Le Kromlee de la menda de Mezeuka
Entretien avec Patrice Combey
CMTRA : Patrice Combey, nous découvrons avec surprise ton nouveau CD, " Menda de Mezuka ", deux ans après " Musique de danse dans le canton d'Aime " Une autoproduction ?
Patrice Combey : Bien que pour moi, le CMTRA reste la colonne vertébrale de ma nouvelle vie professionnelle, je voulais donner une leçon à ceux qui s'installent dans l'assistanat. Repartir de rien et faire à tout prix que ce CD soit mien dans le sens physique, professionnel, intellectuel, moral et financier.
CMTRA : Ta vie professionnelle a changé, nous sommes bien loin de l'auberge et de la cuisine traditionnelle. Pourquoi t'es-tu lancé sur le chemin des intermittents du spectacle ?
P.C. : À 43 ans la reconversion est très compliquée surtout pour ceux qui ont fait comme moi une expérience de 25 ans de travailleur indépendant. Supporter un patron n'est pas évident quand on connaît "la chanson" Mais j'ai obtenu mon statut d'intermittent en 7 mois de travail !
CMTRA : Pourquoi alors avoir mis autant de temps à prendre cette décision, qui semble une réussite pour toi ?
P.C. : Même lorsque mes amis me poussaient à choisir cette voie, il m'a fallu du temps pour prendre cette décision et me lancer dans l'aventure des intermittents du spectacle. Je n'étais moralement et mentalement pas prêt, pas assez mature pour m'y engager. Il me fallait faire le deuil d'une vie qui est maintenant le passé et surtout, j'avais peut-être inconsciemment besoin de prouver à ceux qui gravitaient autour de moi que même si le tronc était mis à terre, de ces racines profondément ancrées, de par mes origines de montagnard obstiné, renaîtraient des rejetons aussi vigoureux que riches d'idées nouvelles.
J'ai progressé lentement pour mieux assimiler les nouveaux éléments. Je me suis entraîné très dur pour parvenir à un résultat correct bien que je n'éprouve jamais de satisfaction totale pour mon travail.
Mon évolution musicale vient aussi des échanges partagés avec d'autres musiciens savoyards notamment avec Christian Abriel. On ne pratique pas la musique de la même façon quand on l'interprète seul, à 2 ou à 4. Parfois il faut s'imposer, parfois on doit respecter les autres pour que l'harmonie s'installe et pour que toute la quintessence musicale soit mise en valeur. Jouer ensemble et pour les autres élimine l'égoïsme. Il y a le partage de deux émotions, le public et les musiciens.
CMTRA : Où en est la collaboration avec Yves Berthias, présent sur ton précédent CD ?
P.C. : Il est toujours le complice de mes intrigues. La preuve, il est venu me faire un clin d'il au milieu du CD avec une de ses compositions. Ses suggestions concernant ce CD ont suscité un vif intérêt. Je les ai parfois suivies, Yves a cette faculté de voir au moment juste et d'apporter la cerise sur le gâteau. : ainsi "La Mouferine à Vitor", qui est une double récompense. Une pour lui tout d'abord et l'autre pour moi. Je me suis inspiré d'une bribe de mouferine qu'il jouait. L'avait-il perdu de vue, je ne saurais te le dire ?
Un matin, je me suis levé avec un drôle d'air en tête qui ressemblait ou collait bien avec le sien. L'influence valdotaine sans doute, je l'ai écrite avant même de prendre mon petit-déjeuner, c'est ainsi qu'elle est née. C'est un bel hommage pour ce grand-père merveilleux toujours prêt à jouer, le "Vitor".
CMTRA : Pour en venir à ton CD, pourquoi l'avoir composé à 90% de chants franco-provençaux ?
P.C. : Notre langue, c'est le besoin, la soif, le retour d'un public nouveau particulièrement attentif à l'évolution de notre vie quotidienne. Ce public est à la recherche de ses racines. Ce phénomène est sans doute lié à la phobie et aux craintes provoquées par la politique de mondialisation. Je crois que bien que les alpins soient habitués à vivre avec la grandeur imposante des éléments qui les entourent, ils ont le besoin de retrouver des limites où les frontières sont à échelles plus humaines. Cela les engage sur la voie du retour aux valeurs et aux racines. Je ne crois pas pour autant que cette démarche soit un signe passéiste. Pour moi, être citoyen ne veut rien dire, c'est être un citoyen orphelin de sa famille, de sa région, de son pays.
Votre journal en est une belle preuve. Il nous présente souvent la naissance spontanée de nouveaux groupes étrangers aux traditions rhônalpines, qui éprouvent le besoin naturel et légitime de s'exprimer avec leurs couleurs propres.
C'est ainsi une nouvelle richesse musicale qui vient se greffer et se fondre aux autres. Cela permet l'évolution et les échanges. Je suis favorable au brassage des instruments. Cela casse les vieilles habitudes archaïco-folkloriques. J'ai bien peur que si les groupes folkloriques refusent cette évolution, dans 10 ans, ils feront office au musée Grévin si ce n'est déjà pas le cas pour certains ! L'être humain a besoin d'identification en permanence, même d'identification à l'étranger. Ce qu'il a perdu, il le recrée parfois avec des évolutions propres et vivantes.
CMTRA : Pourquoi cette idée de passer de la Tarentaise au Val d'Aoste ? Nous sommes bien loin du CD du Canton d'Aime et ses musiques de danses !
P.C. : L'histoire de la montagne entre les deux vallées voisines a, depuis la nuit des temps, démontré que la relation entre ces deux populations montagnardes est inaliénable. Jamais les éléments naturels ou politiques n'ont empêché les hommes des deux vallées de communiquer et de s'aimer. Bien sûr, j'ai eu la tentation de reproduire à l'identique le deuxième tome "Musiques de Danses du Canton de Bourg Saint-Maurice", mais cela a déjà été fait.
Au IIIè siècle le col du petit Saint Bernard "le Pitchu" se passait l'hiver à pied secs, avec des chariots tirés par des bufs selon les écrits de Pline l'Ancien. Aujourd'hui, il se passe à l'aise, en skis alpins avec le diato dans le sac à dos. J'ai désiré reconstituer ce trait d'union pour ces deux populations qui à l'origine n'en formaient qu'une.
Nos idéaux nouveaux cherchent à abattre les frontières posées de façon arbitraire, sous Napoléon III. La meilleure formule pour constituer la véritable Europe c'est de laisser aux peuples minoritaires la liberté de s'exprimer par la culture musicale, la langue et la gestuelle. J'aurais pu appeler mon CD "Trait d'Union".
CMTRA : Justement, parlons du titre "Menda de Mezuka" ?
P.C. : Même dans le titre il y a un message. La Menda, c'est la montagne, mot tiré du "Mendi". Le Mendi est d'après les linguistes des peuples de montagnes le parlé paléolithique. La "Menda" c'est "la montagne la plus haute" donc une montagne de musiques les plus hautes.
CMTRA : Considères-tu ce CD comme un outil de travail ?
P.C. : C'est un outil de travail à part entière qui me conduit vers le professionnalisme. Je le présente dans mes démarches promotionnelles comme une carte de visite qui chante d'elle-même. C'est un passe-partout, la magie musicale fait le reste dans les cas où elle suscite l'intérêt qui fait décrocher un contrat. Une réelle demande pour la musique traditionnelle se fait ressentir de partout. Nous n'avons pas le droit de décevoir les gens. Il est de notre devoir de présenter notre musique comme une "grande musique" sans complexe car nous n'avons rien à envier aux autres formes de musiques.
CMTRA : Patrice, que dirais-tu en conclusion ?
P.C. : Ce qui m'enrage le plus, c'est que cette fameuse musique des Mendis, celle qui était pratiquée au temps de l'homme de Cro-magnon, je ne l'entendrais jamais. Mais peut-être la réinventerons-nous avec la complicité de quelques amis en écoutant chanter le vent dans les branches de mélèzes, ou crier les roches sous l'effet de la glace. Qui sait si un jour, nous ne saurons pas faire partager le chant initiatique et incantatoire du champ des pierres au col du Petit Saint-Bernard, le Kromlee le plus haut de Savoie.
Propos recueillis par EM
Contact
CD "Menda de Mezuka
Patrice Combey:
Tél : 04 79 55 51 58