Lettre d'information n°31. Automne 1998 Quartet Bruttmann
A l'occasion de la sortie du disque "Flamenco à Lyon", n°14 de la collection Atlas Sonore Rhône-Alpes, une fête mémorable a été donnée au TJA de Lyon, réunissant la plupart des artistes de la compilation. Une occasion d'applaudir encore ces artistes que nous côtoyons depuis deux ans, et de donner la parole à l'un des plus brillants.
Entretien avec Jean-Philippe Bruttmann, ni gitan ni espagnol...
un guitariste profondément Flamenco...
CD Flamenco à Lyon»
Jean-Philippe Bruttmann : " J'ai découvert le flamenco par l'une de ses ramifications périphériques, c'est à dire la musique des gitans de Camargue. C'est en découvrant Hyppolite Baliardo, le frère de Manitas de Plata, sur une scène avec mes parents en vacances à la Grande Motte que j'ai vraiment eu envie de jouer de la guitare! J'avais 6 ans, et à 7 ans je jouais déjà. À la fin du spectacle, j'ai demandé qu'on achète le disque.
De retour à Grenoble,mon père avait une guitare, car il était jazzman et Brassensiste». Il m'a montré les premiers accords de guitare, avec cela j'ai pu reproduire en autodidacte le disque d'Hyppolite Baliardo. L'année suivante, mes parents sont allés voir Hyppolite lors d'un concert, en lui disant : Écoutez ce que fait le petit, il reproduit vos disques, il vous écoute 24 h sur 24, il faut vraiment que l'on vous montre cela ! » Et c'était vraiment 24 h sur 24, je sortais de l'école, je prenais ma guitare à 16 h, et je ne la lâchais que pour me coucher! Et voilà Hyppolite qui me prête son énorme guitare... Alors, il dit à mes parents : Bon, vous pouvez retourner dans la salle, moi je garde le petit avec moi pour le concert! »
Après Hyppolite, Manitas de Plata fait la même chose. J'ai eu beaucoup de chance d'habiter dans un hôtel à la Grande Motte où beaucoup d'artistes passaient. Dans les années 70, c'était déjà la grande mode du flamenco, et à chaque festival les artistes logeaient dans cet hôtel-là, parce qu'il n'y avait pas grand chose autour, à part les marais!
Donc, je jouais de la guitare jour et nuit, je descendais au bar avec ma guitare... Dans le même hôtel, Baden Powell envoya sa femme demander à mes parents si je pouvais venir jouer, il m'écoutait au loin depuis un moment... J'avais 8 ans, donc à cet âge je n'étais pas encore impressionné, j'ai dit : Ouais, si il veut ! » avec une insouciance folle . Le virus était pris, je suis tombé amoureux de la guitare, de la scène et du þamenco. Et jamais je n'ai eu envie de faire l'un sans l'autre.
CMTRA : Tu as gardé des liens d'amitiés très forts avec Hyppolite Baliardo?
J.-P. B. : Absolument. J'ai surtout eu la chance d'être adopté par sa famille, par ses fils qui sont d'excellents musiciens. Partout où j'allais, il y en avait toujours un pour me prêter une guitare. Le Flamenco reste une tradition orale, c'est un parcours initiatique: jamais on ne te montre quelque chose de technique : il faut faire du pillage, ce que je fais très bien! Le milieu doit être porteur, mais on peut très bien te fermer la porte du jour au lendemain, comme on peut ne jamais te l'ouvrir. Hyppolite a toujours eu une grande amitié pour mes parents, et à l'époque cela m'a beaucoup aidé, car je n'avais que 7 ans.
CMTRA : Joues-tu toujours le flamenco des musiciens de Camargue, ou bien d'autres formes qu'ils ne pratiquent pas ?
J.P.B. : Je ne le joue plus du tout aujourd'hui.flamenco» est un terme impropre pour cette musique des gitans venus d'Espagne et qui jouent en Camargue . Les Andalous sont très critiques et très sévères sur cette musique qu'ils considèrent comme une musique touristique et purement commerciale, et qui ne ressemble presque plus au flamenco. Mais je crois surtout que la réalité de cette musique-là est le révélateur du particularisme des gitans de Camargue: ils sont eux-mêmes une population dont le parcours et la sociologie sont très particuliers. Ils ont donc produit leur propre musique, qu'il faut considérer comme telle.
Je pense qu'il est normal que leur musique soit &laqno;bizarre», car leur parcours est original. On ne doit donc pas juger leur musique par rapport à des références flamencas: aucun des gitans que je connais ne sait jouer de solea», ou de buleria» par exemple
CMTRA : Comment es-tu devenu professionnel ?
J.P.B. : Tout petit, j'étais habitué à jouer 4 à 5 heures de guitare par jour, il valait donc mieux que j'essaye d'en faire mon métier, car je ne pouvais pas m'en passer! Mais je fais partie d'une famille où l'on doit faire des études, alors que Manitas disait toujours à mes parents : "moi je ne sais ni lire ni écrire et je suis connu dans le monde entier, alors ce n'est pas la peine qu'il aille à l'école"! Je me souviens très bien de m'être fait virer de tous les cours d'anglais de mon collège parce que je faisais du bruit avec les spirales de mon cahier en faisant des ragados»! C'est une maladie chez les musiciens, je n'en connais pas beaucoup qui savent se tenir une heure sans taper sur la table. Et imagines-toi cela au boulot, derrière un bureau...»
Quartet Bruttmann
CD, Recuerdo», en compagnie de Hippolyte Baliardo en 1997. (Editions Alegria)
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Alegria, 4 chemin du Couvent
38100 Grenoble.
Tél 06 09 67 31 05