Depuis quelques années, dans la région Rhône-Alpes, nous voyons fleurir les initiatives concernant "la musique celtique". Ce phénomène, concrétisé par l'apparition de festivals, de concerts, de lieux, d'événements divers, consacrés aux musiques celtiques, peut poser question.
Autant est-il évident que notre région ne se rattache directement à aucun héritage culturel celte avéré autre que gallo-romain et archéologique, autant le terme même de "musique celtique" recouvre des réalités diverses, selon qu'on y rattache un "fest noz" , un concert de musique irlandaise dans un pub de même étiquette le jour de la Saint-Patrick , ou des expériences de métissage musical telles que menées par l'ARFI, qui tente le mariage entre jazz lyonnais et musique de bagad breton, ou le concert réunissant à l'Auditorium de Lyon Doudou N'Dyaye Rose, maître des percussions d'Afrique de l'Ouest, et un autre bagad. Ceci pour se limiter à quelques unes des manifestations et événements de ce type visibles en Rhône-Alpes ces derniers mois.
Quoi qu'il en soit, le public rhônalpins est présent et fidèle à chaque fois, et ce véritable phénomène culturel porte en lui des caractéristiques propres. Elles ne rentrent pas en totalité dans le costume chamarré de l'engouement envers les musiques traditionnelles/musiques du monde.
Une réponse à la question "pourquoi un tel succès ?" peut être donnée en observant la vie musicale propre à la Bretagne contemporaine.
Quelques chiffres : en Bretagne, on peu dénombrer plusieurs milliers de joueurs de cornemuses, plusieurs dizaines de festivals, dont certains de dimension européenne et plus largement mondiale, comme le Festival Interceltique de Lorient, des centaines de manifestations tout au long de l'année, autant de formations musicales "traditionnelles", amateurs et professionnelles, des artistes de dimension internationale, Alan Stivell, Dan Ar Bras, Tri Yann, Yann-Fanch Kemener, Erik Marchand, Denez Prigent et tous les autres, un tissu associatif remarquable de dynamisme, rompu à l'auto-financement, des éditeurs/producteurs de disques, de revues et de livres indépendants, la cohabitation de plusieurs courants se réclamant de l'héritage musical breton, ou plus largement celte, des expériences de mariages musicaux réussis avec le jazz, le rock, le rap, les musiques africaines, kabyles, japonaises, et d'autres musiques du monde, la plus forte densité en Europe de lieux d'enseignements des répertoires et des instruments traditionnels, bref, un bouillonnement inscrit dans la durée et sur le terrain.
Ce creuset musical a connu depuis l'après-guerre une succession de périodes de développement, de stabilisation et de remises en cause, pour aboutir à l'inscription dans une société d'une musique populaire d'héritage, ouverte sur l'avenir, une réussite exemplaire, peut-être même inespérée par ses acteurs.
Cette densité de pratique vivace, cette auto-inscription quotidienne dans son propre patrimoine musical, dans sa convivialité, sa sociabilité par la société bretonne contemporaine entrent certainement pour part dans l'attrait irrésistible de nouveaux publics pour les musiques bretonnes et celtiques au niveau national et international.
La production discographique, le dynamisme et la qualité des groupes amateurs et professionnels bretons dépassent largement les frontières régionales, et ont, au cours de ces dernières décennies, largement contribué au rayonnement de leurs musiques.
Comment les Bretons en sont-ils arrivés là?
Les réponses, argumentées, objectives, traitées dans la perspective historique sont à découvrir dans un ouvrage monumental, indispensable, récemment édité par "Le Chasse-Marée/ArMen", "Musique Bretonne, Histoire des sonneurs de tradition".
Ce livre, magnifiquement illustré (l'iconographie, souvent inédite, est en elle-même une réussite, dans le droit fil des productions Le Chasse-Marée/ArMen!) propose, sur 510 pages, une "étude générale sur les pratiques musicales populaires" en Bretagne qui embrasse courageusement deux millénaires. Cet ouvrage collectif rassemble les travaux historiques, ethnomusicologiques, sociologiques de 26 chercheurs, lesquels se sont appuyé sur des sources multiples, denses et vérifiables.
De l'anecdote à l'analyse, de l'émoi à la déduction, du foisonnement d'informations à la synthèse, cet ouvrage dont la qualité ne peut qu'épuiser les superlatifs est exemplaire, sinon unique en Europe.
Il témoigne du parcours initiatique de générations successives de Bretons et d'autres personnes questionnées par le mystère de la différence en quête des toujours derniers dépositaires de tradition. Il rapporte leurs réponses, incertitudes, intuitions, constructions d'explication et leurs révélations d'une partie du mystère de la mémoire individuelle, de la force de construction culturelle d'une société humaine, et de ses capacités d'ouverture aux influences du dehors, de l'ailleurs et de l'autre.
Il offre, par la richesse de sa documentation une possibilité de réponses émotives aux questions que se posent les amateurs de musique bretonne et celtique, et par la rigueur de ses analyses, pourfend bien des idées reçues, en explicitant entre autres phénomènes la naissance des fest noz en milieu urbain, la genèse des bagadoù, l'histoire de la cornemuse en Europe depuis 2000 ans, le débat "autarcie/ouverture", et donne des pistes de réflexion argumentées et pertinentes à qui s'interroge sur le thème : "musique bretonne, musique celtique?".
La qualité première de "Musique Bretonne" est d'indiquer par un parcours sensible à travers le témoignage de mille moments de vie, les différentes étapes, réinscrites dans leur contexte historique et social, qui ont permis la préservation, la transmission des savoirs musicaux issus de l'ancienne société rurale à la société contemporaine, et l'aboutissement à la dynamique créative actuelle.
Tout ceci inscrit dans un mouvement culturel unique, témoin d'une société qui pense l'avenir, ouverte vers l'autre, d'autant plus tolérante qu'elle est consciente de sa propre richesse, de l'obligation d'en préserver les formes anciennes, et de s'en saisir comme objet de création. Est décrite la somme d'efforts individuels, associatifs, artistiques et institutionnels qui sur un demi-siècle ont uni leurs énergies, souvent en opposition d'idées, d'idéologies et de projets, toujours en débats, mais en action quotidienne, pour construire une nouvelle pratique musicale basée sur un héritage culturel dont l'équivalent est souvent ignoré sinon méprisé dans d'autres régions du territoire national.
Ce livre, par sa genèse et sa conception, est en lui-même un monument symbolique de la force générée par la convergence d'idées et d'engagements de générations entrelacées d'acteurs sociaux et culturels. Ils apparaissent tous imprégnés de l'intuition première d'urgence autarcique d'un peuple minoritaire conscient de sa différence à préserver une part de l'héritage commun, ouvert aux cultures soeurs dans un deuxième temps, et plus largement attentif ensuite à l'expression musicale de "cultures du monde" toutes aussi riches de sensibilité musicale.
Nul ne peut refaire ici l'histoire déjà vécue là, et la valorisation riche, ouverte, des héritages musicaux régionaux telle que construite en Bretagne au cours du demi-siècle passé n'a que très peu d'équivalent en son aboutissement dans d'autres régions françaises ou européennes. Mais elle a valeur de sujet de réflexion, et ce livre devrait être de chevet pour les personnels politiques en mal d'idées et comptables des deniers publics dans d'autres régions.
En guise de conclusion, et pour saluer cette somme de vie, de courage, de travail, de réflexion, de débat et surtout de musique, une citation, forcément choisie, tirée de la préface de "Musique bretonne":
"Nous avons donné la parole, chaque fois que faire se peut, aux sonneurs eux-mêmes, ou aux témoins qui les ont côtoyés, afin que revive, de manière générale, le contexte dans lequel ils évoluaient, d'autant qu'ils exerçaient une véritable fonction sociale.
Aujourd'hui, l'ancienne société rurale a totalement disparu, mais retrouver les racines et l'esprit de la musique instrumentale traditionnelle ne peut que nourrir et guider en permanence les pratiques contemporaines, inciter à faire de nouvelles recherches : tels sont les buts de cet ouvrage. Souhaitons que les sonneurs bretons du XXIe siècle y puisent une part de leur inspiration."
Jean Blanchard.
"Musique Bretonne, Histoire des sonneurs de traditions"
510 pages, format 24x31 cm, plus de 500 illustrations, en couleur et noir et blanc, papier couché mat, reliure pleine toile sous jaquette illustrée en couleur, 590 FF, à commander auprès des éditions Le Chasse-Marée/ArMen,
"Le Chasse-Marée, histoire et ethnologie maritime" & "ArMen,
la Bretagne, un pays à découvrir"
deux revues références, une maison d'édition écrite et sonore qui propose des livres, des reproductions d'art, des CD et autres supports sur les thèmes : livres maritimes, modélisme naval, architecture navale, construction en bois, chants de marins, albums d'art, bibliothèque de Bretagne, nature, reproductions d'art, cartes postales, cassettes vidéo, vêtements de mer, articles de marine. Le catalogue est en soi une oeuvre d'art.
Renseignement :
Abri du Marin, 29177 DOUARNENEZ Cedex,
Tél 02 98 92 09 19 /Fax 02 98 92 80 01,
Minitel 3615 Chasse-marée/ArMen (1,29 la mn),
Serveur vocal 08 36 68 29 01 (2,23 la mn),
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