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Le Funana des Badiu : Kodé di Dona

L'Accordéoniste du Cap-Vert KODÉ DI DONA sera présent cet été en Beaujolais : L'occasion d'une rencontre avec son guide lyonnais et européen, l'écrivain Jean-Yves Loude. CMTRA : Jean-Yves Loude, racontez-nous comment un accordéon diatonique "Maugein Frères à Tulle" s'est retrouvé dans l'une des îles perdues de l'Atlantique.

Jean-Yves Loude : Kodé di Dona est venu en France en 1994 aux "Nuits de Nacre" à Tulle. L'anecdote est belle: Quand il est arrivé à Tulle, Kodé di Dona s'est produit avec un accordéon diatonique tout rafistolé, avec des touches à moitié enfoncées... mais sa musique a énormément plu aux gens, il a fait un tabac ; personne n'avait entendu le "Funana" : il a beaucoup ému.

On lui a fait visiter l'usine Maugein Frères. Il y avait là une productrice de France Culture, qui s'était mis en tête de lui offrir un accordéon, de créer une chaîne d'amitié, de solidarité : Ainsi pendant toute la visite de Kodé di Dona à l'usine, des ingénieurs prenaient des notes en douce. Ils l'ont fait jouer avec des accordéons pour qu'il explique où il posait les doigts, quelles étaient ses techniques... Ils notaient tout pour lui faire un instrument sur mesure.

La firme Maugein a donc réalisé l'accordéon et quand il a été prêt et payé, la productrice de France Culture est allée le porter à Kodé di Dona sur l'île de Santiago. Je pense que l'histoire est assez belle ! Cependant, il garde aussi son vieil accordéon. Il a commencé à jouer de l'accordéon vers 17-18 ans. Son premier accordéon, il le tient d'une femme qui était rentrée de São Tomé. Elle avait immigré dans les plantations cacaoyères à cause de la famine et elle revenait avec un tout petit peu de biens... et un accordéon. Kodé di Dona l'a échangé, dit-il, contre un fût de maïs. À l'époque, dans les années 40, un fût de maïs représentait beaucoup d'argent, à cause de la sécheresse. CMTRA : Pouvez-vous situer le Cap-Vert ? Que représente la diaspora Cap-Verdienne dans le monde ?

J.Y.L. : Il y a un million de cap-verdiens dans le monde dont 350 000 au pays. Le Cap-Vert est un archipel découvert en 1460 par des marins portugais. Le Cap-Vert est constitué de dix îles situées à 500 kms à l'Ouest de la côte sénégalaise, de Dakar. En fait ce n'est pas vert du tout! Le Cap-Vert se situe exactement dans cette bande de sécheresse qui va du Mali jusqu'au nord-est du Brésil. Souvent, quand il pleut sur le continent, il ne pleut pas au Cap-Vert parce qu'il y a un jeu contraire des vents.

Les portugais se sont installés dès 1462 et ils se sont aperçus que l'exploitation de la canne à sucre allait être difficile : la terre était beaucoup moins disponible et complaisante qu'au Nord, aux Açores. Ils se sont tournés naturellement vers l'Afrique pour demander des "bras". Dans l'histoire de l'Humanité, le Cap-Vert est un exemple à part. C'est une des rares terres où la rencontre entre l'Europe et l'Afrique s'est faite sur une île déserte. Le principe de l'esclavage va se développer et le Cap-Vert va devenir la plaque tournante des esclaves dans le Triangle Nègre Piastre.

De plus, les Portugais qui arrivaient au Cap-Vert, n'étaient pas de "premier carat" comme on dit: des militaires, des aventuriers, des bagnards, des proscrits et quelques femmes blanches qui n'étaient pas de première vertu. Très vite, profitant de la faiblesse du pouvoir blanc, des sécheresses, des famines et des pirates, va se développer le "marronnage", notamment à Santiago.

L'île de Santiago, où vit Kodé di Dona, est la plus grande : elle couvre à elle seule la moitié de l'archipel, c'est une grosse île agricole avec un relief convulsif de volcans, de cordillères, de canyons... Un relief qui permet effectivement des échancrures, des ribeiras, des échappées donc un marronnage. CMTRA : Qu'est-ce exactement que le marronnage ?

J.Y.L. : "Marronnage" vient du terme "marron", "qui reprend sa liberté". On parle d'un cheval "marron" quand il a été domestiqué et qu'il reprend sa liberté. Le marronnage est connu avec les Noirs d'Haïti et de Saint-Domingue, on les appelle les "Nèg' maons", comme ce groupe de marro qui vient de se créer, les "Nèg' maons", un groupe de marro.

Le marronnage, c'est le fait de s'échapper de la plantation, d'aller se réfugier dans des reliefs inaccessibles et d'y développer une sorte d'indépendance, loin de la pression des maîtres. Le pouvoir blanc va tellement s'affaiblir pendant deux siècles qu'une véritable culture va s'instaurer dans ces fonds de "ribeiras". Les Portugais ont vraiment éradiqué l'âme et l'héritage africains. Les africains qui étaient déportés et qui arrivaient au Cap-Vert devaient communiquer: or le maître parlait portugais et les autres africains parlaient des langues très peu compréhensibles entre elles.

Ainsi est née une langue, le créole, qui est une sorte d'acquisition des mots de passe du portugais simplifié, et d'une conception de la vie et des grammaires africaines. Le créole est le véhicule d'une poésie et d'un état d'esprit allégorique. Le créole va servir effectivement à s'exprimer aux dépends du maître, de la police et plus tard de toutes les formes répressives. Dans les échancrures du relief de Santiago, vont se développer une poétique et un genre musical spécifiques. CMTRA : Quelles sont les sources les plus anciennes sur les musiques du Cap Vert ?

J.Y.L : Nous n'avons pratiquement rien, parce que là encore, le pouvoir portugais interdisait ces expressions africaines. Eradiquer l'Afrique, c'était baptiser les Africains, leur imposer une langue, le portugais. Brûler les tambours, les interdire, christianiser, démoniser toute l'Afrique et le corps africain, enlever les vêtements africains (il n'y a plus de "boubous"), même si au début du siècle les femmes étaient encore en pagne. Les cap-verdiens n'ont plus le sentiment de lien ombilical avec l'Afrique, mais celui qui vient d'Afrique et qui la connaît, la voit partout dans l'île de Santiago. Il voit la façon dont les femmes portent les bébés dans le dos avec le pagne, il voit les femmes piler le maïs et dès qu'il voit des femmes danser, c'est le "saba" du Sénégal...

Les percussions étant interdites, l'interdiction développe des expressions, C'est cela qui est merveilleux, les cultures naissent ainsi. Certains chants de femmes appellent aussi à la venue d'une "prophétesse" : Elle se lève et va improviser des chants moraux inspirés par Dieu, des chants de dénonciation des comportements malsains au sein de la société, des personnes trop orgueilleuses, des rapports amoureux anormaux, du vice de certains hommes, des tendances alcooliques des autres, des abus du pouvoir...

C'est le "Finaçon", qui est chanté par des hommes mais la plupart du temps par des femmes, et qui va être la musique de fête, la musique sociale des baptêmes, des mariages puis des fêtes populaires, des Saints.. Evidemment, l'Eglise "hurle" contre ce moyen d'expression, fait tout pour l'interdire. En effet, à un mariage, avant la nuit de noce, de voir cette exaltation du corps, des femmes qui tapent entre leurs cuisses largement ouvertes, et qui tapent avec beaucoup d'humour et de moquerie en faisant l'éducation amoureuse de la jeune fiancée, tout cela n'est pas très bien vu avant le sacrement !

Jusqu'en 1975, date de l'indépendance de l'archipel, tout sera fait pour interdire le "Finaçon". Il garde un peu du griotisme africain.

La prophétesse de "Finaçon" connaît ce que l'on appelle une "élection par Dieu". Elle entend des voix presque mystiques, sacrées qui lui disent "C'est toi, ton devoir sera de faire cela".Les prophétesses de "Finaçon" se créent leur réputation, elles se font concurrence.

Nacia Gomi qui est la plus grande prophétesse de "Finaçon" aujourd'hui, raconte toujours qu'à l'âge de 14 ans elle avait été appelée à un mariage parce qu'elle avait des prédispositions, et qu'à cette époque-là, elle avait très peur de rencontrer la "championne" : elle avait donc demandé à Dieu de tomber malade. Dieu l'a exaucée puisqu'elle a été malade...mais elle a guéri la veille, et sa mère lui a dit d'y aller ! Au mariage, elle a chanté, elle a fait une allégorie sur l'amour et le mariage et tout le monde s'est écrié : "Credo, cette fille-là ne sera plus jamais malade, elle va avoir un grand destin". Elle est devenue maintenant à 76 ans la plus grande chanteuse du siècle, de "Finaçon". CMTRA : Vous l'avez rencontrée ?

J.Y.L. : Je l'ai rencontrée longtemps pour le livre que je viens de publier. Je dirais sans vouloir faire de la provocation que Nacia Gom est aussi importante que Cesaria Evora. S'il y a deux grandes figures de la musique au Cap-Vert, ce sont ces deux femmes. CMTRA : Du Finaçon à l'accordéon diatonique et au Funana, quelle relation ?

J.Y.L. : Au début du XXème siècle est arrivé l'accordéon. On dit qu'il est venu du Portugal, ou par des marins du Brésil, pour remplacer l'harmonium dans les églises... Comme dans beaucoup de cas, les Noirs se sont emparés de cet instrument et l'ont passé par le crible de leur génie propre. Pour le "Funana", on ne connaît pas trop l'étymologie. Il y a des étymologies comiques : On dit qu'il y avait une paire de joueurs, que l'un s'appelait Funa et l'autre Nana, mais personne n'y croit ! On pense plutôt que cela vient du portugais "Funanga" qui veut dire "lieu malsain où l'on joue mal de l'accordéon", déjà un terme péjoratif. On pense que le "Funana" est né au début du siècle, vers 1910-1920. Ce que jouent les musiciens de "Funana", ce sont des choses reconnaissables. C'est ce qu'ils appellent samba pour les influences brésiliennes, c'est la mazurka, la contredanse, la valse : ils content l'héritage qui est venu d'Europe ou du Brésil et à partir de là, ils "trafiquent" toute la musique.

N'ayant pas droit aux percussions, ils prennent ce qu'ils ont sous la main : Kodé di Dona explique qu'il a trouvé une cornière, un jour, sur un chantier. Cet objet en métal, bien ébréché, est raclé avec un couteau de cuisine que l'on appelle "reco-reco" ou "ferrino". Le "Funana" se joue exactement comme le "Finaçon", dans les mêmes lieux. On jouait le "Funana" pour les baptêmes, les mariages, la fête des Saints dans la mesure où l'Ordre portugais le permettait parce que, comme le "Finaçon" jusqu'en 1975, le "Funana" est dénigré et traité de musique de "sauvages", et officiellement interdit. CMTRA : S'agit-il d'une forme de chant improvisée, ou au contraire le chanteur s'appuie-t-il sur des formes fixes ?

J.Y.L. : C'est un chant qui n'est pas tout à fait improvisé, les musiciens y réfléchissent avant de partir au bal, pour avoir une nouveauté à présenter. Le bal est aussi très important, c'est un bal de pure distraction où le joueur est appelé à traverser l'île à pied pour rejoindre un village et jouer toute la nuit. C'est ce qu'expliquait Kodé di Dona : il n'était payé que quelques pièces de monnaie, mais il avait le "grog" (le rhum), le prestige et "les relations sexuelles" parce que le musicien de "Funana" est réputé avoir une vie sexuelle très accomplie.

C'est une musique rurale et cela définit également un genre de vie. "Funana" devient synonyme de la vie que mène le joueur d'accordéon. On dit "joueur de Funana" pour quelqu'un qui mène une vie dissolue et qui a des maîtresses partout...Dans la chanson "Amizadi la korason" (Amitié au fond du coeur), il va passer son temps à dire : "J'aime bien tel homme parce qu'il a deux jolies colombes (qui sont deux filles !) et ces deux colombes, je vais les déguster dans telle vallée "...

Dans "Titina Lopi bu ka ten kabelu" (Titina Lopes tu n'as pas de cheveux), il va dénoncer Titina Lopi qui est une jeune fille qui a commencé ses relations sexuelles trop tôt donc qui a perdu toute chance du mariage parce qu'elle passe son temps à aller de l'un à l'autre (sans doute est-ce un amoureux un peu déçu qui le dit !) La sexualité fait partie de la musique mais elle gêne l'Église et l'Ordre portugais. CMTRA : Aujourd'hui sur cette île de Santiago, cette musique survit-elle sous une forme folklorisée, ou au contraire se dirige-t-elle vers une nouvelle destinée ?

J.Y.L. : En 1975, date de l'Indépendance, toutes ces expressions authentiques de l'âme cap-verdienne, qui viennent de la profondeur, de la souffrance, du ventre de l'île de Santiago, sont considérées comme l'héritage, la culture du Cap-Vert ; Et pendant quelques années, des gens comme Kodé di Dona deviennent des héros nationaux. Mais très vite l'intelligentsia n'a pas supporté de se faire représenter par des paysans.

En 1975, les jeunes qui n'avaient pas échappé aux Beatles, à Aretha Franklin, à la musique électrique, ont voulu également avoir une expression qui soit la leur: il y a eu un mouvement de retour aux sources. Ils sont allés trouver des gens comme Kodé di Dona. C'est ainsi qu'est né le "Funana" électrique. CMTRA : Quelle place tient réellement Cesaria Evora dans ce paysage musical ?

J.Y.L. : La "morna" que chante Cesaria reste un mystère au niveau de l'origine pour les musicologues. On dit au Cap-Vert que la morna est née à Boa Vista, île la plus proche du continent africain. La "morna" est née à peu près en même temps que le fado mais personne ne veut assimiler les deux.

Le grand compositeur de "morna", Eugénio Tavarès, originaire de l'île "De Brava", a composé un plus grand nombre de "mornas". Il datait la naissance de la "morna" vers 1830. La "morna" s'est nourrie du "lundum" (musique d'expression des esclaves d'Angola partis au Brésil, et revisitée par le génie brésilien), avec un côté très sensuel, très sexuel et très provocateur au niveau des paroles. Le "lundum" est aussi arrivé au Portugal où il a été assagi ; là il a rencontré "les modinh" et l'influence de l'expression espagnole, le "fandango". Tout cela va donner naissance au "fado". A Boa Vista l'insolence et la moquerie du lundum ont créé une proto-"morna" rapide, très swinguante chantée par les femmes, reprise par le peuple, jouée aussi dans les salons vers 1830. Le nom "morna" apparaît à Boa Vista, à l fin du XIXème siècle. Puis la "morna" arrive dans l'île de Brava, là où naît Eugénio Tavarès à la fin du XIXè siècle, fils d'une mère espagnole et d'un père portugais. C'est un intellectuel, formé par des instituteurs locaux, brillant, poète...le premier journaliste à avoir écrit "L'Afrique aux Africains" alors qu'il était blanc. Il a été obligé de s'enfuir aux Etats-Unis poursuivi par l'armée portugaise. Une canonnière a été envoyée pour le cueillir, alors il a fui habillé en femme! Quand il rentre au Cap-Vert, il se met à composer beaucoup de "mornas" romantiques, dans un climat plus doux, où l'on retrouve la notion de départ pour l'Amérique, le "choro", la "saudade" portugaise.

Puis la "morna" va repartir à São Vicente, la ville de Cesaria Evora : c'est la troisième étape. Les écoles de "morna" se développent après Eugénio Tavarès. On la ralentit encore. Il ne faut pas oublier que la "morna" est une musique de danse. D'autres influences arrivent: Cuba, les marins, l'Angleterre, le Brésil... On parle de la fragilité de l'existence, de la précarité. On ralentit pour que la danse devienne un corps à corps langoureux: on danse mais on fait du sur place.

Des compositeurs très importants apparaissent, comme Beleza qui sera l'oncle de Cesaria Evora. La dernière étape est à São Nicolau, avec une "morna" de la mort, et des thèmes qui rappellent les famines... L' une des plus belles "mornas" que chantera Cesaria Evora s'appelle "Rotcha' Scribida", née des lamentations funèbres. CMTRA : Il y aurait donc d'un côté une musique rurale de danse liée aux prophétesses d'origine africaine, le "Funana" de Kodé di Dona, et de l'autre une musique plus littéraire, plus inspirée par le voyage romantique du XIXe siècle, la "morna" ?

J.Y.L. : La "morna" est très écrite. Sa poésie transcrite : Le "Funana" est une musique de l'intérieur de Santiago, que l'on ne connaît pas dans les autres îles du Cap-Vert : ainsi quand j'ai présenté Kodé di Dona à la FNAC, la communauté cap-verdienne de Lyon a répondu présente, mais des dames originaires de São Vicente sont venues et m'on dit qu'elles n'en avaient jamais entendu parler ! Cap-Vert

Kodé di Dona Producteur artistique : Jean-Yves Loude Disque OCORA


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