Djélia Denou, les enfants griots

Entretien avec Caroline Samandoulougou et Paco Koné. CMTRA : Caroline Samandoulougou, tu es la coordinatrice du groupe Djélia Denou (ex Surutu kunu), un groupe burkinabé d'Afrique de l'Ouest, et tu t'occupes aussi des tournées du musicien Paco Koné, lui-même burkinabé, et directeur artistique du groupe Djélia Denou. Comment gères-tu tout cela ?

Caroline Samandoulougou : On a fonctionné avec l'association de Surutu kunu au Burkina depuis 5 ans. Comme on avait besoin d'une base en France pour développer les activités du groupe, on s'est jumelé avec l'association grenobloise Wakalor qui a pour but d'aider les artistes à se former.

Cette association va se spécialiser plutôt dans les actions de formations. A côté, on esten train de monter une société de production "Koné Production", ici en Rhône-Alpes, dans la Drôme, et un studio d'enregistrement au Burkina-Faso, pour qu'il y ait des aller-retours entre les deux pays. La société Koné Production se proposera de donner un cadre d'expansion économique au potentiel artsitique de ces "griots".

Son activité sera diverse : pour la production, elle recherchera des coproducteurs pour les créations et les enregistrements, pour la diffusion elle organisera des tournées (musique, contes, animation scolaire), mais aussi des concerts et des événements. Elle proposera de gérer la carrière des artistes, et de créer des concepts d'animation sur la musique africaine et le développement.

Cette entreprise travaillera en complémentarité avec les associations de développement culturel : Wakalor donc à Grenoble et Djélia Denou (ex Surutu Kunu) au Burkina Faso, qui elles s'occupent plus particulièrement de l'aspect développement culturel du projet, soit de recrutement, de l'encadrement et de la formation des artistes, soit de la mise en valeur du potentiel artistique des familles de griots qui sont à la base du projet, ainsi que tout ce qui est échange culturel entre le Burkina Faso et l'Europe. Pour mener cette action, elles ont un lieu de promotion culturelle au Burkina Faso Djélia Djiri qui veut dire "l'arbre à griots". CMTRA : Comment as-tu rencontré Paco Koné et le groupe Djélia Denou, peux-tu nous les présenter ?

C.S. : Je les connais depuis une dizaine d'années. J'ai voyagé beaucoup entre la France et le Burkina Faso, et dans d'autres pays d'Afrique, puis j'ai décidé de m'installer au Burkina, je les ai alors rencontrés. J'avais le projet de travailler avec des jeunes, et j'ai trouvé que la musique de Surutu Kunu était très forte, mais ces jeunes musiciens plein de talent n'avaient pas la structure pour se lancer. Il m'a semblé alors intéressant d'associer nos compétences. C'est un groupe formé de sept jeunes entre 19 et 25 ans qui existe depuis 1993.

Quand ils ont commencé certains d'entre eux n'avaient que 14 et 15 ans. Ce sont, en fait des griots des villes, enfants de Bakary Koné qui était venu s'installer, à l'époque, à la croisée des chemins de l'Afrique de l'Ouest, à Ouagadougou, capitale cosmopolite du Burkina Faso. Ces enfants griots ont été formés dans la tradition mandingue, la famille Koné est aujourd'hui un des éléments incontournables des fêtes traditionnelles ouagalaises.

Donc, enfants des villes, rebelles, leur héritage musical s'est enrichi de toutes leurs rencontres avec d'autres traditions, d'autres instruments. Ils donnent ainsi à leurs instruments mandingues de bois, de corde, de peau et de calebasse, une sonorité nouvelle, une sensibilité autre. Avec eux, djembé, dumdum, bara, goni, balafons, kora parlent une musique de couleur universelle, car ils ont ce désir de partager le secret de leur tradition avec la terre entière.

Depuis 1994, chaque année, le groupe créé un nouveau spectacle, sous la direction artistique de Paco Koné. Ils se sont produit lors des manifestations nationales burkinabé : au FESPACO (festival du cinéma africain), à SIAO (festival de l'artisanat africain)... puis, en France, en Suisse dans de nombreuses villes. Depuis, bien sûr, Surutu Kunu a évolué, des musiciens ont rejoint le groupe, d'autres sont partis, et aujourd'hui nous avons décidé de changer le nom du groupe, qui s'appelle désormais Djélia Denou qui signifie "les enfants griots". CMTRA : Qu'est-ce qui t'a motivée dans ce projet ?

C.S. : Au départ, je voulais habiter au Burkina et essayer de développer quelque chose pour pouvoir vivre là-bas. Il se trouve que pour eux c'était la même chose, ils avaient envie de développer leur musique et continuer à vivre au Burkina. Puis peu à peu le projet a évolué, mais pour faire vraiment partie du monde professionnel de la musique, on s'est dit qu'il fallait absolument passer par l'Europe, que pour l'instant il n'y avait pas d'autres solutions pour le groupe.

Après quatre ans de tournée, de va-et-vient entre l'Europe et l'Afrique, avec des difficultés de gestion et de perspectives, on s'est dit qu'il fallait rester en France pour avoir des bases solides, pour avoir une structure ici qui arrive à bien manager le groupe et qui puisse gérer les différentes carrières des musiciens, pour que cela réponde en même temps mieux à nos attentes là-bas au Burkina-Faso. CMTRA : Comment se passent les démarches en France ?

C.S. : Je suis rentrée dans un stage de création d'entreprise, et on a remonté l'association Wakalor pour bien redémarrer. De son côté, Paco Koné a bientôt tous ses cachets pour être intermittent, donc pour avoir un statut professionnel. On est rentré dans un cadre qui permet d'accéder réellement au monde professionnel de la musique.

Pour l'instant, on était un peu à la marge, parce que la musique traditionnelle africaine a beaucoup de mal à percer dans le domaine réellement musical. On reste aussi pendant longtemps à la marge si on fonctionne avec les associations caritatives, les comités de jumelages... les gens que l'on rencontre en Afrique, tu vois ! on ne rencontre pas les tourneurs, les professionnels de la musique, on rencontre les professionnels du développement, qui sont intéressés par l'Afrique, mais pas forcément des gens qui ont une connaissance du monde de la musique. Cela crée des malentendus, par contre depuis que l'on est en France, on est plus sur le circuit professionnel, et on a plus de perspectives qui s'ouvrent. CMTRA : Paco Koné, tu es musicien de tradition familiale, fils et petits fils de griot bobo (bwaba), tu es en même temps directeur artistique du groupe Djélia Denou, peux-tu nous parler de ta musique ?

Paco Koné : J'ai commencé la musique avec ma famille, mon père, mon grand-père. Je suis allé à l'école, et j'ai arrêté l'école à cause de la musique parce qu'on ne peut pas faire les deux à la fois.

Ma famille est une famille de griots. En Afrique le griot est celui qui est à côté du roi ou du chef de village, c'est un peu le porte-parole du chef : si par exemple il y a des funérailles ou un baptême c'est lui qui transmet les paroles aux habitants du village, alors cela peut-être par la musique, le chant, la danse ou les contes.

Dans ma famille il y a donc des musiciens, des chanteurs, des danseurs, ou des conteurs. Je fais plus de la musique, du chant et de la danse, mais je ne fais pas de conte. Je joue depuis tout petit : il y a un film qui a été tourné sur ma famille dans lequel on me voit jouer à l'âge de deux ans. Ce film s'appelle African Family Film, il a été réalisé sur 25 années par un ethnologue américain.

J'ai donc commencé à jouer avec ma famille, et tous les ans, on allait jouer au festival de musique de Bobo-Dioulasso où des compétitions sont organisées. Je suis passé là-bas à l'âge de dix ans avec mon papa, jusqu'à l'âge de 22 ans. Bon, mon père ne joue plus, et comme je suis toujours ailleurs, maintenant ce sont mes frères qui participent tous les ans. Ils sont toujours les premiers.

Grâce à la musique j'ai déjà pas mal tourné en Afrique et en Europe. J'ai fais beaucoup de concerts autour de musiciens comme Youssou'N Dour, Jimmy Cliff...

Maintenant, je fais route en solo. L'année dernière, j'étais aux Etats Unis pour donner des concerts à l'occasion de la sortie du film qui a été fait sur ma famille. Sinon, on a un groupe qui fonctionne bien "Djélia Denou" anciennenment "Surutu Kunu" avec qui j'ai fait plusieurs tournées. J'ai aussi monté une autre formation de percussions, et je viens juste de monter un groupe de reggae funk, mais africain, avec des compositions personnelles. CMTRA : le CD que tu as réalisé avec le groupe Surutu Kunu, qui est un travail d'illustrations sonores, a été fait à quelle occasion ?

P.K. : C'était en 1995, cela a été réalisé lors d'une première tournée avec le groupe, on a eu un producteur, "La Flèche d'Or", à Paris qui était intéressé par ce que l'on faisait, et qui nous a proposé de faire un CD. On a plutôt fait des musiques de films parce qu'il ne voulait pas trop de chant. C'est pour cela qu'il n'y a que deux chants sur 16 titres, donc c'est un CD musical avec des durées de morceaux très courts.

Il y a différentes cultures africaines représentées sur ce CD parce que les instruments du djembé et du balafon sont joués dans quatre pays de l'Afrique de l'Ouest : le Mali, le Burkina, la Côte d'Ivoire, la Guinée. Il y a aussi des morceaux traditionnels de mes propres compositions, avec une écriture plus contemporaine, mais cela reste traditionnel. CMTRA : Tu as travaillé aussi avec des musiciens grenoblois, c'est encore une autre formation ?

P.C. : C'est une formation de chants et de percussions, avec toujours des compositions personnelles, auxquelles j'ai ajouté des instruments comme la guitare basse, la batterie, quelque chose qui s'oriente plus vers la variété. Je n'ai en fait pas de groupe, c'est toujours sous mon nom que je fais venir des musiciens. Alors comme maintenant je vis entre la Drôme et Paris, je suis en train de travailler avec de nouvelles personnes. CMTRA : Tu donnes aussi des stages de percussion et de danse, comment vis-tu cette expérience ?

P.K. : J'ai pas mal d'élèves, cela peut aller jusqu'à une trentaine de personnes à chaque fois. J'ai fait pas mal de stages de formation au Burkina, surtout à Ouagadougou où j'ai donné pendant quatre ans des cours de percussions au Centre Culturel français. Donc j'ai un peu l'habitude, même si les gens ne savent pas jouer, très rapidement on peut les mettre ensemble avec d'autres personnes qui pratiquent depuis un peu plus longtemps. Je m'arrange, et puis, sur un week-end, en répartissant les groupes sur deux niveaux, on arrive à quelque chose.

Au mois de février et mars, avec l'association Wakalor nous organisons un stage de percussions et de danses africaines à Ouagadougou. C'est un stage de dix jours durant lesquels les participants pourront aborder les pratiques des instruments du djembé, du dumdum, du bara et du balafon. Je m'occupe de ce stage avec le groupe Djélia Denou. C'est intéressant parce que le stage se déroulera pendant le FESPACO, la ville sera alors bien animée. Dans l'immédiat, en France, je présente deux concerts à l'Entrepôt sur Grenoble, les 15 et 16 janvier., et deux stages de percussion les 23-24 janvier à Grenoble, puis les 30-31 janvier à Dijon. Contact :

Djélia Denou (ex Surutu Kunu) et Paco Koné

Caroline Samandoulougou

Tél : 04 75 85 62 14/06 83 37 76 20