Lettre d'information n°29. Printemps 1998 Robert Ressicaud
Xeremia, la musique médiévale :
une pédagogie permanente
À l'occasion de la sortie de son disque Anthologie de la Musique Médiévale, nous avons voulu rencontrer ce pédagogue des musiques anciennes, en son ermitage de Sathonay-Camp.
CMTRA : Robert Ressicaud, tu travailles depuis longtemps à la fois sur la musique ancienne et les musiques de tradition. Tous les lyonnais te connaissent pour t'avoir vu jouer dans la rue...
Robert Ressicaud : Jouer dans la rue, c'est une idée très vieille, que j'exploitais lorsque j'étais enseignant il y a plus de vingt ans, et que j'ai reprise à mon compte après avoir abandonné l'enseignement. L'impact du musicien de la rue est considérable. On a bien sûr l'image d'Édith Piaf, même si on ne peut pas se comparer à elle : j'ai décidé de revenir dans la rue avec les instruments anciens, la vielle à roue, la viole de gambe, des cromornes, le psalterion, des flûtes... et parfois je joue avec mon propre accompagnement sur bande magnétique.
CMTRA : Cette pratique de musique dans la rue est surtout connue par le métro parisien, en France.
R.R. : Moi je joue partout en France et en Europe, et bien sûr à Lyon, ou à Pérouges par exemple. Je croise toutes sortes de musiciens dans la rue, des Russes, des Argentins, des Boliviens, Allemands, mais presque pas de Français : pourquoi ? Parce que c'est un problème de choix politique, de la part des municipalités : dans la plupart des villes, la police chasse les musiciens, ce qui n'est pas le cas à Lyon.
CMTRA : Robert Ressicaud, tu es aussi et surtout un pédagogue ?
R.R. : Mais la musique dans la rue, c'est une démarche pédagogique : j'y rencontre des gens de toutes sortes, ceux qui ne vont jamais au concert... et ils peuvent rester une heure, deux heures à m'écouter, et me donner quelques pièces, et revenir... Mais le public le plus intéressant, c'est celui des enfants. S'il n'y avait pas le public des enfants, j'aurais arrêté la rue.
Les enfants écoutent, et restent le plus longtemps possible. Jadis, j'ai créé "l'école de musique ancienne de Caluire", qui travaillait sur le médiéval, la Renaissance et le folklore. Actuellement, j'ai arrêté toute activité permanente de pédagogie, mais c'est par le spectacle de musique médiévale que nous nous adressons aux enfants. Nous jouons sur tous les continents, et c'est une action absolument passionante. Il n'y a pas de concert que j'accepte à l'étranger s'il n'y a pas une activité pédagogique liée ! Et ceci m'est de plus en plus demandé par les ambassades. Je ne veux pas faire du gadget.
CMTRA : Comment se présente le spectacle ?
R.R. : L'option pédagogique que je choisis, c'est avant tout de la musique, avec une histoire autour, et non l'inverse. Je veux montrer aux enfants "de la musique avant toute chose". J'ai une expérience pédagogique récente à Décines. Un jour, je jouais dans la rue et un enseignant passe, il prend un de mes papiers publicitaires. Quelques mois plus tard, il m'appelle pour mener une expérience avec ses enfants de CM2.
Ensemble nous avons construit un grand projet pédagogique, qui devait ne toucher que le CM2, mais la contagion a fait que toute l'école a été concernée. Les résultats furent fabuleux. Toute l'année, nous sommes allés autant de fois que nous le souhaitions avec mes collègues, très libres, et nous avons pu faire découvrir la musique médiévale aux enfants dans la pratique, par la flûte surtout, les percussions, des percussions à lames, et le chant.
Nous avons fabriqué beaucoup de choses aussi, des instruments. Nous avons abordé la musique allant du VIIe au XIIIe siècles. Ils ont appris du chant grégorien, des chants de troubadours occitans, et de la musique arabe. Ils ont percuté des rythmes à 10 temps, ce que mon professeur de oud ne voulait pas croire, et pourtant ils l'ont fait ! Je leur ai demandé d'inventer un système d'écriture musicale.
Et en trois quarts-d'heure, les enfants ont inventé un système d'écriture très efficace, très proche de l'écriture des neumes grégoriens. C'était tellement surprenant que les moines de Solèmne m'ont demandé de faire une communication internationale sur ce thème. Tous cela s'est concrétisé par un spectacle musical et théâtral, et de jonglerie, d'1 h 45 non stop, au Toboggan de Décines !
CMTRA : Quel est ton principe pédagogique de base ?
R.R. : Mon principe pédagogique, c'est : surtout ne rien apprendre aux enfants ! Mais leur dire " dis-moi ce que tu sais, ce que tu fais, et je t'aiderai à aller plus loin. " Deuxième principe, une grande exigence sur la qualité de relation que l'on doit avoir avec eux, qualité de relation qui doit être réciproque : un profond respect. Et alors il faut très vite repérer l'enfant en difficulté pour aller vers lui.
Cela a été le plus beau moment de ma vie. Ce que nous avons fait ensemble, j'en rêvais depuis des dizaines d'années, et je l'ai fait. J'étais fou à la fin du spectacle... Et enfin un autre principe : toujours demander beaucoup plus aux enfants, que ce que l'on imagine : et les enfants vous en donnent encore plus.
CMTRA : Tu viens de publier un disque pédagogique autour des musiques anciennes ?
R.R. : Avec l'Ensemble Xeremia, nous nous produisons beaucoup à l'étranger. Et moi je refuse de vendre mes disques à l'étranger ! Ce n'est pas la peine de faire de la concurrence aux musiciens sur place qui vivent de leur musique. Donc lorsque je joue dans la rue, les gens en, France me demandent toujours des tas de choses sur ce que je joue, sur ce qu'ils viennent d'entendre. Ce disque leur est destiné, je sais ce que je veux leur faire découvrir et qu'ils n'auront jamais l'idée d'acheter. Je veux qu'ils découvrent la musique médiévale dans son ensemble, qui est à la source de toutes les musiques. Je vais toujours aux sources, aux manuscrits anciens, c'est une règle d'or. Et mon autre activité consiste à enseigner la sémiologie musicale à l'Institut de Musique Sacrée de Lyon.
Nous pratiquons le Chant Grégorien, et nous sommes en train de monter la Messe de Machaut intégralement. Machaut est très loin des musiques populaires, mais les chants de troubadours sont dans cette couleur et cette historicité médiévale populaire. Il y a une familiarité avec les musiques du Monde, on sent bien que c'est le même bain. Mais toujours, autour de ma pratique musicale, il y a cette envie de faire découvrir aux gens, aux enfants, aux passants de la rue, aux étrangers de pays lointains, d'autres formes de musique que celles auxquelles ils sont confrontés malgré eux.
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