LES INDUSTRIES DE LA SOIE
Filatures et moulinages
L’époque florissante de l’industrie de la soie vit la construction
de quantité d’usines immédiatement reconnaissables par leur aspect
extérieur. Dans le sud surtout furent bâties les filatures, repérables à
leur haute cheminée et leurs larges fenêtres, car le travail qui s’y
effectuait nécessitait un éclairage maximum. Plus de quatre cents
moulinages (bâtiments allongés flanqués d’un canal et éclairés
d’étroites fenêtres régulières) furent construits au fond des vallées,
le long des cours d’eau dont ils utilisaient la force motrice.
La filature
La filature est l’opération qui consiste, après l’étouffage de la
chrysalide, à dévider le fil de soie du cocon et à le consolider en
associant plusieurs fils, pour constituer des flottes de soie grège qui
iront ensuite au moulinage. Au début, les fileuses se louaient en
passant tour à tour dans les fermes ; puis la filature artisanale s’est
vite organisée en petites unités industrielles.
La crise de la filature eut une cause essentielle : le manque de
matière première indigène, sériciculture et filature étant solidaires.
1815-25 débuts de la filature industrielle
1870-85 la filature familiale disparaît
1860 56 filatures en Ardèche
1913 33 filatures
1917 19 filatures
Le moulinage
Le moulinage comprend différentes opérations :
- le trempage de la soie dans un liquide légèrement huileux pour
l’assouplir.
- le dévidage qui consiste à enrouler le fil d’une flotte placée sur
une tavelle (sorte de roue légère en bois) sur une bobine horizontale
appelée roquet.
le doublage qui consiste à assembler sur une même bobine les fils de deux roquets différents.
le
moulinage qui consiste à imprimer à un ou plusieurs fils un certain
nombre de torsions par mètre pour consolider le fil et permettre la
fabrication ultérieure de différents tissus.
Vers 1720 l’impulsion fut donnée par des marchands et fabricants lyonnais pour développer des moulinages en Vivarais.
1855 marque l’apogée de la sériciculture en Ardèche. La grande
médaille d’honneur est attribuée au département de l’Ardèche comme
"centre principal de la production perfectionnée de soie grèges et
ouvrées dans le Midi de la France". (Reynier)
1888 : 264 moulinages en Ardèche pour 708 en France.
1860-1920 diminution du nombre des moulinages dans les régions
d’Aubenas, Privas, Chomérac, Viviers, La Voulte... et augmentation dans
les zones plus défavorisées (Cévennes, vallées de la Dunière et de
l’Eyrieux).
Actuellement 50% du moulinage français se concentre en Ardèche mais seule une infime partie utilise encore de la soie naturelle.
Si la filature et le moulinage sont des opérations
industrielles complémentaires et non concurrentes, le discours sur l’une
ou l’autre, loin d’être neutre, exprime une sorte de rivalité qui tient
aux conditions et aux exigences des travaux respectifs.
Au milieu du XIXème siècle, le Sud surtout avec la région de Joyeuse
et des Vans se prévalait de l’implantation de nombreuses filatures.
"Tous les capitalistes de l’époque investissaient dans les filatures.
C’était une mine d’or." Mais la supériorité de la filature sur le
moulinage ne tient pas qu’à ces souvenirs de réussite : les filatures
pouvaient s’installer n’importe où ; elles ne dépendaient pas de la
force motrice des cours d’eau comme le moulinage ; il leur fallait
surtout de la chaleur et donc la possibilité d’acheminer le charbon (en
l’occurence du Gard) dont la combustion servirait à tuer les chrysalides
lors du fournoyage, chauffer les bassines où se dévidaient les cocons
et actionner les machines. La chaleur et la lumière étaient deux
qualités essentielles et indispensables à la filature. Sans doute
était-on fier des filatures car elles étaient davantage une industrie du
pays : leur matière première (le cocon) dépendait de la production
locale alors que les moulinages ne traitaient qu’en partie la soie grège
ardéchoise.
Les chiffrent nous indiquent l’importance du moulinage,
qui est vraiment la spécialité ardéchoise. Cette prédilection s’explique
surtout par la concordance de trois facteurs :
la situation du Vivarais à mi-chemin entre le midi séricicole et l’industrie lyonnaise
l’abondance des cours d’eau pour la force motrice
l’abondance d’une main-d’oeuvre peu exigeante
Les ouvrières des moulinages se plaisent souvent à énumérer les
diverses tâches qui leurs étaient confiées (et la promotion qui les
accompagnait) au cours de leur travail, de la demi-banque de tavelles et
de roquets dont on leur confiait la surveillance, souvent sans paie au
départ, jusqu’aux moulins qui étaient le point d’aboutissement de cette
longue chaîne.
Voici ce qu’écrivait Elie Reynier des conditions de travail des ouvrières en filatures et moulinages vers 1875.
"La journée de travail a eu longtemps une durée en quelque sorte illimitée.
Dans la filature, elle va "du jour au jour", c’est à dire de l’aube à
la nuit, très courte en hiver, longue de 17 à 18 heures en été. On
croit encore que le fil le plus beau est celui qui reste le moins de
temps sur la chrysalide. Peu à peu s’esquissera le travail régulier,
grâce à la disparition de ce préjugé, et grâce à l’éclairage au gaz, qui
apparaît vers 1870.
Dans le moulinage la journée est fixée plus régulièrement, de 4
heures du matin à 8 heures du soir en toute saison, soit de 16 heures
avec un repos total de 2 heures et demi à 3 heures au maximum en 7
récréations....Le travail au moulinage n’est pas continu. Les
dévideuses, purgeuses et doubleuses, qui doivent être le plus assidues,
se reposent quand les dévidoirs sont en train, et ne travaillent que
quand deux ou trois bouts ont été cassés : ainsi fréquemment un quart ou
un tiers des ouvrières sont en repos quoiqu’attentives. Celles qui
mènent les moulins, après une heure environ, avoir noué tous les bouts
et ainsi "fait cent" ou "sans" ( termes consacrés mais obscurs),
laissent leurs moulins tourner seuls, et ne sont obligées qu’à revenir à
peu près d’heure en heure pour nouer les bouts qui ont pu se rompre,
remplacer sur les fuseaux les roquets vides : des temps de travail plus
ou moins courts, selon leur habileté et la qualité de la soie, alternent
ainsi avec des repos. Il en était de même la nuit : les moulins ne
s’arrêtaient pas et les ouvrières venaient de temps à autre, mais plus
rarement, les remettre en train."
"Longues journées, salaires dérisoires. Cette loi de la
vie ouvrière n’est que trop visible ici. Salaires acceptés cependant
volontiers ou plutôt recherchés, parce qu’ils forment un appoint sérieux
en numéraire dans le maigre budget de la famille rurale aux besoins
d’ailleurs si restreints."
"Le travail des femmes est pénible : dans la filature l’ouvrière a
contamment le corps dévié, de guingois devant sa bassine qu’elle doit
surveiller en même temps que l’asple (sorte de dévidoir où s’enroule la
soie des cocons) ; la bassine et toute la salle l’imprègnent de chaleur
humide, et de cette odeur spéciale dîte odeur de la fileuse.
Au moulinage elle est debout, obligée de se pencher en avant pour
rattacher les fils, ce qui déprime la poitrine ; elles travaillent dans
les ateliers chauds et humides ; les dortoirs ne donnent en 1873 que le
tiers du volume adopté par les collègues. La nourriture est
insuffisante : l’ouvrière rapporte le dimanche soir, pour 6 jours, 6 à 8
kg de pain de seigle, 5 kg de pommes de terre, quelques légumes, du
lard, du fromage, nourriture évaluée à 2 fr 40 pour 6 jours, 11 fr par
mois. Déjà la nourriture et l’hygiène n’ont pu donner une constitution
robuste."
"Le mouvement ouvrier, en effet, dans cette main d’oeuvre aux
trois-quarts rurale et ignorante, et formée surtout de jeunes filles et
de femmes dociles, est resté à peu près nul. Non qu’il n’y ait eu
d’innombrables grèves pour des motifs sérieux ou ;pour des motifs
frivoles ; mais, le plus souvent déclenchées sans grande réflexion,
elles ont pris fin de même et sans grands résultats."
Les motifs de grève les plus fréquents sont la brutalité et
l’insolence des contre-maîtres et des gouvernantes. Mais la cause
essentielle est la question du salaire (en particulier lorsque le patron
décide d’une réduction en temps de crise) et de la longueur de la
journée de travail. Ainsi en est-il à Privas où une grève générale a
lieu en Août 1898 pour protester contre les réductions de salaire. La
grève cesse sans résultat devant la gravité de la crise du moulinage.
De 1841 à 1874 plusieurs lois réglementent le travail des enfants
dans les usines. Elles ont bien du mal à s’appliquer en Ardèche où
jusqu’au début du XXème siècle, des enfants de moins de douze ans sont
souvent employés dans les fabriques. En cas d’inspection on les cachait
ou on les renvoyait chez eux. En 1874 près de 2000 enfants de huit à
douze ans travaillaient dans les moulinages et une cinquantaine dans les
filatures.
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