Jean-Philippe Bruttmann : J’ai découvert le flamenco par l’une de ses ramifications périphériques, c’est à dire la musique des gitans de Camargue. C’est en découvrant Hyppolite Baliardo, le frère de Manitas de Plata, sur une scène avec mes parents en vacances à la Grande Motte que j’ai vraiment eu envie de jouer de la guitare ! J’avais 6 ans, et à 7 ans je jouais déjà. À la fin du spectacle, j’ai demandé qu’on achète le disque. De retour à Grenoble,mon père avait une guitare, car il était jazzman et "Brassensiste ». Il m’a montré les premiers accords de guitare, avec cela j’ai pu reproduire en autodidacte le disque d’Hyppolite Baliardo. L’année suivante, mes parents sont allés voir Hyppolite lors d’un concert, en lui disant : " Écoutez ce que fait le petit, il reproduit vos disques, il vous écoute 24 h sur 24, il faut vraiment que l’on vous montre cela ! » Et c’était vraiment 24 h sur 24, je sortais de l’école, je prenais ma guitare à 16 h, et je ne la lâchais que pour me coucher !
Et voilà Hyppolite qui me prête son énorme guitare...
Alors, il dit à mes parents : "Bon, vous pouvez retourner dans la salle,
moi je garde le petit avec moi pour le concert ! » Après Hyppolite,
Manitas de Plata fit la même chose. J’ai eu beaucoup de chance d’habiter
dans un hôtel à la Grande Motte où beaucoup d’artistes passaient. Dans
les années 70, c’était déjà la grande mode du þamenco, et à chaque
festival les artistes logeaient dans cet hôtel-là, parce qu’il n’y avait
pas grand chose autour, à part les marais ! Donc, je jouais de la
guitare jour et nuit, je descendais au bar avec ma guitare...
Dans le même hôtel, Baden Powell envoya sa femme demander à mes
parents si je pouvais venir jouer, il m’écoutait au loin depuis un
moment... J’avais 8 ans, donc à cet âge je n’étais pas encore
impressionné, j’ai dit : "Ouais si il veut ! » avec une insouciance
folle . Le virus était pris, je suis tombé amoureux de la guitare, de la
scène et du þamenco. Et jamais je n’ai eu envie de faire l’un sans
l’autre.
CMTRA : Tu as gardé des liens d’amitiés très forts avec Hyppolite Baliardo ?
J.-P. B. : Absolument. J’ai surtout eu la chance d’être adopté par
sa famille, par ses Þls qui sont d’excellents musiciens. Partout où
j’allais, il y en avait toujours un pour me prêter une guitare. Le
þamenco reste une tradition orale, c’est un parcours initiatique :
jamais on ne te montre quelque chose de technique : il faut faire du
pillage, ce que je fais très bien ! Le milieu doit être porteur, mais on
peut très bien te fermer la porte du jour au lendemain, comme on peut
ne jamais te l’ouvrir. Hyppolite a toujours eu une grande amitié pour
mes parents, et à l’époque cela m’a beaucoup aidé, car je n’avais que 7
ans.
CMTRA : Joues-tu toujours le flamenco des musiciens de Camargue, ou bien d’autres formes qu’ils ne pratiquent pas ?
J.P.B. : Je ne le joue plus du tout aujourd’hui.
&laqno;Flamenco » est un terme impropre pour cette musique des
gitans venus d’Espagne et qui jouent en Camargue . Les andalous sont
très critiques et très sévères sur cette musique qu’il considèrent comme
une musique touristique et purement commerciale, et qui ne ressemble
presque plus au þamenco. Mais je crois surtout que la réalité de cette
musique-là est le révélateur du particularisme des gitans de Camargue :
ils sont eux-mêmes une population dont le parcours et la sociologie sont
très particuliers. Ils ont donc produit leur propre musique, qu’il faut
considérer comme telle. Je pense qu’il est normal que leur musique soit
&laqno;bizarre », car leur parcours est original. On ne doit donc
pas juger leur musique par rapport à des références þamencas : aucun des
gitans que je connais ne sait jouer de &laqno;solea », ou de
&laqno;buleria » par exemple.
CMTRA : Comment es-tu devenu professionnel ?
J.P.B. : Tout petit, j’étais habitué à jouer 4 à 5 heures de guitare
par jour, il valait donc mieux que j’essaye d’en faire mon métier, car
je ne pouvais pas m’en passer ! Mais je fais partie d’une famille où
l’on doit faire des études, alors que Manitas disait toujours à mes
parents : "moi je ne sais ni lire ni écrire et je suis connu dans le
monde entier, alors ce n’est pas la peine qu’il aille à l’école" ! Je me
souviens très bien de m’être fait virer de tous les cours d’anglais de
mon collège parce que je faisais du bruit avec les spirales de mon
cahier en faisant des "ragados » ! C’est une maladie chez les musiciens,
je n’en connais pas beaucoup qui savent se tenir une heure sans taper
sur la table. Et imagines-toi cela au boulot, derrière un bureau... »
"Mi Hermano Nanasso" interprété par le Quartet Bruttmann est extrait du CD "Recuerdo », que le groupe a publié en compagnie de Hippolyte Baliardo en 1997. (Editions Alegria)
46 cours du docteur Jean Damidot, 69100 Villeurbanne
communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75