Entretien avec
Evelyne Girardon
CMTRA : Evelyne bonjour. Il serait
presque indécent de faire les présentations
alors je m'en abstiens...
E.G. : Je crois qu'il faut au contraire me
présenter ! Si j'étais aussi repérée que
tu le penses, il me serait plus facile de
développer les activités de la Compagnie
Beline en Rhône-Alpes. Ce n'est
pas le cas, je travaille majoritairement
en dehors de ma région même si, après
toutes ces années, l'implantation de
nos activités artistiques se précise.
Je fais le métier de chanteuse,
musicienne, arrangeur des répertoires
chantés de la tradition populaire en
français, passionnée de chant et de
polyphonies vocales, avec beaucoup
d'enregistrements, de spectacles et
projets à mon actif. J'aime chanter et
faire chanter, j'aime surtout mélanger
ma voix à celle des autres.
Tes projets artistiques et musicaux
ont bien souvent nourri cette lettre
d'info. Une fois n'est pas coutume,
je te laisse la parole pour commencer...
Tu développes un
nouveau projet : « Laissez chanter
qui voudra ! » Qu'as-tu envie de
nous dire ?
C'est une étape nouvelle, une tentative,
un défi, une folie ?
C'est un projet qui réunit deux activités
fortes de la Compagnie Beline : la
création de spectacles chantés à
capella et le partage de la pratique
vocale collective.
Plusieurs expériences m'ont portée
doucement à cette envie : l'enregistrement
du double CD Répertoire, à
l'occasion duquel j'ai retrouvé le plaisir
de chanter avec des artistes qui
m'accompagnent de longue date, et le
projet « Voix en ville » mené en collaboration
avec la SMAC de Tulle et le
Centre des Musiques Traditionnelles
en Limousin.
Nous étions 20 chanteurs (professionnels
et amateurs) au milieu du public,
dans un dispositif éclaté, en proximité
directe. De nombreuses personnes présentes
m'ont fait part de leur frustration
: chanter elles aussi, voilà ce qui
aurait été parfait !
J'ai donc imaginé « Laissez chanter
qui voudra », en laissant la possibilité
à un public, de non seulement écouter
les chansons puisées dans le double
CD, mais aussi de participer vraiment
à une dizaine d'autres pièces. Ces
chansons sont là pour nous rappeler
que « chanter, c'est sûrement mieux
que de ne pas le faire... », Profitons en
!.
Mais il n'est pas question de faire
dans « l'animation vocale débridée »,
il s'agit de montrer que c'est un projet
artistique d'abord, dans lequel chacun
peut s'insérer et apprendre des sensations
nouvelles sur ce répertoire.
Un groupe de 50 choristes (les relais)
a déjà saisi l'occasion de participer très
directement au projet en venant
travailler à l'Opéra, toute une journée,
le 3 septembre dernier. Nous les
retrouverons régulièrement jusqu'aux
représentations.
Nous aurons donc un dispositif assez
dense, avec des polyphonies à apprécier
(dont deux arrangées spécialement
par Jean Blanchard), celles
venant du choeur du public (ceux que
nous aurons eus en amont) et les voix
du public présent. Un atelier chant
interactif est proposé à l'Amphithéâtre
de l'Opéra pour ceux qui voudraient
pratiquer quelques chansons, juste
avant les représentations, le 7
novembre à 18h30, ainsi que deux
Amphi midis les 1er et 3 novembre.
Que va-t-il vraiment se passer ? Je ne
saurais le dire avec précision ! J'attends
ce moment avec une grande
impatience ! Induire plusieurs formes
d'intimité vocale serait une réussite.
Ce que je peux ajouter c'est que nous
aurons aussi des invités différents
chaque soir : AWAL, « Embarquonsnous
» et Marianne Rossi (pour un
solo).
Quand tu m'as parlé de ce projet
il y a quelques mois, j'ai tout de
suite pensé dans ma tête « création
collective » au sens où chacun, peu
importe sa place et son rôle-
artiste, chanteur relais, spectateursemble
invité à s'emparer du matériel
musical que tu proposes et à le
faire vivre collectivement dans la
situation de concert. Pour toi, cette
idée de « création collective » : estce
« pas du tout », « un peu »,
« beaucoup », « à la folie » ?
S'emparer du répertoire me semble
être très juste pour éclairer la
démarche de ce projet. C'est une porte
d'entrée pour chacun, une occasion de
faire partie d'une lecture particulière
de ces textes et mélodies.
Car, bien sûr, au-delà du répertoire
même et de ses caractéristiques, c'est
le point de départ à la création artistique
qui est le plus intéressant.
Chaque voix apportant son « grain »
peut donner, chaque soir un son particulier.
C'est une ambition simple et
forte à la fois.
Évacuons les poncifs ! Créer du lien
vocal, c'est déjà beaucoup, je le sais
bien, moi qui passe le répertoire dans
toutes les positions du plaisir vocal !
Ce projet, n'est-ce pas, pour un
artiste au parcours aussi riche que
le tien, une façon de se décentrer
de son propre projet en disant avec
une certaine sagesse empreinte
d'humilité : « Finalement, l'art, et
par la même la place de l'artiste, ça
n'a aucun sens sans un public qui,
au-delà du « simple fait » de le
rencontrer, fait réellement partie
intégrante du projet. » N'est-ce pas
une façon de rejoindre et de considérer
le public comme acteur du
processus plus qu'un « simple
spectateur aux oreilles bien
tendues » ?
Ce répertoire nous oblige, au départ, à
l'humilité (ce serait très long à développer.)...
L'acte musical, sans public, me semble
un peu sec (même si je peux l'imaginer),
sauf que les musiques traditionnelles
sont directement issues de
sociétés dans lesquelles chacun a eu un
rôle dans la continuité de la musique et
de son évolution, à des degrés divers.
Plus généralement, le public est toujours
moteur, ceux qui font de la scène
le savent bien. Avec des conséquences
quelquefois assez subtiles sur la
conduite de la musique.
J'ai l'impression que l'idée de ce projet
a toujours été là en filigranne dans
tous les spectacles de la Compagnie
Beline qui ont précédé : joutes vocales,
choix de chansons à participation, présence
d'un choeur dans le public (déjà
!) lors de la création « Laissez faire et
laissez dire »...
Je ne pense pas me décentrer avec «
Laissez chanter qui voudra » mais plutôt
de trouver la bonne place, au bon
moment. J'en ai envie, voilà une
bonne raison ! Les autres chanteurs et
chanteuses sont près à tout, c'est l'essentiel.
Rejoindre le public par tous les
moyens, c'est une quête naturelle,
mais c'est aussi une vraie question.
L'impliquer différemment est un réel
engagement.
Cette démarche n'est pas nouvelle, je
la tente vraiment pour la première fois.
Dans un des ouvrages qu'il a
consacré à la création artistique,
Umberto Eco développe le concept
« d'oeuvre ouverte. » Pour lui, l'artiste
permet au public et à chacun
de prendre part à l'oeuvre et à sa
création selon différentes modalités
d'ouverture. Comment as-tu
imaginé « ton ouverture »,
concocté ses modalités d'entrée
« à la mode Girardon » pour
permettre au public d'investir
l'oeuvre ?
J'aime bien le mot « oeuvre » au sens
« ouvrage », avec cette idée de « fabriquer
» concrètement quelque chose
avec tous ceux qui sont présents dans
l'univers du spectacle, y compris le
public.
Sommes nous des artistes ? des
« ouvriers » ? des fabricants de
musique ? des faiseurs d'univers ?
Je me reconnais plus dans le fait
d'avoir les « mains dans le cambouis »
que dans le fait d'être le « créateur ».
Car je dois beaucoup à tous ceux et
celles que j'ai rencontrés et qui ont
accepté de mêler leurs voix à la
mienne, amateurs et professionnels
confondus. Avant même que les représentations
ne commencent, il y a « participation
» de tous en strates secrètes
sans doute, mais bien réelles.
Au-delà de tout ce que nous avons
imaginé pour insérer le public dans
notre histoire (ateliers, amphi-midis,
préparation des relais, choix du répertoire
à partager), il reste encore beaucoup
à faire et à inventer.
J'espère que « Laissez chanter qui
voudra » n'est que le commencement
d'un chemin qui s'enrichira par la
suite.
Je rêve de « commando vocal trad »
multiforme glissant dans tous les interstices
de la vie culturelle...
Finalement, ce projet ne s'inscrit-il
pas en étroite filiation de certains
usages (historiques) du milieu
trad' dans lequel au fil des rencontres
aussi fortuites que spontanées,
au cours des assauts de chants
ou des joutes de bistrots en tous
genres, on laisse toujours « chanter
qui veut »...
Je vais peu dans les bistrots aujourd'hui
car ma voix ne supporte plus la
fumée...
C'est bien sûr une filiation, mais pas
uniquement avec les « usages historiques
» du milieu « Trad » que tu
cites. D'ailleurs, je me demande souvent
quel est ce milieu trad, de quelle
matière est-il fait ? La réponse n'est
pas simple...Pour y répondre, il faudrait
plus d'éléments.
On chantait beaucoup dans les sociétés
rurales, avec une fonction précise
du répertoire. Les collectages existants
et à disposition le prouvent.
Ce répertoire, pour sa plus grande partie,
n'est plus interprété, mieux le
connaître serait dynamique pour nourrir
la spontanéité !
Quand même Evelyne, ce type de
projet, est-ce bien raisonnable...
N'est-ce pas un peu osé ? Un peu
aléatoire ? Selon le public, son
humeur du soir...
Je ne sais pas, j'ai juste envie de le
mener.
Après toutes ces années à produire des
concerts les plus précis possible, se
mettre un peu en danger me paraît
indispensable.
Je propose mes choix, ma vision de
ces chansons, cela plaira-t'il ?
Tu as su réunir autour de toi et de
ce projet des artistes talentueux
comme des amateurs désireux de se
transformer en « chanteurs relais. »
Comment se déroulent les répétitions
?
Les choses se passent très simplement,
chacun travaille de son côté et est
impatient de la rencontre prochaine.
Tout le monde est en attente et c'est
ce qui fait l'excitation. Michel Gablin
et moi-même, aidés par Mireille
Antoine, faisons le lien. Les premières
sensations enregistrées sont très positives,
vivement la suite ! Ce qui me
gratifie beaucoup, c'est la qualité de la
motivation de tous.
Evelyne, tu auras été bavarde
(comme d'habitude...) mais avant
d'en terminer, parlons un peu de
toi. Tu as derrière toi presque 30
ans de carrière artistique et presque
autant devant ! tu as vécu et pris
part à des dizaines de projets, de
collaborations en tous genres, enregistré
de nombreux albums, tu as
su structurer et faire reconnaître
ton activité d'artiste, de formatrice,
de directrice artistique, mener la
Cie Beline dans un projet de plus
en plus solide... En relisant rapidement
ton parcours au sein de ce
milieu, dis-nous un peu ce que tu
espères personnellement, ce que tu
souhaites aussi pour le milieu...
D'abord, il me faut faire preuve d'honnêteté
: je n'ai pas la sensation de bien
connaître ce milieu trad aujourd'hui.
Depuis de nombreuses années, ce n'est
pas ce milieu musical là qui accueille
majoritairement mon travail. Cela me
questionne d'ailleurs...
Comment en tracer les perspectives
dans ce cas ?
Même si j'en croise régulièrement les
« acteurs », je crois que nous ne
sommes pas encore suffisamment
lisibles dans nos spécificités pour
imposer notre esthétique, que ce soit
auprès des diffuseurs, des journalistes,
des décideurs mais aussi des politiques.
Certains Centres de Musique
Traditionnelle en région sont en
danger et vraiment, ça me désole.
S'affimer, être vigilants, surtout en ce
moment, ne pas se laisser happer,
conserver les couleurs et les
démarches... Rien que de très banal !
Je souhaite que les petits cailloux
semés sur le chemin depuis longtemps
par des personnalités courageuses, ne
soient pas laminés par de grosses
chapes de bétons sous prétexte de
refonder les constructions.
Pour le reste, les musiques traditionnelles,
malgré tout, ont fait essaimer de
magnifiques créations et actions.
Pourvu que ce soit encore possible
dans l'avenir !
Propos recueillis par J.S.E.
Contact :
Par la poste:
Compagnie Beline
20 cours Suchet - 69002 Lyon
Par téléphone : (00 33) 4 78 38 00 93
Mail : [evelyne.girardon@ciebeline.com->evelyne.girardon@ciebeline.com]
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