La réappropriation de la tradition, vecteur de pérennisation des traditions
musicales, peut se faire de mille et une manières, au gré de chaque individu :
même lorsque ces traditions musicales sont des expressions communautaires, les
chanteurs et musiciens n’en restent pas moins des individus au parcours unique.
Cette réappropriation passe notamment par certains éléments de différentes
natures :
Qui sont les acteurs de la transmission ?
Parmi les musiciens présentés dans le DVD, on peut distinguer trois types d’acteurs de
la transmission :
les musiciens professionnels, qui font de la musique leur activité principale et salariée
(Octavian Taranu, Louis Fernando Mc Catty, Jean-Antoine Puig, Fred Vachet),
les musiciens amateurs, exerçant leur passion de musicien en dehors de leur métier
principal (Rory Delany, Isidore Georgiadès, Hocine Messaoudi)
et les « porteurs de mémoire musicale », ces chanteurs et musiciens qui interprètent
des musiques qu’ils portent en eux, qui sont une pratique mémorielle liée à l’affect ;
lorsqu’ils les donnent à entendre, c’est généralement dans des contextes intimes, privés,
très rarement sur scène (les chanteurs de la communauté portugaise et la jeune Nino).
Ces trois niveaux d’implication dans la communication et la représentation de « sa »
musique aux autres sont mouvants. Quelque soit leur degré de professionnalisation, les
musiciens pratiquant lors d’occasions propres à une communauté (fêtes rituelles, fêtes
calendaires, commémorations…) sont appelés « musiciens communautaires ».
Le contexte d’exécution joue un grand rôle dans la manière dont la musique
va être interprétée et reçue : s’agit-il d’une fête communautaire (la fête estivale de
l’association portugaise : ceux qui le souhaitent s’associent au groupe des chanteurs)
ou d’un cadre très privé, intime (certains répertoires ne se pratiquent que dans un cercle
d’initiés, par exemple) ?
Le moment musical est-il lié à une fonction particulière : faire danser (cours de flamenco,
fête communautaire arménienne), accompagner un rite (un mariage, un enterrement…)
; est-ce au contraire une mise en scène, un spectacle ?
La proximité spatiale et temporelle avec la culture d’origine est également un vecteur
d’interprétation particulier : être en situation d’exil peut amener le musicien à reconsidérer
sa culture d’origine, à se la réapproprier. Ce fut le cas pour Isidore Georgiadès : c’est une
fois en France qu’il a vraiment saisi le sens et la profondeur des musiques traditionnelles
grecques ; son interprétation du rembetiko s’en est ensuite trouvée modifiée. Le « retour
aux sources » de Rory Delany lui permet à la fois de se replonger dans l’atmosphère des
pubs enfumés irlandais, ainsi que de retrouver des anciens morceaux auprès de vieux
musiciens – ce qui ne l’empêche pas, dans le même temps, de jouer des morceaux de
sa composition.
Les modes de transmission par lesquels les musiciens s’approprient les
musiques vont influer sur leur manière de les exécuter : ont-ils appris par une écriture
solfégique ou par une transmission orale (c’est le cas en grande majorité) ? L’oralité
associe tout un panel d’expressions (faciales, vocales, sensitives…) que ne transmet pas
l’écriture. Inversement, l’écriture permet, après plusieurs années, de retrouver au fond
d’un placard un morceau oublié par la mémoire.
Lorsque la transmission se fait dans un cadre familial, intime, des éléments de l’ordre de
l’affect et des sentiments sont également liés à l’apprentissage : Octavian Taranu explique
comment « les Roumains naissent et meurent avec la musique » ; Louis Fernando
Mc Catty raconte comment il a commencé la musique avec une boite de conserve,
en suivant les bandas dans la rue. Cet apprentissage est différent, intellectuellement et
affectivement, d’un apprentissage collégial, professoral.
La transmission est également liée au contact avec des éléments et/ou des personnes
ressources : professeurs, musiciens confirmés, vinyles, concerts… L’absence de
transmetteurs forts due à la rupture avec le contexte fonctionnel de la musique peut
amener certains musiciens et danseurs à réinventer une partie de la tradition, comme
ce fut le cas dans les années 1950 lorsque des passionnés décidèrent de remettre le fest-noz
au goût du jour. Cette fête collective chantée et dansée, équivalent breton des baleti du
sud ou des bals folks (tels ceux organisés par la famille Lannelongue), marquait jusque
dans les années 1930 les moments forts de la communauté paysanne bretonne. Autrefois
expression des communautés villageoises quasi autarciques, elle est devenue un mode
de divertissement d’une population plus ou moins anonyme, autant rurale qu’urbaine, au
son électrifié de nouveaux instruments (violon, guitare, batterie…).
Le rapport à la tradition musicale
On peut vouloir être le
plus fidèle possible à une tradition (au point parfois de la dénaturer,
comme c’est le cas
parfois dans certains usages du folklore), la reproduire sans se
questionner, ou au contraire
en recherchant une manière de l’actualiser. C’est la conscience qu’ont
les musiciens de
leur tradition et de leur pratique, définie par le rapport à la
« musique-source »* , qui va
conditionner leur refus ou leur implication dans une démarche créative,
de métissage, etc.
Le degré de conscientisation de la démarche du musicien va donner une
couleur
particulière à sa musique. Alors que certains sont très conscients des
règles existantes - et à respecter -, et développent un discours sur la
musique, d’autres musiciens vont
au contraire chanter et jouer sans se soucier de nommer ce qu’ils font,
ni du respect de
la tradition ; c’est qu’en général ils ont parfaitement intégré cette
tradition et n’ont pas
besoin d’en parler pour la respecter.
Enfin, la musique peut être utilisée comme vecteur d’information, de
revendication,
de reconnaissance culturelle, politique, sociale… Ainsi, à la fois
musicien, chanteur et
poète, le porte-parole n’exprime pas seulement ses expériences
personnelles mais plutôt
celles de la communauté : il est là, chantant, écouté et encouragé, car
la société a besoin
de lui, de sa poésie. Les « pigeons voyageurs » algériens décrits par
Hocine Messaoudi,
les griots d’Afrique et autres staroste* roumains sont les porteurs de
nouvelles, les
raconteurs d’Histoire contemporaine, les médiateurs rituels : ils
accompagnent la société,
porte-paroles de sa conscience collective.
* Si certains musiciens s’inspirent de musiques collectées à différentes périodes (Isidore Georgiadès), d’autres
effectuent eux-mêmes ces collectages (Octavian Taranu, Rory Delany).
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