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"Le premier jour ou le rossignol chante"

Entretien avec Jacky Bardot CMTRA : Jacky Bardot, tu as maintenant à ton actif un grand nombre de collectages surtout autour de la chanson traditionnelle. Tu proposes une intervention dans le stage de chant traditionnel qui aura lieu les 24, 25 et 26 janvier 1997 à Saint-Fons. Cette intervention porte le titre de "Réflexions sur l'enquête ethnomusicologique où l'enquêteur devient l'objet de sa propre enquête". Quels sont tes centres d'intérêt lors d'une collecte ?

Jacky Bardot : Mon premier centre d'intérêt était de recueillir des "monuments" comme l'on disait au XIX ème siècle, c'est-à-dire des chansons, des musiques et de faire acte de "muséographie", de mise en collections. Mais au-delà, il y a un aspect Humain avec un grand "H", c'est-à-dire la relation qu'entretiennent les personnes par rapport à ce que nous, nous appelons musique traditionnelle ou chanson traditionnelle.

Je ne suis pas le seul à avoir constaté ce genre de choses. Pour eux, ce n'est pas très important : la musique, c'est la grande musique, c'est celle que l'on entend à la radio, qui est diffusée et puis il y a "leurs petites choses" qui sont considérées comme des choses moins importantes.

Ce qui m'intéressait aussi, c'est que j'ai le sentiment qu'il y a des traditions mais derrière il y a une autre tradition. Pour prendre une image, si l'on disait que la tradition est un diamant, celui-ci renverrait des couleurs différentes suivant l'angle d'éclairage. De cette manière, ce qui m'intéressait c'était presque d'essayer de rencontrer les gens en amont de leur culture parce que l'on s'aperçoit qu'il y a des constantes qui se dégagent dans les différentes traditions : des constantes de traitements, de gammes ou de rythmes mais qui sont traitées souvent différemment. Au-delà de ces formes qui nous sont données à entendre ou à voir, il y a quelque chose en amont.

Cependant, cette sensation, cette réflexion n'a pas été immédiate, elle est venue progressivement. Très souvent, on a beaucoup de mal à se rendre compte que ces musiques étaient plongées dans un environnement sonore tout à fait particulier, qui n'a plus rien de commun avec le nôtre. Il y avait l'omniprésence de sons de la nature, des animaux, des éléments naturels qui, à mon avis, déterminent pour beaucoup la manière de l'incorporer à tout cela, de se l'approprier et de la restituer sous une forme humaine et musicale. Si l'on prend les sociétés paysannes, elles sont marquées par le rythme des saisons, les travaux, les fêtes religieuses, en fait, tout l'aspect rituel qui intervient dans la manière de concevoir les choses. Pour anecdote, j'avais un voisin (qui est décédé aujourd'hui) qui un jour m'a dit qu'il connaissait la "Chanson du mois de Mai" (chanson que l'on chante dans la nuit du 30 avril au 1er mai) ; je lui ai donc demandé de me la chanter et il m'a répondu qu'on n'était pas le 1er mai. Sur le coup j'ai été très surpris, puis après réflexion je me suis dit qu'il avait raison puisque cette chanson on ne l'entend que ce jour-là. De plus on ne l'entend que d'une manière particulière parce qu'en général les chanteurs de Mai passent la nuit et le 1er mai c'est aussi le premier jour où le rossignol est censé chanter. Le fait d'entendre la chanson chantée de très loin puis s'approcher peu à peu, cela change beaucoup de choses par rapport à l'objet, l'espace, le moment...

Il y a toute une prise en compte : la musique n'est pas un objet seulement esthétique, pour le plaisir de l'écoute mais c'est une manière de s'intégrer dans l'environnement dans sa totalité, c'est-à-dire le temps, le lieu ... CMTRA : Est-ce que ces chansons qui ont été forgées, utilisées dans un contexte global de société rurale, ont une chance de survie hors ce contexte, dans notre société contemporaine où il n'y a évidemment plus du tout la même pensée, les mêmes manières de vivre ?

J.B. : Je pense qu'elles ont une chance de survie mais elles ne pourront certainement pas être utilisées pour les mêmes raisons. On traite souvent ces musiques, ces chansons d'objets primitifs dans un sens un petit peu péjoratif mais on pourrait dire qu'au contraire "primitif" c'est ce qui est premier, avant. En fait, dans le cadre de mon travail, j'utilise ces chansons comme pour donner des bases, une manière de chanter, d'utiliser des rythmes, de se promener sur des échelles musicales. Ensuite, une fois que les gens se les seront appropriés ou les auront incorporées - j'aime bien le terme "incorporées" parce que je pense que le corps est un passage obligé et nécessaire - ils utiliseront cette "nourriture" pour en faire leur propre musique, leur propre manière d'écrire ... et non pas forcément comme une reproduction ou une imitation. Cela m'amène à une réflexion, c'est que paradoxalement on a toujours tendance à voir la tradition comme quelque chose de répétitif et d'immuable alors que ce n'est pas cela. La tradition se nourrit sans cesse de nouveautés et crée chaque fois que les gens introduisent quelque chose de nouveau. Certains rejettent la nouveauté de la tradition et d'autres, au contraire, se reconnaissent dans cette manière nouvelle de voir les choses. CMTRA : À quel moment l'enquêteur devient-il l'objet de sa propre enquête ?

J.B. : Je crois que l'enquêteur devient l'objet de sa propre enquête quand il se rend compte (bien que cela lui crève les yeux) qu'il a affaire à des êtres humains comme vous et moi et non pas à des espèces d'animaux de laboratoire à étudier. De cette manière, ils ont un rôle de miroir qui me renvoie ma propre manière de concevoir la musique, de la vivre ou de la faire ... et de la même façon, ma manière de vivre et de voir les choses.

C'est vraiment l'effet miroir qui est peut-être le plus marquant et en fait, au bout d'un certain temps, je me suis rendu compte que si c'était d'abord l'objet qui m'avait amené vers ces gens-là, il y avait surtout, derrière, la personnalité humaine et c'était peut-être le plus important !

Je pourrais donner l'exemple du dernier collectage que j'ai fait : je suis allé voir une personne qui s'appelle Jean Ravachol ; il ne m'a pratiquement rien donné au niveau objets sonores mais il m'a laissé un souvenir impérissable en tant que paysan, heureux dans sa vie, c'était une véritable leçon de vie ! De plus, il jouait de l'accordéon sans vraiment connaître la musique et cela "tournait" quand même !


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