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Tools Percussions

Entretien avec Richard Monségu CMTRA : Richard Monségu, tu viens de créer le groupe "Tools".

Richard Monségu : "Les Tools" sont une formation de cinq musiciens créée en octobre 1996, avec Christophe Urbanski, Jean-Philippe Rosemplatt, Franck Leymerégie sur Bordeaux, et Lionel Gourichon et moi, ici à Lyon. Les Tools ont voulu se différencier de ce qui se fait dans le milieu musical "exilé" de la musique africaine, par exemple avec les cours de Famoudou Konaté, Adama Dramé ou de Mamady Keïta, les grands maîtres de la percussion mandingue qui viennent en France pour enseigner les polyrythmies, bien connues maintenant, et demandées par un public de plus en plus large. Nous, avec les Tools, nous avons voulu utiliser ces instruments pour faire notre propre musique spécifique, en essayant d'ajouter les expériences musicales de chacun. CMTRA : Le djembé reste très emblématique de la "percussion africaine", et c'est sans doute la percussion la plus jouée en France en musique traditionnelle: mais utilisez-vous d'autres instruments, sur lesquels vous auriez entrepris une vraie recherche ?

R.M. : Ce que j'ai essayé de comprendre, c'est quelle place ont ces instruments dans la société d'origine. Car il faut dire que nous faisons partie de la "deuxième génération" de joueurs de djembé en France, les premiers ayant commencé à jouer au début des années 1980. Nous sommes arrivés dans des réseaux autour de cette musique, par des cours de danse et des cours de percussions, à la fin des années 1980, avec notre propre culture musicale qui allait du funk au rock... à l'époque j'étais DJ, donc toutes ces expériences m'ont fortement influencé, de même pour tous les membres du groupe.

C'est très difficile de faire une musique originale avec des percussions, parce que justement c'est une musique qui n'est pas très médiatisée: on a tendance a considérer que la musique de percussions, c'est un peu toujours la même chose! Ainsi les expérience de chacun ont permis de faire une musique un peu plus personnelle. CMTRA : Ce "personnel" se rapproche-t-il de ce que l'on pourrait appeler une musique "traditionnelle", "contemporaine" ?...

R.M. : Je pense que l'on fait partie du mouvement actuel de la World Music. Avec les expériences individuelles de chacun, Christophe dans les musiques arabes, Jean-Philippe dans les musiques caraïbéennes et Franck dans les musiques antillaises, Lionel et moi-même en musique du Maghreb et percussions "africaines". Ceci nous a permis de construire un répertoire de manière à plaire à un public connaissant la percussion traditionnelle, et ensuite à un public qui ne la connaît pas : je veux dire à un public mélodiste avec des pratiques musicales harmoniques. En ce qui nous concerne, nous essayons d'arranger nos morceaux comme des compositions mélodiques.

À côté du djembé, nous utilisons des instruments comme les douns-douns, fûts cylindriques que l'on frappe avec des bâtons, qui jouent les basses, la derbouka, le berimbao, qui est un arc musical arrangé provenant d'Angola, très utilisé dans la musique brésilienne de rue, et les anklungs, morceaux de bambous entrechoqués provenant d'Indonésie, et puis bien sûr le chant, que nous mettons en avant. Récemment, nous avons composé un rap avec une ligne de percus sur séquenceur, boîtes à rythmes. CMTRA : Recherchez-vous une fonction à la fois sociale et esthétique dans votre musique, par exemple quand vous jouez sur scène, ou dans la rue: s'agit-il de choix ?

R.M. : Tu soulèves dans ta question quelque chose de très juste, car j'estime que nous proposons une musique populaire dans le sens où elle a envie de provoquer et de susciter quelque chose chez les gens. Effectivement, nous avons un répertoire très vaste et un répertoire qui essaye de s'adapter au lieu.

Quand nous jouons dans la rue, nous jouons essentiellement des rythmes de percussions, et non pas une musique intimiste, cela n'est pas possible. Quand nous jouons sur scène, si par exemple nous savons que le lieu est fréquenté par des gens qui connaissent les percussions, nous faisons essentiellement des percussions avec chant. À l'Espace Tonkin, où nous allons jouer, notre présence musicale variera entre une musique dite de "combat", très physique, mais aussi avec une musique plus intimiste, car nous travaillons aussi sur des mélodies. CMTRA : Votre musique est une musique mémorisée, mais existe-t-il une forme d'écriture gestuelle, et quelle est la part de l'improvisation ?

R.M. : Je ne peux pas dire que nos musiques soient "écrites", mais c'est une autre forme d'apprentissage. Je pense que notre corps et notre esprit se sont habitués à une sorte d'accumulation de compétence qui se base sur la mémoire. Donc, quand on apprend un nouveau rythme, de suite nous savons le faire. Ensuite il y a des rythmes qui émanent plus du feeling que de la mémoire. Sinon, à force de jouer sur une musique de mémoire, nous arrivons à comprendre de suite ce qu'il faut faire entre nous, et cela nous permet de travailler plus rapidement. CMTRA : Que penses-tu de la place des percussions en général dans la musique traditionnelle, en France ?

R.M. : Je ne pense pas que ce soit facile, et c'est d'ailleurs pour cela que "nous mettons un peu d'eau dans notre vin". Au début des années 90, il n'y avait que les percussions, pour nous. Cela se comprend dans le sens où on voulait maîtriser ce que les africains savaient maîtriser, c'est-à-dire la technique du tambour. Les africains n'ont pas a-priori une approche pédagogique, la "pédagogie" reste quand même une notion typiquement occidentale. Par exemple, on ne recherche pas obligatoirement un bon danseur pour enseigner, on recherche quelqu'un qui sait bien faire passer des techniques de corps. C'est une exigence de musicien, maîtriser ce que l'on joue ! Mais nous restons des percussionnistes, un ensemble de percussions. CMTRA : Tu utilises aussi les boîtes à rythmes: que penses-tu des procédures d'écriture pour les boîtes à rythmes? Ne crois-tu pas que pour programmer une boîte à rythmes il reste préférable d'avoir d'abord une connaissance de la percussion "physique", avant de passer à une percussion "virtuelle" ?

R.M. : Je pense qu'il faut déjà passer par une expérience physique, corporelle. Mais, il est vrai aussi que les jeunes qui programment dans les mouvements du rap, du ragameufin', du new jack, ont de réelles capacités, et c'est un vrai métier! Tout comme les DJ, qui eux sont reconnus socialement, qui sont intermittents du spectacle, très adulés par leurs fans et qui arrivent à faire des improvisations en soirée. Ce sont des "musiciens",bien qu'ils ne touchent pas pour autant un "instrument de musique" au sens ancien: ils ne fréquentent pas les mêmes espaces musicaux que nous. Du coup, quand nous jouons devant ces jeunes, ils ne comprennent pas notre musique, pourtant c'est du rythme ! C'est pour cela que nous avons composé un morceau de rap, pour montrer aussi que nous sommes capables de jouer avec le son, et que nous voulons toucher un large public.

Et puis, les machines sont aujourd'hui de plus en plus performantes et permettent à n'importe qui sans connaître la musique, de savoir programmer, c'est une approche massive de l'égalité des chances. C'est en quelque sorte la laïcité musicale! D'ailleurs on s'appelle les "Tools", les outils, ce n'est pas pour rien. CMTRA : Des boites à rythmes socialistes en quelque sorte! Quels sont les projets des Tools après le passage à l'Espace Tonkin ?

R.M. : D'autres concerts sont prévus, notamment à Bordeaux, puisque sur cinq membres, trois sont originaires de Bordeaux, et Lionel et moi-même qui vivont à Lyon sommes également originaires de Bordeaux. Nous avons un public là-bas. Nous avons aussi le projet de faire un album.

Il ne faut pas oublier que la majorité des disques de percussions sont utilisés par certains labels comme "Musiques du Monde", et que ces musiques sont valorisées à partir du moment où elles sont jouées par les autochtones africains. Quand nous, occidentaux, jouons des percussions, nous mettons beaucoup plus de temps à nous faire accepter, alors qu'il suffit de nous donner notre chance. J'ai étudié cela , et pour avoir été en Afrique, je sais que les musiciens africains apprécient énormément la musique occidentale, ils aiment la musique harmonique. Et en France la plupart des structures culturelles se comportent en continuant une espèce de "colonialisme" euphémisé, en utilisant les gisements culturels de toutes ces musiques africaines à des fins purement spectaculaires, en faisant venir des pygmées, en les sortant de leur forêts africaines, enfin... moi je trouve ça étrangement exotique, je préfère jouer leur musique en la réinterprétant , en les replaçant, tout en cherchant à comprendre quelle est leur fonction sociale.

Une fois encore, tout est question de sens, d'interprétation des valeurs culturelles et sociales. Ce sont des choses qui sont profondément enracinées parce qu'elles font partie de nos goûts, sous toutes leurs formes, manière de s'habiller, nourriture, etc...Et la musique, malgrè son côté "ineffable", indescriptible, reste un produit social comme un autre. Au contraire de l'adage, je pense que les goûts et les couleurs se discutent... Et les Tools sont là.


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