Cantate des Alpes
Entretien avec Alain Claude
CMTRA : Alain Claude, le spectacle Cantate des Alpes va être donné à nouveau au mois de janvier, après une reprise de la création du mois de novembre?
Alain Claude : La Cantate des Alpes sera donnée les 22, 23, 24 janvier prochain à Annecy, à Bonlieu Scène Nationale, qui est un des coproducteurs du spectacle avec l'Espace Malraux de Chambéry.
CMTRA : Comment est venue cette idée d'associer une soprano lyrique, et la chanson traditionnelle des Alpes ?
A.C. : L'idée de monter ce spectacle est venue immédiatement après "Music'Alpina": j'ai pensé qu'il y avait lieu de développer la musique traditionnelle sous des formes de spectacles plus contemporaines, et peut-être un peu plus professionnelles aussi.
Depuis quelques années, je travaille avec Colette Alliot-Lugaz, qui est une des grandes cantatrices, une des toutes premières grandes voix françaises et qui n'a jamais été coupée de la musique traditionnelle. Elle habite en Savoie, ce qui n'est pas forcément un critère suffisant, mais surtout elle a eu dans sa jeunesse une pratique de la chanson populaire, avec des groupes folkloriques. Quand on lui a fait la proposition de s'associer à nous pour essayer de monter ce projet, ses antécédents musicaux et affectifs l'ont poussée à accepter avec enthousiasme. Maintenant, il est vrai, dans ce spectacle beaucoup de choses émanent de Colette Alliot-Lugaz, de son patrimoine et de sa mémoire.
CMTRA : Le spectacle se déroule-t-il sous la forme d'un récital ou bien as-tu essayé de retrouver une suite d'histoires comme on avait pu le voir dans "MusicAlpina" ?
A.C. : Non, ce n'est pas absolument une histoire avec un scénario en continu. C'est une perspective assez large des Alpes et du paysage musical alpin, répartie en petites séquences, ponctuées par les éclairages et une mise en espace scénique : il y a par exemple une petite séquence de chants de Noël, des petits moments de vie, etc ... A l'origine, nous avions pensé lier ces différentes séquences par des textes de C.F.Ramuz, dits par André Dussollier, lui aussi savoyard, et avec qui nous avons des relations amicales.
Cependant, il s'est avéré que cette idée alourdissait l'ensemble du spectacle, le propos musical se suffisant à lui-même... Une vision un peu restrictive des choses pourrait faire parler de "récital organisé", mais pourquoi pas ? Ce n'est pas forcément grave, et pour l'instant cela suffit au propos que nous avions à développer.
CMTRA : On connaît bien le travail de Jean-Marc Jacquier et de ses amis de "La Kinkerne". On retrouve des gens de la Kinkerne, R. Amyot, Ch. Abriel, R. Breithaupt. On voit apparaître Andrea Sibilio aux arrangements musicaux. Quelle est cette idée et comment ce musicien est-il intervenu ?
A.C. : Andrea Sibilio et Ciacio Marchelli font partie du groupe "Tre Martelli". Andrea Sibilio a réalisé les arrangements de ce groupe, et c'est aussi un musicien classique. Cette démarche n'a rien d'étonnant, car autant en France, on trouve dans la musique traditionnelle des musiciens issus d'un peu tous les horizons, autant en Italie les musiciens "traditionnels" sont nombreux à être issus de la musique classique.
Pour moi, il était indispensable d'aller chercher Andrea Sibilio pour les arrangements, à la fois en accord avec Colette Alliot-Lugaz et en accord avec notre travail. Et puis tout simplement pour améliorer certains morceaux "bruts de décoffrage", qui peuvent présenter un intérêt dans le cadre d'animations ou de la danse, mais assez peu finalement dans le domaine du spectacle vivant. Je veux dire que les enchaînements habituels "couplet-refrain-couplet-refrain-couplet-refrain...", sans arrangements particuliers, ce n'est pas satisfaisant pour des spectateurs qui sont assis une heure et demie devant des musiciens et chanteurs...
CMTRA : Andrea Sibilio est-il intervenu dans les arrangements de la Kinkerne ?
A.C. : Il y a assez peu de pièces musicales et chantées du répertoire de La Kinkerne qui n'est pas absolument là en tant que groupe constitué, ses musiciens intervenant plutôt ici à titre individuel (même si Jean-Marc Jacquier est le "collecteur" de la plupart des mélodies et chants utilisés dans le spectacle).
CMTRA : Le répertoire présenté dans la "Cantate des Alpes" est très divers : chants traditionnels de l'Oberbayern, du Chabelais ou du Val Varaïta entre autres régions, aux côtés des pièces de Mozart et de Rossini. Comment est choisie l'interprétation de ces univers musicaux si lointains ?
A.C. : Nous avons souvent choisi des les interpréter en formations variables, duo, trio, choeurs d'hommes. Ainsi, pour les pièces plus classiques, Colette chante avec deux musiciens, Andrea Sibilio et Pino Laruccia qui est un clarinettiste classique, mais qui travaille également avec le groupe de musique traditionnelle "La Rionda" de Gènes.
CMTRA : Donc, nous ne sommes pas dans le cas de figure avec bandes magnétiques et violons enregistrés : ce sont réellement des musiciens inter-disciplinaires qui interprètent en direct la musique, sous toutes ses formes ?
A.C. : Bien sûr. Ici l'intérêt des arrangements se justifie dans un sens minimaliste : nous avons peu arrangé les pièces de musiques traditionnelles, mais inversement, nous avons été obligés de réduire la dimension orchestrale des pièces un peu plus classiques de Mozart ou de Rossini. Ce sont ces interactions, à chaque fois entre les musiciens, qui rendent nécessaire les arrangements. Et en ce sens, ce n'est pas du tout péjoratif d'arranger, bien au contraire.
CMTRA : Le son de la vielle, de l'accordéon, de la cornemuse ou d'autres instruments très timbrés ne s'est-il pas heurté au chant lyrique de Colette Alliot-Lugaz, et à sa technique de soprano ? Comment s'effectue le mariage de ces deux esthétiques ? A-t-il été utile de faire un travail de symbiose ?
A.C. : Cela fonctionne assez bien parce que Colette n'est pas éloignée de ces timbres : ainsi elle n'arrive pas avec sa technique imposée, au contraire, elle s'adapte. Il n'y a pas eu besoin d'effectuer un travail trop particulier, Colette chante souvent en duo avec Christian Abriel, ou bien Ciacio Marchelli, ou encore avec Reynald Breithaupt (les petits chants en allemand). Dans ce spectacle, nous n'avons pas fait appel à la vielle, par contre R. Amyot fait souvent des contre-chants ou un bourdon de cornemuse, sur un travail a cappella de Colette. C'est un mariage très intéressant.
CMTRA : On pense aux timbres des chanteuses traditionnelles, et à leur façon d'ornementer ; on connaît en même temps le travail qui peut se faire en Bulgarie ou sans aller si loin, en Italie du sud, avec Giovanna Marini qui cherche des timbres très durs, pas très "soft". Avec vous, nous avons une chanteuse soprano lyrique avec une autre couleur. N'y-a-t-il pas une perte dans l'interprétation ? Peut-on dire que vous êtes dans une autre "recherche" esthétique ?
A.C. : Je n'utiliserais pas le mot "recherche " qui est un peu trop technique, je parlerais plutôt d'accord, d'alliance car nous n'avons pas fait de "recherche" à tous prix. Nous avons simplement essayé de lier les choses le mieux possible, sans réduire la voix de Colette ou tenter de l'amener à des dimensions déjà existantes.
Ce qui est intéressant chez Colette et dans ce qui ressort pour l'instant de cette création interprétée à Chambéry, c'est que de très nombreux spectateurs et professionnels m'ont fait la réflexion sur le phrasé excellent de Colette : "... ce qu'elle chante est tout à fait audible !" C'est assez significatif et vraiment très important, car souvent dans l'opéra, on perd un peu le fil de l'histoire, sauf si l'on connaît le livret par choeur.
De plus, Colette ne se met pas du tout en avant sur la scène, pour paraître "accompagnée" par tel ou tel musicien. On passe très facilement de la voix à la musique, et d'un petit groupe à des ensembles, sans choc. Dans ce spectacle, il y a huit personnes sur scène, et jamais Colette ne se positionne comme la "vedette", cela est remarquable.
CMTRA : Colette Alliot-Lugaz sera prête à interpréter les "Chansons d'Auvergne" de Canteloube, à la suite de Victoria de Los Angeles?
A.C. : Elle l'a déjà fait. Souvent en récital accompagné d'un piano et avec André Gabriel, un musicien connu dans le paysage de la musique traditionnelle ou baroque. Mais justement, dans ce spectacle il n'y a pas ce côté savant de Canteloube. Avec les arrangements d'Andrea Sibilio, l'ambiance musicale est, je crois, beaucoup plus simple et plus à l'avantage des musiques traditionnelles.
CMTRA : Alain, tout cela est très intéressant, et nous avons hâte de juger sur pièces. Un projet de compact-disque dans la continuité du spectacle ?
A.C. : Oui, bien sûr. C'est une question de temps et "d'économie". Normalement nous devons réaliser un CD de ce spectacle au plus tard pour notre passage à Annecy. Le CD devrait être d'une cinquantaine de minutes, extraites du spectacle d'une heure et demie. C'est tout à fait d'actualité et nous allons le faire.
CMTRA : Et le CMTRA se fera un plaisir de le distribuer. Alain Claude, merci.