Entretien avec Rémy Couvez
CMTRA : Rémy Couvez, vous êtes né dans une famille de musiciens?
Rémy Couvez : Mon père et mon grand-père étaient chefs d'harmonie: c'était l'époque des harmonies et des fanfares dans le Nord de la France. Mon père et mon grand-père qui étaient du Nord, sont arrivés en Normandie pour trouver du travail. Naturellement, j'ai baigné dans cette ambiance-là dans ma jeunesse. Je sais qu'à l'époque, dans les années 1930 peut-être, il y avait une tradition assez importante d'harmonies dans le Nord : les harmonies de mines. En Normandie, il se passait un peu la même chose. Mon père, en tant que chef de musique, donnait des cours à tout le monde, de tous les instruments, et j'entendais cela tous les jours...
CMTRA : Votre rencontre avec la vielle à roue, c'est un peu loin de l'harmonie municipale, non ?
R.C. : C'est pratiquement 10 ans plus tard, un peu le hasard, le destin. En fait, j'étais dans une impasse musicale par rapport à ce que j'avais vécu et ce que j'avais cru comprendre de la musique dans ma jeunesse. Je jouais surtout beaucoup de clarinette à l'époque et je ne savais pas vers quoi aller. J'avais un manque et je ne savais pas comment le combler. Je ne connaissais pas du tout la vielle à roue, ni ce que l'on en faisait. Cette rencontre m'a ouvert - peut-être pas immédiatement mais dans les mois qui ont suivi - des perspectives musicales.
CMTRA : Vous avez directement commencé à composer, comme on peut l'entendre dans vos disques, ou vous avez commencé par des répertoires plus traditionnels ?
R.C. : J'ai d'abord essayé de comprendre comment fonctionnait une vielle parce que j'étais vraiment très isolé en Normandie à l'époque. J'ai alors rencontré quelques personnes qui faisaient de la musique traditionnelle et qui jouaient de l'accordéon, du violon. Puis j'ai rencontré des personnes qui jouaient de la vielle, avec qui j'ai travaillé quelques années. Mes premières compositions sont arrivées environ un an ou deux après ma première rencontre avec la vielle.
CMTRA : Avez-vous directement commencé à explorer la voie électroacoustique ? Jouez-vous sur plusieurs vielles ?
R.C. : J'ai des vielles tout à fait classiques (sauf un double clavier sur l'une d'elles),, deux vielles qui sont accordées différemment. J'ai donc des possibilités de tonalités ou de modes divers et des ouvertures vers des musiques nouvelles. J'ai ces deux vielles depuis une quinzaine d'années et c'est Marc Humblet, de Brive, qui me les a construites toutes les deux. Les micros sont extérieurs, ce sont des "micros-cravates".
Ils ne sont pas appliquées directement sur la caisse de la vielle, mais reposent dessus.
Le son est pris par ce micro sur la vielle puis je passe par un appareil d'effets, bien connu des guitaristes , le FX 500. J'utilise plusieurs effets : délai, équaliseur, compresseur ... C'est un mixage de tout cela. Pour choisir mes sons et surtout les effets sur les différentes musiques, je m'appuie sur des sons préfabriqués et je les retravaille.
CMTRA : Vos musiques, telles que l'on peut les entendre dans votre disque "Propos Insolites", accompagnent-t-elles des spectacles, ou bien se suffisent-elles à elles-mêmes ?
R.C. : Je les compose parce que je pense que j'ai ça au fond de moi,que c'est quelque chose d'indispensable. Au départ, c'est venu tout seul. Je n'avais pas forcément l'intention de composer ou de créer des choses sur la vielle. L'aboutissement naturel pour moi, c'est de faire des concerts., mais je sais qu'il y a un certain nombre de mes musiques qui se portent vers le spectacle, que ce soit le théâtre, la danse ou le film.
CMTRA : La vielle à roue est un instrument extrêmement ancien, et plutôt rattaché à la tradition. Des gens comme Dominique Regef ou Valentin Clastrier en font un instrument de musique contemporaine; c'est une famille musicale à laquelle vous vous rattachez ?
R.C. : Je crois que le contenu est différent. Ce qui est important pour moi, c'est d'être au service de la vielle, je pense que c'est à moi de tout faire pour essayer de la comprendre. La vielle possède, au-delà des siècles, quelque chose de très fort à l'intérieur. En fait, ce n'est pas vraiment moi le créateur dans la mesure où c'est la vielle qui donne presque tout.
CMTRA : Voulez-vous dire que cette musique de vielle est immanente, qu'elle vous dépasse d'une certaine manière? On retrouve dans la plupart de vos morceaux une recherche de spiritualité: plusieurs "Cantiques" , des musiques de méditation...
R.C. : Certains parlent de méditation ou de relaxation. Moi, je pense que c'est à travers la vielle que je ressens ces choses-là, et c'est vrai que ça me dépasse. Il y a des vibrations, des harmoniques, mais ce sont des choses vécues de façon tellement différente et tellement forte d'un individu à un autre... On est appelé à produire des mélodies, des sons qui varient suivant l'état dans lequel on se trouve.
CMTRA : Philippe Bergoin tient le synthétiseur, et à l'écoute du disque il semble difficile de différencier les sonorités electroniques et celles obtenues sur les vielles-à-roue: c'est un effet que vous avez recherché ?
R.C. : J'ai cherché pendant longtemps et je pense avoir trouvé des partenaires avec qui l'entente est profonde. Philippe Bergoin est à la disposition de la vielle pour essayer de se fondre avec elle, et d'en avoir une idée parfaite. Ainsi, pour moi, c'est plus qu'un accompagnateur, de même pour les percussions de Dominique Etienne. Je leur demande aussi de la création. Ils le font comme ils le ressentent. Je souhaite qu'ils créeent des sons, des harmonies, même s'ils ne les ont jamais faits.
CMTRA : Vous êtes installé depuis presque un an maintenant en Haute-Savoie, en région Rhône-Alpes, est-ce un retour pour vous ou une découverte? Vous savez, qu'historiquement, on dit que la Savoie était un pays de vielle! On peut s'attendre à ce que vous vous éloigniez quelque peu des standards folkloriques locaux?...
R.C. : Pour moi, la Haute-Savoie, c'est une découverte complète de la montagne, et c'est magnifique. Je n'ai qu'un an d'expérience ici, mais lors de ballades en montagne, cela permet de décompresser ou de respirer un autre air. Je ne sais pas si cela a de l'influence sur ma musique, et a priori je dirais que non. En effet, lors de mes expériences passées, que je sois à la montagne, en ville ou dans un bureau, si c'est le moment de la création, c'est le moment. Peu importe l'environnement.
CMTRA : Pour terminer, voici un petit exercice qui devrait vous amuser: vous êtes nommé veilleur de nuit pendant un an dans un centre commercial en banlieue d'Annecy. Quels sont les 3 cd indispensables que vous emmenez, en plus de votre vielle-à-roue bien sûr?
R.C. : Bach, Arvo Part, Ali Farka Touré.
CMTRA Rémy Couvez, merci.
Propos recueillis par Eric Montbel
Sortie du prochain cd en Mars 1997 chez BUDA.
Françoise Brezel
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