Narahm
La renaissance des musiques arabes
Entretien avec Chafik Khelifati
CMTRA : CHAFIK, tu viens de constituer le Trio NARAHM avec Philippe Roche au 'oud et Cédric Germain aux percussions, toi-même jouant du violon dans cette formation : quel est votre répertoire ?
Chafik Khalifati : Il s'agit de musique classique arabe, concentrée sur l'époque « Renaissance », c'est-à-dire la fin du XIXème siècle. La Renaissance pour nous correspond à la chute de l'empire turc qui régnait sur le monde arabe. Tous les musiciens de l'époque, que ce soit Der Ouich, Abul Ailila ou les grands maîtres de cette musique arabe savante ont essayé de rénover et de restaurer cette musique qui ne se jouait plus que dans les palais royaux. Ce mouvement était concentré en Egypte et en Syrie, et ils ont voulu sortir de ce cadre aristocratique pour en faire une musique plus populaire, en tous cas mieux connue et diffusée, par des concerts.
Nous avons accès à ces musiques par la collection de disques enregistrés par Delagrange dans les années 1900, bien avant le Congrès de musique arabe du Caire organisé par le Baron Erlinger, et qui a fixé des règles pour cette musique. Il y a dans ces enregistrements des pièces très anciennes, du XVème et XVIème siècles, et aussi des pièces turques : on ne connaît pas les conditions de cet enregistrement, c'est un peu mystérieux, mais la musique est vraiment intéressante. Il existe aussi d'autre disques consacrés au café-musique du Caire, où l'on jouait les «taatouas», les musique plus festives, mais qui restent dans le cadre des musiques classiques à écouter.
CMTRA : Vos sources sont donc surtous ces vieux disques ?
C.K. : Non, car après le Congrès du Caire tout le monde a essayé de noter ces musiques. Les musiciens ont réalisé l'importance de l'écriture pour transmettre ces musiques : elles passaient de musicien à musicien oralement, mais à cette époque tout commençait à se perdre. Il y a donc eu un réveil pour sauvegarder ces uvres. Notre Trio se base beaucoup sur les enregistrements, et un peu sur des écritures très « soft et carrées » !
CMTRA : Votre Trio est composé d'un oud, un violon et un percussionniste. Cette formule correspond-elle à un ensemble spécifique ?
C.K. : Cela correspond au « Takht », c'est-à-dire l'orchestre minimum-maximum de la tradition : il peut y avoir un kanoun ou/et le chant, mais cette notion de trio existe dans la musique de chambre classique arabe. Personnellement, j'étais fasciné par le Trio Zyriab, par leur son.
CMTRA : Tu as appris le violon classique occidental au Conservatoire d'Alger, et c'est en venant en France que tu as étudié la musique classique arabe ?
C.K. : J'ai du changer l'esprit de mon jeu, et l'accord du violon lui-même, puisque le violon occidental est accordé mi-la-ré-sol, et le violon oriental ré-sol-ré-sol.. J'ai deux violons pour ne pas confondre ! Le travail sur les quarts de ton aussi est très particulier à la musique arabe. Mais tout l'apprentissage que j'ai reçu en musique classique occidentale à Alger me sert beaucoup, pour les bases techniques notamment.
Il n'existe pas une méthode de violon oriental : coups d'archet, doigtés, etc cela reste à écrire. J'ai beaucoup appris avec Marc Loopuyt, à l'Ecole de musique de Villeurbanne. J'ai essayé avec lui d'avoir une approche profonde sur l'instrument, inspirée du 'oud car les techniques sont très proches. On a beaucoup écouté, car ce que je connaissais de la musique arabe c'était surtout de la danse.
CMTRA : Que signifie Narahm, le nom de votre Trio ?
C.K. : Narahm ou « narma », c'est la mélodie. Notre travail pour le moment porte sur des instrumentaux, car nous n'avons pas encore de chant dans le groupe. Nous jouons des mélodies, des maqams, et le texte n'est pas présent dans notre musique.
CMTRA : On voit bien que la musique orientale est très représentée en Rhône-Alpes, avec de nombreux musiciens de très grande qualité : existe-t-il un lieu de rencontre, une scène spécifique et ouverte pour vos musiques ?
C.K. : Cette question est importante. Personnellement, moi je souhaite qu'il existe un lieu de rencontres entre nous, mais cela n'existe pas. On n'accepte pas facilement les gens qui veulent découvrir cette musique, et nous n'avons pas l'équivalent du Hot-Club pour le Jazz avec leurs bufs ouverts, tous les jours.
Pour les musiques orientales, il existe les concerts et c'est très bien, mais pas d'espace de jeu et de rencontre comme la Nuit de la Méditerranée à l'Auditorium, que j'ai adorée parce qu'on pouvait passer du temps avec tout le monde.
CMTRA : Les projets pour NARAHM ?
C.K. : On a enregistré une démo de cinq thèmes, que les gens peuvent nous demander : on a voulu illustrer chaque style dans ce répertoire. Ce qu'il me semble important de dire, c'est que cette musique n'est pas la propriété de gens « qui viennent de là-bas » ou qui sont arabes de naissance. C'est une musique que tout le monde peut jouer et aimer, comme Philippe et Cédric le font. Souvent on leur dit ; « tiens, des français qui font de la musique arabe ». Ils travaillent avec moi chaque semaine, et c'est clairement une musique collective.
Enfin je veux dire que nous jouons une musique classique, ancienne, mais aussi des musiques de compositeurs contemporains, qui sont en vie, et qui composent dans l'esprit de « Nardha », la Renaissance, comme Mohamed el Hardidi ou Selim Nour.
Propos recueillis par EM.
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Philippe Roche : 04 74 71 90 95
Chafik Khalifati : 06 03 20 90 16