guitares qui ont atterri sous les doigts de musiciens confirmés, et ça m'a intimidé de les entendre en concert Et puis avec Alain est née une grande amitié, qui dure toujours, puisque c'est avec lui que je fabrique ces fameux cors des Alpes.
Comment a commencé ta fabrication des cors des Alpes ?
A Briançon, grâce à une réparation. Une personne nous a apporté un cor à réparer, on a découvert cet instrument, on a appris que la personne qui fabriquait la plupart des instruments des Briançonneurs, un groupe briançonnais assez important d'une quinzaine de membres, allait arrêter son activité. On s'est renseigné sur la fabrication, les techniques, et on s'est mis à étudier cet instrument. Ça nous a pris un sacré bout de temps, pour sortir le premier, mais bon, ça valait le coup.
Peux-tu nous expliquer un peu comment se fabrique un cor des Alpes, et ce que vous y avez ajouté, comme touche personnelle ?
C'est un cor d'harmonie, mais déroulé. Un cor, ça fait trois mètres quarante de long, en deux parties qui s'emboîtent. Ce n'est pas creusé, percé, comme on pourrait se l'imaginer, tous les morceaux sont taillés en deux parties symétriques, creusées d'abord, collées ensuite, et taillées à l'extérieur. La collerette, l'extrémité de l'instrument, est façonnée au tour Comme outils, on utilise le rabot, la plane, le wastringue, la gouge
Quels bois utilisez-vous ?
Les cors sont surtout fabriqués en épicéa pour la partie longue, il y a de l'érable et du poirier pour la collerette tournée. L'épicéa a une très grande importance et il est très difficile à trouver, il faut des très grands morceaux, secs, sans nuds, droits de fil, fins. C'est presque le même bois que j'utilise pour mes guitares. D'ailleurs, si quelqu'un en a de sec dans son grenier, qu'il me fasse signe !
D'où viennent ces bois, de la région de Briançon ?
On en trouve un petit peu dans la région de Briançon, mais surtout en Italie, et dans le Jura, dans la forêt du Rizou.
Que deviennent les cors que vous fabriquez ?
Ils vont dans la montagne ! Nous avons à peu près une quinzaine de cors à notre actif. Nous sommes un peu devenus les fournisseurs officiels des « Briançonneurs », la seule école de cor des Alpes, je crois. À l'heure où je vous parle, nous avons un cor qui va partir à Nice, une commande spéciale avec des rallonges pour pouvoir changer de tonalité. Normalement, un cor est en fa dièse, avec les rallonges, on pourra jouer en mi-bémol, fa, fa dièse. On a aussi un cor qui part aux États-Unis, dans un « College of Music », pour la classe de jazz !
Comment vous partagez-vous le travail ?
On fait tout à deux, la conception, la fabrication.
As-tu l'impression que c'est un instrument qui revient à la mode, ou est-ce qu'il y a toujours eu une demande, mais très spécialisée ?
C'est un instrument d'origine pastorale, que l'on trouve dans tout l'arc alpin, mais aussi en Roumanie. Il était utilisé par les bergers pour communiquer de vallée en vallée. On est très peu nombreux à en fabriquer. En France, on doit être trois ou quatre. C'est en Suisse que la tradition a été le plus conservée, jusqu'à en faire quasiment leur emblème national. Un nouvel engouement ? Peut-être, à en croire les trois ou quatre pubs télé montrant des cors des Alpes.
Aujourd'hui, il y a des groupes qui se créent ailleurs qu'en montagne, peut être par amour de la montagne, mais aussi pour la sonorité bien spéciale de l'instrument. Il y a des gens qui jouent du cor d'harmonie qui se mettent au cor des Alpes pour son timbre et sa souplesse de jeu. Le cor des Alpes, c'est rattaché à la nature, aux grands espaces, à l'air pur, et ça, c'est à la mode. Il y a aussi la petite marche qu'on fait avec le cor sur l'épaule pour aller sonner dans les hauteurs, ils aiment bien ça, les gens.
Un petit mot sur la décoration : les cors sont souvent décorés avec des motifs floraux, nous avons une bonne peintre qui s'occupe de ça. Pour les gens, le cor, c'est la montagne, les joueurs tiennent à les décorer avec des décors de fleurs de la montagne, parce qu'ils aiment la montagne, et que le cor des Alpes fait partie de la tradition de la montagne.
Actuellement, quels sont tes projets professionnels, concernant les autres instruments que tu fabriques ?
Mes derniers projets, c'est peut-être une formation auprès d'Eric Fouilhé, que j'ai rencontré à mon arrivée dans la Drôme. Il est facteur de pièces détachées et d'accessoires pour violons : chevilles, cordiers, mentonnières, et piques de violoncelle, de luxe. C'est un métier rare, en « voie de disparition ».
Cette formation m'intéresse beaucoup, parce qu'il s'agit d'apprendre ses techniques, de trouver de nouvelles façons de fabriquer, de faire des recherches sur les bois. Dernièrement, je me suis creusé la tête sur un accessoire de guitare (c'est d'abord Éric qui avait trouvé l'idée dans les années soixante-dix), qui permet de rajouter quatre cordes à vide à une guitare, ce qui permet d'élargir le répertoire de l'instrument.
On l'appelle « théorbure ». Ce que j'aime dans ce métier, c'est qu'on a jamais fini de chercher, il y a toujours un truc qui ne va pas, il y a toujours un truc qui pourrait être mieux, et des manières de faire à inventer.
Propos recueillis par M.C.
Contact
Hugo Cuvilliez
Av. de Bailliencour
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