Dyade A&D
Ici, là-bas, cultures solidaires
Fondée en 1998 et implantée à Fontaine, dans l'agglomération grenobloise, Dyade Art & Développement est une association formée par un collectif de techniciens et d'artistes désirant posséder la maîtrise de leur outil de production. Elle regroupe des artistes et des techniciens autour d'une démarche de production artistique, d'utilité sociale et de culture solidaire.
Nous avons rencontré deux membres de l'association, Nizar Baraket et Marc Olivier pour la sortie du CD du groupe Afrah, un CD enregistré sous le Label Dyade A&D, dans le village d'Outat El Haj (Maroc oriental) auprès de musiciens traditionnels.
CMTRA : Quelle musique jouent les membres de ce groupe marocain ?
N.B & M.O : Le groupe Afrah est mené par Mohammed El Hayani qui en est le conseiller artistique. Les musiciens sont des hommes entre 25 et 35 ans qui ont tous appris auprès de lui, on retrouve dans le groupe les instruments traditionnels, bendir*, ghaïta*, gasba*, violon, chant. En ce qui concerne les paroles, elles sont très suggestives ... ce sont principalement des chants d'amour, de séduction. C'est vraiment de la musique rurale et profane, de la musique de fête. Ce style concerne l'est du Maroc, on le retrouve également en Algérie et dans l'ouest tunisien, ce sont en quelques sortes des standards de la musique populaire rurale au Maghreb.
Ce projet de disque est-il né du désir de faire quelque chose contre la fragilité des musiques traditionnelles de cette partie du Maroc, ou est-ce au contraire leur grande vitalité qui vous a inspiré ce travail ?
L'impression que nous avons eue est que les musiques traditionnelles marocaines étaient très vivaces. Après, les musiques traditionnelles au Maroc sont un peu en danger car on commence à entendre la même soupe par le biais de chaînes de télé, ce qui fait que les musiciens échangent de plus en plus leurs instruments pour prendre des instruments occidentaux (utilisation du synthétiseur, sonorisation criarde des instruments ...). Ce dont on s'est rendu compte, c'est que par exemple dans le cas d'Afrah, le groupe a voulu enregistrer avec un synthétiseur alors qu'il n'utilise jamais cet instrument. L'argument présenté par les musiciens était que cela plairait en Europe, ils avaient vraiment le sentiment que telle quelle, cette musique ne serait pas comprise. Nous avons alors décidé d'enregistrer le même morceau avec synthétiseur, puis sans synthétiseur, puis nous l'avons fait écouter à l'ensemble du village, un consensus s'est alors créé pour dire « effectivement, ça sonne pas au synthé » ... et l'idée a alors été repoussée.
N'est-ce pas comme ça qu'une musique traditionnelle se transforme en produit world, pour satisfaire ce qu'on imagine être le goût occidental ?
Il y a pour nous, un vrai enjeu à valoriser aux yeux des gens du pays, la qualité et la beauté de leur musique. C'était important que les gens soient fiers de leur son tel qu'il est, et qu'ils ne ressentent pas le besoin de le bidouiller pour le plaisir des occidentaux. Ce qui n'a pas empêché l'innovation dans ce disque puisque l'on trouve par exemple un violon, un instrument atypique dans cette région.
Parlez-nous un peu de la richesse musicale caractéristique de ce pays ?
C'est un pays pluriculturel, donc il y a divers sources culturelles qui façonnent plusieurs musiques. Il faut aussi prendre en compte la nature des activités sociales pendant lesquelles ces musiques interviennent. Ce ne sont pas les mêmes musiques pour les activités religieuses, pour les naissances et les mariages. Et pour les moussems, pour les grands fêtes où l'on fait des danses collectives, il s'agit encore d'autres musiques. Cet aspect là est aussi passionnant. Pour un groupe comme les musiciens d'Afrah, leur fonction est d'intervenir dans les événements familiaux, notamment les mariages. Il y a une véritable fierté pour ce patrimoine, une fierté qui est d'autant plus forte qu'il y a au Maroc un fort esprit de décentralisation. Chaque localité, chaque région défend son identité, son héritage avec une grande conviction.
On se demande parfois si le disque n'a pas été enregistré en studio, car le son est très propre, très soigné, et en même temps on a aussi l'impression d'une musique prise sur le vif ...
Il s'agissait d'un enregistrement public et tout le village était présent, c'était important car dans cette musique, les danseurs inspirent des variations rythmiques aux musiciens et les stimulent. Mais le silence était demandé, le public ne se manifestait qu'à la fin de l'enregistrement. L‘intensité particulière de ce disque vient aussi du fait qu'il s'agissait d'un événement particulier où toute la communauté était présente.
Parlez-nous de la démarche globale du collectif ; ce désir de mutualisation des moyens et des connaissances est-il le fruit d'un ras-le-bol général ou est-ce la concrétisation d'un cheminement politique commun ?
Nous cherchons à produire de la culture autrement. Chacun d'entre nous a un rapport intime à la pratique artistique, nous avons donc conscience de la manière dont les choses fonctionnent. Il fallait qu'à notre niveau, nous trouvions des solutions, car on ne pouvait pas compter sur le marché pour mener à bien nos projets. Une partie de l'équipe, tout en ayant un pied dans la partie artistique, était plutôt tournée vers l'économie sociale, s'intéressant au développement et aux problématiques du commerce équitable. Nous sommes partis d'une analyse sur la culture ; à quoi sert-elle? Comment fonctionne ce marché qui est très dérégulé, très concentré ? En réfléchissant sur l'idée du maintien de la diversité culturelle, sur l'envie d'une production artistique sincère et authentique, et sur la volonté de tirer le meilleur parti possible de la présence des artistes pour notre société, nous avons été amenés à réfléchir sur la notion d'une économie sociale de la culture. Cela fait partie d'une philosophie d'ensemble sur comment on arrive à trouver des solutions alternatives pour trouver une meilleure articulation entre l'art et le société. Parce que si on ne trouve pas des solutions, on ne fait que subir le marché, or le marché ne produit, in fine, que ce qui l'arrange.
Votre désir serait pour ce disque d'Afah d'atteindre une répartition de ce type : 60% des fonds seraient consacrés à des projets dans ce village marocain, 20% pour les musiciens, 20% pour la production, après amortissement des coûts.
Dans une problématique de culture solidaire, les pourcentages sont différents parce que le montage et la manière de travailler sont radicalement différents. Cela dit, il s'agit d'une expérience pilote, on en est encore au stade où il faut amortir le disque. C'est pour cette étape que nous cherchons des partenaires à la distribution parmi les acteurs du commerce équitable, ce qui nous permettrait de négocier dans de meilleures conditions avec des grands distributeurs. Une fois amortis les frais de production, il sera possible de financer des projets locaux ; nous avons entendus parler de projet de petite école d'apprentissage de danse et de musique. Une autre idée venait des femmes qui désireraient faire une coopérative de conserves d'olives. Nous souhaitons que les fruits de ce travail reviennent à la population locale dans son ensemble, et que la population locale sache que cela se fait grâce aux musiciens.
J'ai relevé à ce propos dans votre dossier cette phrase, « transformer le patrimoine immatériel de la musique traditionnelle en ressources collective » ...
C'est cela, cette notion de redistribution. Nous voulons créer des systèmes structurants pour transformer ce patrimoine en richesse collective, car la musique traditionnelle est collective, et il faut des générations pour qu'elle existe telle qu'elle est aujourd'hui.
Une contractualisation excessive et une rémunération à l'occidentale ne peut-elle pas susciter des revers imprévus sur le terrain ?
Oui, c'est vrai particulièrement par rapport au phénomène de « starification » artistique excessive que l'enregistrement d'un CD peut provoquer. Les gens sont dans un équilibre et l'enregistrement et la commercialisation d'un CD peuvent venir rompre cet équilibre. C'est pour cela que nous sommes attentifs à ce qu'il y ait toujours quelque chose de collectif pour continuer à avancer ensemble. C'est un risque réel, nous travaillons avec des populations qui ne rêvent souvent que d'une chose, c'est de quitter le Maroc pour venir en France, c'est donc un risque réel. Pour gérer cela à leur niveau ça n'est pas évident, c'est pour cela que le temps est important et qu'il faut faire les choses progressivement. Cela dit, la contractualisation est obligatoire qu'on le veuille ou non (heureusement) et nos rémunérations sont adaptées au contexte marocain.
Vous avez un autre disque sur le feu ...
C'est un enregistrement des Aïssawa de Meknes, une confrérie religieuse dont l'univers musical est très percussion ; c'est une musique de processsion. Il y a six voire sept percussions différentes, chacune avec leur propre son, d'où une très grande richesse polyrythmique C'est une musique de transe qui évolue lentement.. Le disque sera commercialisé en 2006.
Le collectif d'artistes ... une spécialité grenobloise ? Je pense au collectif Mustradem, aux nombreux squats ouverts dans la ville ...
C'est une vieille habitude à Grenoble: le mouvement du planning familial s'est lancé à Grenoble, le mouvement des unions de quartiers, le MLF, la révolution française (rires), si je vous assure ...
Et c'est vrai qu'aujourd'hui, c'est une pratique de plus en plus courante dans le secteur artistique, nous rencontrons beaucoup de jeunes collectifs qui se lancent, sur ces notions de mutualisation d'outils de travail, sur la création de solidarités à partir de travaux concrets, avec une sensibilité à la solidarité internationale. Grenoble et son agglomération sont pour cela un laboratoire assez intéressant.
Propos recueillis par P.B.
*Bendir : Tambourin
*Ghaïta : Hautbois populaire à anche double
*Gasba : Flûte oblique en roseau
Tournée du groupe prévue en Mars 2006
2 CD produits par Dyade A&D sont disponibles en VPC, voir page 17 :
AFRAH-Outat El Haj (Maroc oriental)
Ref : Dyade 003/1
Kerkennah
Dyade 002/1
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Tel 04 76 27 06 23