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Les couleurs du cercle
Recherche et création : des tremplins pour l'imaginaire entre Ardèche et Champsaur

Entretien avec Patrick Mazellier CMTRA : Tu présentes "Les Renveillés d'Orcières", dans le cadre d'une publication du Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie de Grenoble, quel est ton questionnement sur ce répertoire ?

Patrick Mazellier : Cette publication part d'une recherche commencée en 1995 qui a duré plusieurs années sur le village d'Orcières. Elle a été financée par le CDMD 05 et a d'abord donné lieu à un travail universitaire sous la direction de Jean-Noël Pellen à l'Université d'Aix-en-Provence. La méthode de recherche était donc un peu différente car depuis les années 70 j'avais enregistré des musiciens sur une zone géographique beaucoup plus vaste qui va en gros des Alpes aux Cévennes.

Je connais très bien la région d'Orcières, le Champsaur, où j'ai collecté des violoneux. Mes ambitions étaient cependant limitées vue l'époque de la collecte. En fait je fus agréablement surpris car, au delà des Renveillés, le corpus de chants qui m'intéressait, j'ai collecté beaucoup de chansons traditionnelles, en français et en oc, j'ai recueilli des cahiers de chansons, de vieux enregistrements et même des films. J'ai rencontré des chanteurs et des chanteuses de grande qualité.

Ce fut un travail intensif, et grâce à la confiance des habitants (les Orsatus) j'ai pu approfondir quelques éléments sur la formation des répertoires, la transmission, la socialisation du chant. J'ai tenté aussi d'analyser les différentes manières de chanter le même répertoire suivant les générations, le rapport entre le phrasé musical et les paroles, la part de l'occitan C'est un travail assez complet, facilité par le fait que les Orsatus ont encore un rapport très vivant avec le chant traditionnel ou populaire et qu'ils ont adhéré à ma démarche de collecte. Les Renveillés sont une tradition de chant collectif, autrefois chantée par des hommes et toujours à l'unisson. Tout l'aspect de socialisation est bien dans les mémoires.

Le Renveillé ne se chantait normalement que dehors, à l'extérieur des maisons et à trois occasions : en revenant de la veillée pour courtiser les filles, lors du feu de joie du premier dimanche du Carême, après le Mardi Gras, et durant l'été, sur le perron des forests, lors des reboules dans les chalets d'alpages, dans ces moments collectifs, conviviaux à l'occasion desquels les jeunes filles et les jeunes femmes se réunissaient pour faire le fromage.

A travers tout leur répertoire, ces chanteurs - qui ne chantent pas que des Renveillés - arrivent très bien à identifier ce qui distingue un Renveillé. Ces aspects musicaux particuliers pourraient se résumer par une expression qu'utilisent les chanteurs et les chanteuses, qui ont une véritable technique liée à ce chant, ils disent : "il faut que ça traîne". C'est une musique qui est rythmée, mais sur un tempo relativement lent, avec des ralentissements à des endroits précis, en fonction des paroles. Des syllabes prolongées, des accentuations souvent sur les fins de phrase, donnent lieu à des ports de voix, des sforzando, des nasalisations.

Le Renveillé c'est aujourd'hui un chant en solo, la tradition de chant collective s'est arrêtée il n'y a pas si longtemps, dans les années 50. Cette publication comprend des analyses et des commentaires, des partitions et un CD qui reprend l'essentiel des extraits sonores de la collecte. CMTRA : Elle ne porte que sur une partie de ta recherche ?

P.M. : Mes recherches s'étendent depuis des années sur une zone comprise entre le Champsaur et le Bas Vivarais. J'ai bénéficié d'aides ponctuelles (de l'ADDIM de l'Ardèche, du CDMD 05), j'ai participé à des enquêtes pluridisciplinaires (sur le patrimoine du Trièves avec le Musée Dauphinois) et en ce moment je travaille sur le Vercors dans le cadre de l'Atlas Sonore initié par le Parc Naturel Régional du Vercors et réalisé par le CMTRA.

Avec le temps, en complétant mes collectes par des collectes plus anciennes, des écrits de folkloristes, j'ai mis en évidence sur cette zone la permanence de « marqueurs identitaires » assez forts, comme la danse et le chant autour du rigodon, de communautés de pratiques musicales, autour du violon, d'axes de circulation des répertoires chantés et dansés liés à des routes commerciales, à des échanges de travailleurs saisonniers

Sans parler d'une certaine unité linguistique autour de l'occitan alpin proche des parlers du Bas Vivarais. Cette unité culturelle "transversale" semble avoir été très forte des deux côtés du Rhône, en Dauphiné et Vivarais, où les échanges de population étaient très fréquents depuis les guerres de religion, la route des Cévennes aux Alpes étant la vieille route de l'exil des Protestants vers la Suisse. CMTRA : Comment cette connaissance de la pratique traditionnelle influence ta création dans le cadre de tes projets musicaux ? Avec le groupe Rural Café notamment, qui vient d'enregistrer un CD à paraître chez Modal, dédié aux musiques d'Ardèche.

P.M. : Je sépare assez précisément mes travaux de recherche qui s'appuient sur des méthodes issues de ma formation d'historien et d'ethnologue de mes activités au sein du Rural Café. Disons que dans le Rural Café aujourd'hui on a de multiples influences : Karim Ben Salal aux percussions vient de la musique orientale, Patrick Chanal au bouzouki connaît bien la musique régionale mais pratique aussi les musiques celtiques, Christian Devaux (contrebasse) et Stéphane Vettraino (clavier), viennent du jazz moderne, Nicolas Zorzin (flûtes), a une formation classique spécialisée en musique ancienne.

On fait une espèce de mélange et ce qui compte c'est que ça fonctionne finalement. Nous avons remis un peu sur les rails le répertoire d'Ardèche, du Champsaur, du Trièves, je fais des choix en fonction de mes goûts personnels pour les modes, les rythmes, et nous en discutons ensemble, mais il y a aussi des compositions, des ré-élaborations. L'Ardèche est un point de départ, un tremplin pour l'imaginaire - et quel imaginaire ! ­ mais encore faut-il connaître le répertoire, et ne pas se contenter d'une approche folklorique ou livresque, être capable de faire vivre cette musique avec les gens qui l'ont créée, au-delà d'une banale démarche esthétique.

Nous avons la chance, en plus des circuits folk, de jouer souvent en milieu rural, en bal, en veillée, en concert pour la vogue d'un village, pour un mariage. Car il y a encore une image identitaire très forte autour de la chanson, de la musique. Il m'arrive aussi d'accompagner une chanteuse remarquable de la vallée d'Orcières, qui a participé à notre CD. Je prends auprès d'elle un peu la place de Camille Roussin, le violoneux qui l'accompagnait normalement.

Puis il se trouve qu'on est aussi engagé dans des processus liés au revivalisme. A Orcières par exemple il est arrivé qu'à l'occasion du stage de violon Camille Roussin vienne apprendre son répertoire aux stagiaires. Aujourd'hui, les chanteuses du village viennent animer la veillée du samedi et les stagiaires donnent l'aubade sur la place du village à l'heure de l'apéro. C'est une rencontre entre nos pratiques et ce qui reste d'une tradition de chant. CMTRA : Quelles dimensions de l'expression et de l'expérience musicale seront mises en avant par la présence de cette chanteuse, Odette Blanc-Gras, sur ce CD, qui sera aussi en concert quelques fois avec vous, je crois bien ?

P.M. : Il y a une dynamique, un échange qui s'établit entre son chant, d'une grande liberté et, comme en écho, une souplesse dans le phrasé du violon, avec des accents soulignés par les doubles cordes. C'est très frais, c'est relativement riche et sophistiqué. Le caractère modal des mélodies est renforcé par les bourdons joués à la contrebasse à archet. Au niveau du chant c'est une présence inévitable, un style.

Odette Blanc Gras est une vraie chanteuse avec un timbre, un répertoire, un placement de la voix. D'ailleurs on a voulu que sur le CD, il y ait des moments instrumentaux plus denses, des thèmes très construits, des improvisations et des moments où elle intervient dans un espace-temps vraiment différent.

Le titre du CD, "Les couleurs du cercle", symbolise cet espace de rencontre entre tous ces gens qui tournent autour du Rural Café et ces musiques composées de percussions orientales, de chant du Champsaur, de violon d'Ardèche et du Dauphiné, de timbres de musique ancienne, de rythmiques avec des cordes "à la mode celte", de ponctuations jazzy au piano Le tout dans la recherche d'un phrasé original, directement issu de ces musiques, de couleurs harmoniques qui éclairent les modes, et avec bien sûr l'indispensable plaisir de jouer ensemble et de le faire partager. Propos recueillis par V.P. Concerts et stages Samedi 7 juillet

Thueyts (07), Journées occitanes du Vivarais,17h Conférence sur la musique traditionnelle en Ardèche par P. Mazellier, 21h Bal traditionnel avec Rural Café

rens. 04 75 36 41 08 Samedi 21 juillet - jeudi 26 juillet - vendredi 27 juillet

Espenel (26), Concert et Bal avec Rural Café

rens. 04 75 21 72 55 Samedi 28 juillet

St Julien de Serres (07) dans le cadre de la fête des Savoirs de terroirs, de 11h à 17h, animation musicale, atelier violon et chant autour de la musique traditionnelle d'Ardèche avec P. Mazellier

rens. 04 75 37 65 37 Mercredi 1er août - Jeudi 2 août

Romans (26), dans le cadre des Jeudis Musicaux, 21h concert avec Rural café

rens.04 75 71 26 00 Samedi 1er septembre

Orcières (05), 21h gite de Chauffarel, "La veillée des chanteuses", avec la participation des chanteuses et chanteurs de Renveillés du village d'Orcières

rens. 04 92 55 78 41 Contact

P. Mazellier / Rural Café Tél : 04 75 45 03 65 Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie

Tél : 04 76 85 19 13


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