Les Doigts de l'Homme - Rock Manouche
Rencontre informelle avec Olivier KIKTEFF, Tanguy BLUM et Yannick Alcocer. Discussion « version strip-tease » autour de la vie Des Doigts de l'Homme.
CMTRA : Les doigts de l'Homme sont nés dans la rue, de la rue... Parcourez-vous toujours cet espace ?
LDH : Les Doigts de l'Homme sont nés il y a un peu plus de trois ans dans les rues de Rennes. Après avoir renoncé à l'interim et aux solutions d'urgence, c'est la nécessité de vivre qui nous y a poussé. Pour s'en sortir, on avait décidé de trouver une solution de musicien, même précaire. Aujourd'hui, on joue moins dans la rue puisque le calendrier des dates de concerts se charge et que les tournées prennent une envergure plus large.
Que (re-)trouvez-vous lorsque vous avez le temps d'y rejouer ?
On y retrouve des gens : ceux qui en vivent, ceux qu'on a connu et qui nous reconnaissent. Economiquement, nous n'avons plus besoin de la rue, on vit la proximité avec les gens qui y vivent, qui s'y arrêtent ou qui y tracent. Humainement, ce sont toujours des expériences riches. Sur le plan musical, tu peux toucher n'importe qui. D'une certaine façon, jouer dans la rue constitue un vecteur de démocratisation culturelle. Le nombre de personnes qui prennent des risques pour aller voir des spectacles dans les lieux culturels décroît de plus en plus. Dans la rue, la rencontre reste risquée, immédiate et non calculée. Par exemple, la m'dame dont l'autoradio est resté coincé sur NRJ et qui se retrouve subitement devant notre musique est libre de s'arrêter ou de passer son chemin. Tout y est moins confortable du fait de la gratuité. Le mec n'est pas tenu par le prix du billet qu'il a payé mais uniquement par la musique. Donc quand ça prend, ce sont toujours de grosses émulations.
Musicalement, y-a-t'il des choses possibles dans la rue que le cadre hermétique d'une salle de concert « aseptisée » ne permet pas ?
Oui, la rue, c'est spectaculaire et cela a aussi un effet pervers. C'est extrêmement fastidieux de jouer quelque chose de beau ou d'émouvant dans un contexte où c'est le bordel ! Du coup, tu rentres dans la performance, tu joues tout à 200 à l'heure et très fort puisqu'il faut se faire entendre.
Comment appréhendez-vous l'écriture des thèmes entre vous ?
T.B : La création se déroule assez logiquement autour des compositions d'Olivier puisqu'il est à l'origine du projet.
O.K : Même si je ne suis pas hermétique au fait que les autres composent, je sais par expérience qu'il faut un garant du projet. A ce titre, je veux continuer à faire le tri le plus possible. Là où je ne suis pas non plus hermétique, c'est que parfois, j'ai proposé des morceaux qui ont été rejetés par les deux autres et qui finalement, ont été dégagés.
T.B : On a fait valoir notre rôle de délégué syndical ! Même si on parle de ce qu'on va jouer et du comment on va le jouer, qu'on tombe d'accord ou qu'on tergiverse, quand il faut vraiment trancher sur le choix d'un morceau, Olivier tranche... C'est le rôle qu'on lui reconnaît, il est « chef de projet ».
O.K : Pour autant, ce rôle ne me permet pas d'abuser d'autorité illégitime. J'ai les mêmes devoirs et notamment celui d'argumenter mes propos lorsqu'on doit opérer à des choix.
T.B : Chacun a son mot à dire sur le plan des thèmes et des arrangements et la richesse de nos échanges nous permet d'avancer. Avoir un chef de projet nous permet de ne pas tourner en rond trop longtemps.
O.K : Autant je crois globalement en l'idée de démocratie et notamment dans la vie, autant je n'ai pas toujours su assumer ce rôle et cette idée simultanément dans certaines de mes expériences passées. Je me suis parfois retrouvé avec des groupes où on criait tous de plus en plus fort pour finir dans une non-écoute générale de l'autre. En musique comme dans la vie, je pense que la démocratie doit être cadrée.
Hé alors, la création chez Les Doigts de l'Homme est-elle un modèle de démocratie en actes ?
O.K : Oui, c'en est une. Mais notre démocratie, ce n'est pas quand tout le monde l'ouvre, on est jamais tous d'accord. J'ai une idée de ce que je veux, et de ce que je ne veux pas, mon négociable et mon non-négociable. Je suis prêt à tenter plein de trucs mais j'ai le devoir de conduire l'exploration, de la guider et éventuellement d'y mettre fin lorsqu'elle part « hors cadre ».
L'appellation du trio atteste également du côté démocrate dans notre façon de fonctionner. Bien souvent, le nom des formations dans nos esthétiques, c'est celui du soliste. Peu importe les collègues, le principal, c'est le soliste. A l'inverse, « Les Doigts de l'Homme » exprime une idée du collectif en même temps qu'elle lui donne un visage humain.
Et puis n'oublions pas la vie de tous les jours où tout le monde a la même place. On passe des milliers de bornes à trois dans un camion, on vit la moitié du temps ensemble, parfois plusieurs semaines d'affilée, on apprend à se connaître, on saisit nos limites respectives.
La vie de famille a-t-elle connu quelques moments de déroute ?
O.K : La constitution de la formation est fondée sur la notion de rencontre. On s'est tous connus dans un bistrot ou dans la rue. Et de cette rencontre, l'affinité avec les gens a toujours primé. Je préfère avoir des affinités avec les gens qui ont des petits défauts, cela me permet à mon tour d'en avoir. Je ne suis pas irréprochable, les faiblesses des autres me permettent les miennes tant sur le plan de la musique que sur l'humain. Sur ce plan, on ne s'est parfois pas tous compris, notamment avec notre ancien guitariste qui a quitté le trio. « Où est ce que ça a foiré ? » ... L'égo bien taillé de chacun de nous deux, l'incompatibilité de nos caractères sur la longueur, des visions différentes et fondamentales sur le projet, le cumul de tout ça aussi sans doute... C'est un peu comme en couple finalement, si le fond va bien, les chaussettes qui traînent, c'est pas un problème, si le fond va mal, alors on se les balance dans la g...
No Comment et sans transition. Comment vous positionnez-vous par rapport à l'étiquette « swing manouche » dont on a souvent tendance (à tord ?) à « affubler » votre musique ?
Il n'y a pas catégoriquement refus de cette étiquette. La revendication systématique et épidermique de son originalité, c'est naze... Il s'agit d'éviter que ces étiquettes dont les caractéristiques ont été fixées par d'autres nous brident, on ne veut pas se poser de limites. Quand c'est ton projet, t'en as rien à faire si c'est du swing manouche ou du « chrdede???? ! » Pour les chroniques ou les programmateurs, cela reste évidemment du jazz manouche.
Il reste quand même indéniablement une de vos principales influences...
L.D.H : Le jazz manouche reste une base qui nous plaît, le prétexte de notre rencontre et peut être même du projet. On en a fait pendant des années. Mais notre idée, c'est de se l'approprier pour en faire quelque chose de personnel. On en teste les limites en même temps qu'on va chercher dans d'autres couleurs et envies pour aboutir une tambouille qui se nomme Les Doigts de l'Homme.
O.K : Il ne s'agit pas de renier le jazz manouche. Cette musique a été posée par Django et les gens dont c'est la culture défendent ce courant. Et c'est important, c'est leur patrimoine. Mais nous ne sommes pas manouches, on ignore les trois quarts de cette culture et nous serions ridicules avec la moustache à la Django ! Cela ne nous ressemblerait pas. Par contraste, j'ai longtemps complexé d'être un guitariste de rock. Pour moi, les rockeurs étaient les débiles de l'histoire et les jazzmen, le haut du panier jusqu'à ce que je m'aperçoive qu'il existe de grands musiciens de rock. Thomas Dutronc disait il y a pas longtemps : « Tu feras pas faire du rock à un Manouche. » Dans les Doigts de l'Homme, il n'y a pas plus de refus de l'étiquette que de complexes à dire qu'il y a une énergie rock dans ce que nous faisons...
Et alors, qu'en est-il de votre troisième album ? Est-il rangé dans le bac « Rock Manouche » chez les distributeurs ?
En effet, cette appellation correspond bien au Doigts de l'Homme. Cet album résulte de la maturation progressive de notre musique, de notre projet et de nos disques précédents.
Notre premier CD était vraiment l'illustration de notre découverte du manouche. Après, la question s'est posée : qu'est ce que tout ça va devenir ? Où va notre musique ? Est-ce la nôtre finalement ? On avait deux options. Soit on forçait le trait sur le manouche et là, on avait aucune chance. Soit faire en sorte que le truc nous appartienne enfin. Dans le second album, on sent que ce processus est déjà en marche, on essaie timidement deux ou trois choses. Dans ce troisième, l'idée est claire : on lâche tout ce qui vient, on avance tout. Résultat : 20 morceaux sur la table pour n'en garder au final que 14.
TB : Sur le rendu, on en sort juste la tête. Or, avoir du recul sur son propre disque prend du temps ! Une couleur générale de son réunit tous les morceaux et en fait un objet homogène. Mais le plus intéressant je pense, c'est qu'à aucun moment de l'album, on se dit qu'il y en a marre ou qu'on a déjà entendu ça... La voix fait son arrivée comme le banjo qui constituent des moyens supplémentaires pour s'exprimer.
L'apparition de la voix sur ce troisième album, est-ce là la matérialisation du « No Limit » qui vous anime ?
OK : J'ai toujours fonctionné dans des projets où, quand ça commençait à devenir statique, je me cassais de là. Quand tu sens que tu ne peux pas pousser les murs, ça paraît trop confortable. Les gens qui peuvent se vanter d'avoir une empreinte, ce ne sont pas pour moi des gens qui ont voulu faire la même chose... L'idée que, à chaque fois que tu achètes un disque, t'es un peu excité parce que tu ne sais pas ce qu'il y a dessus me plaît.
Titre n°5 : Camping Sauvage à Auschwitz... Quel sentiment à précédé le choix de cette appellation quelque peu déroutante ?
Ca aurait trop simple de faire un thème tzigane et de l'appeler « Ma caravane chérie. » J'ai pensé à l'histoire de la déportation, non seulement des juifs mais aussi des handicapés, des homosexuels ou des communistes. Et il m'est venu un jour qu'en plus d'avoir été déportés, ils avaient été sévèrement humiliés en étant privés du droit de vivre de façon nomade. Sans doute est-ce un jeu de mot facile sur un sujet grave avec un côté quelque peu ambigu mais la démarche est sincère et sans démagogie...
D'après les propos recueillis par Jean Sébastien ESNAULT
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Yves Colomb
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