En mars 2003, le groupe Bistanclaque sera en résidence au théâtre de La Platte. A cette occasion, il accueillera André Minvielle, pour un stage vocal et trois soirs d'ateliers-concerts en public.
Entretien avec les musiciens de Bistanclaque puis avec André Minvielle.
CMTRA : Renaud et Eric, vous êtes musiciens du groupe Bistanclaque. Lors de votre prochaine résidence, vous avez choisi d'inviter André Minvielle pour porter un regard sur votre travail mais également pour proposer un stage ouvert au public
Renaud Pierre : Cette semaine avec André Minvielle s'inscrit dans le cadre d'une résidence que nous allons effectuer pendant un mois au théâtre de La Platte.
Bistanclaque a pas mal changé ces derniers temps avec le départ de Nabil et d'Elsa, qui était à l'origine du groupe, cette résidence va donc nous permettre de travailler le nouveau projet en duo avec les techniciens qui nous accompagnent.
A cette occasion, il nous a paru intéressant de confronter notre travail à un regard extérieur. On a pensé à André Minvielle parce qu'on apprécie vraiment son approche très ouverte et transversale de la musique. C'est aussi quelqu'un qui s'interroge sur la place de l'artiste dans la cité, notamment à travers le travail de la Cie Lubat qui organise depuis 25 ans dans un petit village gascon le festival « Uzeste musical ».
Tout cela entre également en résonance avec les activités que nous menons à travers notre association La Voisine et notamment le festival Les Nuits de la Pierre Bleue, dans les Monts du Lyonnais. Il nous a paru aussi intéressant à cette occasion d'ouvrir notre travail sur l'extérieur en proposant quatre jours d'ateliers ouverts au public.
Pendant ce stage, nous interviendrons en matinée pour mener un travail de collectage et de création sonore sur les Pentes de la Croix-Rousse, qui rejoindra sans doute les recherches que fait actuellement Minvielle sur les accents. Les après-midi se dérouleront avec André Minvielle autour de la transmission, de l'improvisation, du rythme et du chant. Ces journées de stages donneront lieu les trois derniers soirs à des ateliers-concerts publics qui mêleront les pratiques abordées pendant la journée.
Eric Ksouri : Le travail sonore aura pour matière première les sons du quartier. Nous allons interroger nos oreilles à la recherche d'un autre patrimoine, vivant celui-ci, et faire travailler les imaginaires à partir de ce que la Croix-Rousse nous donne à entendre, les langues, pétarades de scooter, musiques aux fenêtres, conversations de bistrot.
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Votre environnement, celui du quartier des Pentes de la Croix-Rousse, est un thème très présent de votre projet artistique et associatif, comme en témoigne le nom de votre groupe. Ce nouvel événement s'inscrit dans la continuité de ce travail et de vos réflexions autour de ce quartier ?
R.P. : Le lien avec la Croix-Rousse est effectivement présent dans notre nom : Bistanclaque, c'est l'onomatopée du bruit des métiers à tisser qu'utilisaient les canuts. L'histoire du groupe est plus ou moins liée à ce quartier dans lequel nous habitons et avec lequel nous avons encore des choses à faire. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'un enfermement mais d'une possibilité d'envisager de manière concrète l'action collective et de confronter d'autant mieux notre expérience à celle des autres.
Lorsque j'arrive quelque part, je ne trouve aucun intérêt à me promener dans le MacDo ou le multiplexe local, j'aime rencontrer des personnes qui sont, d'une certaine manière, habitées par leur espace, même si celui-ci n'est que temporaire pour eux.
C'est cette idée que nous valorisons à travers des interventions musicales spontanées mais aussi avec notre association qui nous permet de monter des projets avec d'autres personnes sur la Croix Rousse et sur les Monts du Lyonnais. Nous ne nous retrouvons pas vraiment dans l'idée de l'artiste qui travaille seul, détaché de tout ce qui l'entoure.
De plus, lorsque nous parlons dans nos chansons de notre ville, de notre quartier, nous essayons d'apporter, de là où nous nous trouvons, un éclairage sur des questions sociétales plus larges, l'obsession sécuritaire, l'aseptisation, la standardisation des modes de vie'
C'est donc bien dans cette continuité d'esprit que nous envisageons ce que nous allons faire à La Platte, autant dans le choix du lieu que dans celui de faire venir Minvielle.
C'est la même chose pour le travail sonore puisqu'il vise à explorer des réalités vivantes du quartier, des réalités diverses qui coexistent, s'ignorent ou se rencontrent mais qui au final incarnent cet endroit.
CMTRA : André Minvielle, tu as été invité par le groupe Bistanclaque lors de leur résidence au Théâtre de la Platte en mars 2003 pour animer un stage et des ateliers-concerts autour du rythme, des langues et de la voix. Comment définirais-tu ta démarche de recherche et de création musicale ?
André Minvielle : Je suis né dans un café du centre de Pau en Béarn. C'était un café populaire, où il y avait un va-et-vient incessant de gens, de chants' Donc la maison où j'habitais était aussi celle des autres. Peut-être que ça a déterminé la façon dont j'appréhende la musique : pour moi, c'est du domaine public, c'est un lieu où il y a du passage, où l'on accueille, où l'on est accueilli, où l'on échange.
Ensuite, j'ai découvert mon occitanité en écoutant Joao Gilberto et Vinicius de Moraes, j'ai fait un paquet de choses très différentes les unes des autres et un jour j'ai vu la Cie Lubat et ça a été un choc ! J'ai passé 17 ans dans la Haute-Landes avec la Compagnie, à monter une société coopérative de production artistique avec Bernard Lubat, Laure Dutilleul et Patrick Auzier. Le temps a passé et aujourd'hui il reste la suite du projet de la Cie Lubat, c'est-à-dire, Uzeste Village Visage des Arts à l''uvre.
C'est une forme de transmission de mémoire et en même temps de transformation par ce que c'est un brassage de formes qui vont du bal populaire aux performances en passant par tout un tas d'autres formes.
Moi ce que je fais je l'ai appelé Vocalchimie parce que ce qui m'intéresse c'est la captation, comme dans le jazz, on capte des airs qui sont dans l'air du temps et on les transforme, on les trafique. La vocalchimie c'est un peu comme la mousse des bois ou le champignon : un truc qui pousse par ce qu'il capte. Je me définis comme ça, comme vocalchimiste. C'est le mieux que j'ai trouvé pour définir la forme éclectique de mon champ, qui part de la langue, des langues, pour aller vers l'improvisation.
Pour moi c'est l'idée de l'identité éclatée, c'est-à-dire ce dont on est fait, ce dont on se nourrit, ce dans quoi l'on a baigné mais aussi ce vers quoi l'on va, vers quoi on tend, vers quoi on s'ouvre et la première chose qu'il faut apprendre dans ce genre de travail, c'est le sens du rythme parce que le rythme c'est la vie, c'est le fait de pouvoir transposer des choses. Quand on a appris le rythme comme il faut, on sait rencontrer un autre du bout du monde, parce que tout est rythme, le jour, la nuit, les saisons.
En quoi consistent les stages et les ateliers-concerts que tu proposes ?
C'est un long processus qui m'a amené aux ateliers-concerts. Depuis que je suis arrivé à Uzeste, j'ai commencé à animer des ateliers voix sans savoir le faire, donc j'ai appris petit à petit. Je me suis aperçu d'une chose que je n'arrivais pas à comprendre, c'est le fait que le rythme, chez beaucoup de gens, c'est une abstraction. Ça dépend de la culture de chacun. Par exemple chez moi en Béarn ce sont des chants larges.
Dans la formation classique, c'est plutôt la phrase qu'on apprend. Moi ce qui m'intéressait c'était de faire se rencontrer des mondes qui s'ignorent. Au fur et à mesure, avec les concerts et la transmission, j'ai compris que le rythme, on pouvait l'apprendre en disant des mots, des phrases et des accents. L'idée c'est d'apprendre à accentuer une phrase, de chercher comment on peut faire passer le rythme qui est une abstraction, par la phrase, la mélodie, la mélopée. Donc le rythme c'est le cheval de bataille des ateliers-concerts.
En même temps c'est une façon d'aller vers les gens et d'empêcher que l'atelier soit fermé sur lui-même. Ce que j'aime c'est que l'atelier soit public, faire devant tout le monde, revenir au café, l'idée que c'est un agora et qu'on apprend devant tout le monde. C'est une improvisation et une transformation, un espace où l'on brasse des formes, des écritures et des singularités. Ça c'est important, la singularité, comme aujourd'hui tout est un peu compressé comme à la radio, il faut trouver la place de la singularité et de l'altérité.
Donc les concerts-ateliers, c'est pour rencontrer les autres et en même temps, à travers cette idée de brassage de formes et de rythmes, de s'écrire, en partant toujours de quelque chose et en étant toujours en chemin. C'est un peu comme la cuisine : quand on apprend à cuisiner, on apprend à improviser avec ce qu'on a !
Parallèlement, tu lances un projet de collecte d'accents ?
Oui. Je me suis aperçu que les accents pouvaient déterminer beaucoup de choses, et notamment la musique. C'est à la fois l'accent d'une langue et l'accent que les compositeurs mettent sur leur musique. Chaque compositeur a sa façon de mettre l'accent, les uns sur leur façon de concevoir la place du soliste dans une matière sonore, les autres sur la matière sonore elle-même. L'évolution de la musique écrite s'est fait par des transgressions, des transformations. L'idée est de relier dans cette collecte d'accents le quidam, la personne qui n'a pas bougé de son terroir et tous les gens qui apportent leur contribution à l'accent.
Finalement, l'accent c'est un trajet, c'est aussi l'accent de la déterritorialisation, des migrations. La façon de décliner une pensée se fait en fonction du terrain, du territoire.
Ce qui me passionne là-dedans, c'est de commencer et puis de voir comment ça s'agrandit parce que c'est infini, ce sont des choses très sensibles et perfectibles. L'idée c'est de faire une collecte d'accent à vie, un peu comme le Facteur Cheval a fait une 'uvre à partir de récupération de matériaux. C'est l'idée de faire une bibliothèque sonore, de faire écouter aux enfants les accents, de créer une carte de France des accents et peut-être une carte du monde, de recueillir les Français tordus et de revenir peut-être à la littérature, à Rabelais' Ça part de la rencontre, à partir de la vie des gens par exemple.
Souvent les gens mettent l'accent sur quelque chose de leur vie. C'est une histoire de trajet, de rhizome, de réseau, des choses qui passent à travers la langue.
Propos recueillis par Y.E.
Stage Bistanclaque/ Minvielle du 5 au 8 mars.
Ateliers concerts du 6 au 8 mars.
Concerts de Bistanclaque du 13 au 15 mars.au Théâtre de la Platte- 32 rue Leynaud ' 69001 LYON.
Nouvel album de Bistanclaque prévu rentrée 2003
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Association La Voisine : 04 78 29 43 87