L'école du langage musical
Entretien avec Hervé Baron
CMTRA : Hervé Baron, vous êtes responsable et animateur de l'École du Langage Musical située à Meyzieu. Dans cette École de Musique, vous utilisez, entre autres, les chansons traditionnelles, les chansons populaires. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Hervé Baron : La chanson de tradition est constituée pour être transmise oralement, elle est ici un outil : de très nombreuses chansons sont construites sur une forme de 4 phrases, on remarque que la phrase 3 est identique à la phrase 1 et que la phrase 4 est identique à la phrase 2, simplement la dernière note change, pour être conclusive.
Ceci pour illustrer l'idée que ces chansons sont faites pour être reproduites, pour la répétition. Lorsqu'on ne connaît pas ce type de chanson, on peut, par l'imitation, entrer rapidement dans la pratique. J'utilise cela avec les enfants, les adultes qui s'occupent de petite enfance et qui ont envie d'utiliser la chanson, mais aussi auprès d'adultes qui ont tout simplement envie de pratiquer ce type de répertoire, ou encore dans des lieux d'accueil parent-enfants, auprès de femmes d'origine diverses.
La chanson traditionnelle est donc un"outil". Je préfère parler de chanson traditionnelle plutôt que de chanson populaire, parce la chanson populaire sous-entend qu'elle appartient au peuple, et le souci que l'on pourrait avoir aujourd'hui c'est que l'on se les approprie moins, elles n'évoluent pas. J'ai étudié plusieurs répertoires d'un peu partout en France, et j'ai remarqué que les mêmes chansons se retrouvent dans toutes les régions, avec, il est vrai, des variantes, des nuances. Il y a eu une époque où les chansons mettaient des générations et des générations à se transmettre, les sociétés traditionnelles étaient vivantes, il y a avait un vécu à travers cela. Aujourd'hui, il est difficile de parler de la chanson populaire, appartenant au peuple, dans la mesure ou dans la vie quotidienne on ne les chante pas.
CMTRA : Vous avez indiqué que vous vous adressez à des enfants et des adultes, dans quels cadres ?
H.B. : Dans le cadre du cours ou dans le cadre d'une intervention dans une structure. Dans le cours, je travaille avec des enfants, des adultes, et là je m'appuie beaucoup sur la chanson de tradition. On travaille au niveau du rythme pour repérer tout ce qui constitue une forme dans la chanson, en s'appuyant toujours sur le vécu, le geste, comme le frappé de main pour ce qui est du rythme. On a un échantillonnage très riche d'éléments de langage musical dans la chanson de tradition. Il y a toujours des surprises, que l'on n'aura pas dans la variété par exemple.
L'aspect mélodique est intéressant, on a beaucoup d'imprégnation, par exemple la modalité que l'on retrouve largement dans la chanson de tradition orale. Cela donne un échantillon plus large au niveau du travail auditif que celui qu'on aurait en travaillant uniquement sur un répertoire classique, ou de variété, ou les chansons véhiculées par les structures institutionnelles du début du XXe siècle.
CMTRA : Pour en revenir au public, peut-être pouvez-vous nous en dire plus sur vos cadres d'intervention ?
H.B. : J'interviens en structure de petite enfance essentiellement. Il y a deux aspects dans le travail : le premier concerne la démarche pédagogique et le développement global de l'enfant dans l'activité musique. L'idée est de comprendre que la musique est un outil, ce qui nous intéresse, c'est établir un cadre relationnel.
Le deuxième aspect est de mettre en place des repères pratiques autour de la chanson. Cela part d'un constat : très souvent, quand j'utilise une chanson ou que je joue de la flûte, je propose à quelqu'un de frapper dans les mains ou de jouer sur un tambour, et certains ne sont pas du tout à l'aise pour frapper un tempo. De-là on a mis en place, dans de nombreuses structures où l'on intervient, un atelier de chansons. L'idée est simplement d'être à l'aise, d'avoir des repères au niveau du rythme...
Plus précisément, j'interviens à Bron, dans les crèches, les garderies, en cadre municipal et associatif, et dans les hôpitaux. J'ai vécu une expérience intéressante dans un quartier difficile de Bron où a été mise en place une structure polyvalente de halte-garderie, centre de loisirs pour les petits, et lieu d'accueil parents-enfants.
Nous avons proposé un atelier de chansons auprès de ce public essentiellement constitué de femmes maghrébines et turques. Cela a vraiment bien marché. Le bilan était vraiment intéressant, on s'est rendu compte qu'elles n'avaient pas voulu proposer leur répertoire, une seule chanson en arabe a été chantée. Elles ont énormément accroché au répertoire que je leur ai proposé : elles ont repris entre autres une berceuse bretonne qui a eu un succès fou et qu'elles ont chanté à leur manière.
On a terminé par une rencontre entre les différents professionnels de ces structures et ces femmes. C'était un moment chaleureux, tous les enfants du quartier étaient sur les balcons, et nous nous chantions dans la rue.
CMTRA : Je crois savoir que vous intervenez non seulement à Bron, mais dans d'autres communes ?
H.B. : Depuis 10 ans dans les crèches municipales de Rilleux, à Meyzieu, dans l'est vers Villefontaine, dans des structures parentales, à Meirieux, Toussieux, St-Pierre-de-Chandieux. Nous avons aussi une association à Hauteville, qui existe par elle-même, et là on intervient dans le cadre du festival depuis deux ans.
CMTRA : Avez-vous vous-même un lieu dans lequel vous avez une activité régulière ?
H.B. : Oui, à Meyzieu, on est accueilli depuis 8 ans par le centre social Flora Tristan qui accueille aussi d'autres associations.
CMTRA : Vous avez intitulé votre association non pas "École de Musique" mais "École du langage musical". Pourquoi ?
H.B. : Le langage musical pose question. On veut amener les gens à réfléchir à l'idée que la musique n'est pas uniquement l'instrument ou le solfège, mais elle est beaucoup plus que cela. Avant de rentrer au CP, l'enfant a acquis un certain nombre d'éléments qui l'ont préparé à cela. Pour la musique, c'est pareil.
CMTRA : Quels seraient vos objectifs pour un développement de votre activité ?
H.B. : Il faudrait pouvoir faire entrer des professeurs dans l'association. Pour une association indépendante, il est difficile de se développer parce qu'on a très peu de subventions, on est autonome. Une école de musique, très institutionnalisée, est fortement aidée par la municipalité et peut alors intégrer des gens dans la structure.
Pour nous ce n'est pas le cas, l'enseignant doit produire. On est dans une situation où il y a une réelle demande et en même temps il faut pouvoir être capable de produire un travail conséquent, en sachant que nous n'avons pas les garanties sociales équivalentes à un poste de professeur dans une institution.
CMTRA : Quel est votre parcours, comment est-ce qu'on devient professionnel en cette matière ?
H.B. : J'ai mon propre parcours d'enseignant de la musique et de musicien, que j'ai remis en question un jour en rencontrant ce que l'on appelle "les musiques actives". J'y ai trouvé de nouvelles techniques d'enseignement, et à partir de ce jour, j'ai changé toute mon approche pédagogique. Ensuite ce sont des rencontres avec des structures de petites enfances qui s'adressaient à un professeur de musique.
Ma première expérience c'était il y a 12 ans. Petit à petit, avec l'expérience et les rencontres, j'ai mis en place un programme de formation. Je travaille vraiment en collaboration avec les professionnels de la petite enfance, les éducateurs qui sont de très bons experts, qui connaissent leur domaine. Ce qui veut dire que l'intervention en elle-même est essentiellement pédagogique plus que musicale, la musique est un outil. L'essentiel c'est la relation.
Le grand cliché, c'est faire une intervention pour l'intervention, et vouloir absolument des résultats. C'est une chose contre laquelle on se défend tout le temps, car il faut arriver à travailler sur le contact.
CMTRA : Pour la réussite de votre programme, et pour améliorer les possibilités de faire une évaluation, êtes-vous obligé d'inscrire votre travail dans la durée ?
H.B. : Les interventions que je mène ont, pour certaines d'entre-elles, un recul de 8 à 10 ans. Nous faisons des bilans après chaque séance, et des bilans annuels. Il faut être réceptif à l'état de l'enfant. Il y a un équilibre à trouver entre l'hyper-laxisme et l'attente du résultat. Il faut vraiment être à l'écoute du rythme de l'enfant. En réalité la dynamique d'une évaluation, c'est aussi en temps réel.
CMTRA : Dans ce créneau que vous avez choisi, il y a certainement d'autres structures et d'autres personnes qui interviennent. Est-ce que vous disposez d'une association nationale qui fédère tous ces acteurs, toutes ces initiatives, ou bien chacun mène-t-il sa barque de manière isolé ?
H.B. : On a souhaité être affilié d'une manière administrative à Jeunesse et Sport. Il y a de grandes associations nationales, "Enfance et Musique" par exemple, mais il n'y a pas d'action fédératrice à ma connaissance. On croise beaucoup d'individus, et d'associations locales.
Propos recueillis par J.B.
Contact
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12, Av. Lucien Buisson
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