La Région autonome de la Vallée d'Aoste, située dans le Nord-Ouest de l'Italie, est frontalière de la région Rhône-Alpes et de la Suisse. Cette région de montagnes a acquis en 1948 un régime « à statut spécial » reconnu par la Constitution de la République italienne.
Les Valdôtains utilisent couramment l'italien et le français, les deux langues officielles, mais aussi le « patois », dialecte francoprovençal, langue maternelle de beaucoup d'entre eux. Le domaine francoprovençal englobe également la région Rhône-Alpes, même si l'usage de cette langue s'est beaucoup raréfié en France. Le Val d'Aoste est riche de nombreuses initiatives institutionnelles et associatives visant à préserver la culture régionale, mais aussi à diffuser d'autres cultures, notamment à travers la musique.
Nous avons voulu en donner un aperçu à travers trois entretiens.
Entretien avec Livio Munier, président de l'AVAS
L'Association Valdôtaine des Archives Sonores conserve depuis 1980 la mémoire sonore de la Vallée d'Aoste, ainsi que de nombreux documents photographiques. Elle valorise cette mémoire à travers ses nombreuses activités.
CMTRA : dans quel contexte l'AVAS a-t-elle été créée ?
Livio Munier : Elle naît en 1980 d'une idée du Centre d'Études Francoprovençales René Willien : Gaston Tuaillon de l'Université de Grenoble suggère de créer une association ad hoc pour la collecte de témoignages oraux, la conservation, le catalogage. Un instituteur avait été détaché au Centre pour en assurer le fonctionnement et je fus moi-même détaché pour m'occuper de cette nouvelle association.
C'était le premier noyau de l'AVAS. Nous étions une association privée, avec un petit financement public (j'assurais la permanence en tant que secrétaire, et Alexis Bétemps la présidence du Centre et de l'AVAS).
Comment avez-vous constitué votre fonds d'archives sonores ?
Nous avons commencé à collecter du matériel, et pour nous faire connaître du grand public, nous avons pensé tout de suite à une exposition. Tout le monde connaissait la grande Histoire, mais moins la petite histoire faite par les gens communs.
Notre première exposition fut consacrée aux ramoneurs. Nous avons repéré les derniers ramoneurs ; d'après leurs témoignages les apprentis étaient instruits par des maîtres ramoneurs. Entre eux, ils parlaient un argot spécifique parce qu'à l'époque on ne voulait pas se faire comprendre ! Chacun avait sa zone d'influence. Cette exposition a eu un grand succès et c'est ce qui nous a permis d'aller de l'avant.
Comment avez-vous conçu cette exposition ?
Il y avait des photos, que les anciens ramoneurs nous avaient données, du matériel (genouillères, coudières, racloirs) et des documents écrits (passeports, lettres, articles de journaux, etc). Nous les avons aussi enregistrés : ce sont les premières cassettes de nos archives. Nous en avons maintenant 5 000, ce qui représente environ 2 500 heures d'enregistrement. Notre activité s'est développée, nous avons continué à faire des enquêtes qui aboutissaient à des expositions et à des catalogues. Nous avons ainsi réalisé des expositions sur l'émigration, l'école, le carnaval, etc.
Comment avez-vous enrichi votre fond ?
Pour avoir ce succès, l'aide financière et le personnel de l'administration ont été décisifs. Nous nous sommes appuyés sur les universités de Grenoble et d'Aix-en-Provence, car en France les études ethnographiques sont beaucoup plus développées qu'en Italie. Nous avons organisé un cours à l'intention de dix boursiers qui ont travaillé pendant une année pour réaliser des enquêtes avec des enregistrements.
Nous avons aussi lancé un concours, « Enregistrez les souvenirs de nos anciens », qui nous a rapporté un nombre considérable de cassettes. Pour le reste, j'ai moi-même beaucoup enregistré, d'ailleurs c'était mon activité principale. Nous avons eu des dons de la part des gens qui désiraient déposer leur matériel sonore chez nous. Et avec les cassettes sont aussi arrivées les premières photographies.
Vous avez donc également une photothèque en lien avec les archives sonores ?
Notre activité s'est développée aussi autour de la photothèque. En 1984 le Bureau Régional pour l'Ethnologie et la Linguistique (BREL) a été créé, car l'activité de l'AVAS et du Centre René Willien s'était, entre-temps, beaucoup développée.
Le BREL est le bureau public qui assure maintenant la conservation et le catalogage des fonds sonores et photographiques. La fonction des associations comme l'AVAS reste néanmoins basilaire car seules des personnes motivées peuvent garantir la continuité dans le domaine de la recherche.
Quelles autres utilisations faites-vous de ces documents ?
Une collaboration avec le siège régional d'Aoste de la radio nationale a démarré en 1983. Chaque mois nous passons à l'antenne avec un commentaire des documents collectés. Nous avons édité un recueil des émissions passées à la radio régionale, de 1983 à 1990. Un deuxième tome sortira bientôt. Nous avons traduit en français les témoignages à l'origine en patois. Nous avons essayé, dès le début, « d'exploiter » les témoignages oraux : émissions radiophoniques, articles, expositions, catalogues, livres.
Nous avons aussi organisé, avec le Centre René Willien et le BREL, des tables rondes, des congrès mais également des veillées (soirées de projection de diapositives, veillées de conteurs, etc.). Dans notre domaine linguistique spécifique, que les scientifiques appellent francoprovençal, nous sommes un cas particulier puisque nous avons conservé l'usage du patois d'une façon aussi importante. Et l'AVAS, très intéressée à l'ethnographie, contribue ainsi à la sauvegarde de notre patrimoine culturel.
Propos recueillis par P.D.J.
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