Comment "la brûmeuse", a-t-elle gagné
ses lettres de noblesse sudistes ? Si Lyon possède souvent aujourd’hui
ce petit air d’une Marseille du Nord, c’est aux nombreuses populations
de culture méditerranéenne installées ici qu’elle le doit. Les Italiens
dès le début du siècle, les premiers, puis les Arméniens, puis les
Grecs, puis les Turcs, puis les gens d’Algérie, rapatriés français ou
travailleurs immigrés dans les années 60, puis les Marocains, Tunisiens,
sans oublier les Israéliens et tous ces Lyonnais possédant une double
nationalité : populations qui sont venues en France, à Lyon, Toulouse ou
Montpellier, s’installant le plus souvent en périphérie, dans ces
banlieues, ces "villes de proximité" chères aux sociologues et aux
urbanistes.
Le XXe siècle tout entier a ainsi connu ces déplacements de peuples
et de cultures, venus ici pour des raisons différentes et mêlées, par
choix ou par force, par besoin ou par exil. Poussés par l’économie ou
par la politique, ces peuples ont coloré de façon inaltérable la cité de
Lyon, trop connue jusqu’alors pour ses demis-teintes. La légendaire
froideur de Lyon est démentie par cette nonchalance des soirs d’été, ce
besoin de l’extérieur, cette recherche de la fraicheur des arbres trop
rares, cette profusion d’accents et de langues qui tous viennent de la
mer. Et ces nourritures nouvelles, ces fêtes et ces vêtements
différents, qui habitent les rues et les places, ces musiques pleines de
percussions et de plaintes, cette violence parfois si difficile Ã
contrôler et à maîtriser, ont construit la Méditerranée lyonnaise.
Et voici donc l’Espagne de Lyon. C’est dans ce contexte
d’un Sud nouveau que des espagnols sont venus en France, à Lyon,
Saint-Fons, Saint-Priest, Vénissieux, Villeurbanne. Ce que nous avons
voulu restituer ici, c’est la réalité d’une intense pratique de musique.
Cette musique se développe parmi des gens très jeunes, d’origine
andalouse pour la plupart, et qui nés et vivant en France,
réinvestissent leur mémoires familiales, opèrent une réappropriation
culturelle, et ajoutent à leur culture française, européenne, globale
d’aujourd’hui, une part artistique essentielle : le flamenco, le penser
"aflamencado", le vivre "aflamencado".
En écoutant leur musique, en découvrant leur investissement profond
dans cet art, en observant les relations permanentes entretenues avec
l’Andalousie des origines, on ne peut que ressentir un profond respect
pour ces jeunes gens, qui annoncent à leur façon des bouleversements
déjà en cours, et les complémentarités citoyennes des français et des
européens de demain : enrichissement des cultures mutuelles,
superposition des apports successifs, addition et non pas négation des
identités.
Pour illustrer ce souci de réciprocité , et mieux comprendre la musique des Espagnols de Lyon, nous avons choisi de donner la parole à quelques artistes présents sur ce disque : Alberto Torres tout d’abord, qui fut à l’initiative de bien des carrières. Los Diez ensuite, qui perpétuent à Lyon une pratique familiale du flamenco. Jean-Philippe Bruttmann aussi, qui illustre une façon de s’investir dans cette musique traditionnelle sans souci d’un quelconque déterminisme des origines : mais seulement par goût, par passion et par amitié.
E.M.
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