Takfarinas et Lueurs Méditerranéennes à Saint-Priest

Entretien avec Jean-Marie Bihl Directeur du Centre Culturel Théo Argence CMTRA : Vous organisez une semaine culturelle du 3 au 12 avril, quel en est le thème ?

Jean-Marie Bihl : Cette semaine culturelle s'intitule "Lueurs méditerranéennes" et le propos est de faire découvrir la culture du Maghreb. C'est la deuxième année où nous essayons de donner un coup de projecteur sur les cultures d'un pays ou d'une région autre que l'Hexagone. Cette année se sera donc le Maghreb, et la découverte de sa culture à travers le Théâtre, la Musique et la gastronomie, qui donneront lieu à des rencontres et des échanges ; du cinéma, des films, ainsi que l'accueil d'expositions faites avec des artistes ayant un regard sur le Maghreb, au Centre d'Art Contemporain. CMTRA : L'année dernière, la semaine culturelle de Saint-Priest était consacrée à l'Arménie. Votre souci cette année est-il de chercher un ancrage plus profond avec les associations et la population locales ?

J.-M.B. : Il est vrai que cela a été notre souci : nous étions un peu éloignés de la population locale avec l'Arménie. Cependant, dans notre travail, nous essayons avant tout d'inviter le public à s'ouvrir à "l'autre", à toutes les cultures qu'elles soient proches ou lointaines : avec l'Arménie, c'était en effet plus lointain, mais avec le Maghreb, nous sommes assez proches des préoccupations de cette ville et des associations qui travaillent avec les différentes communautés locales. Nous cherchons un travail de proximité, particulièrement avec les femmes.

Ainsi des femmes de différents quartiers de Saint-Priest vont se réunir, imaginer et préparer un repas maghrébin : et ce ne sera pas du couscous, car nous ne connaissons que cela, mais vraiment autre chose ! Nous réaliserons un reportage vidéo et photographique, qui donnera lieu à une exposition : "Portraits de femmes du Maghreb à Saint-Priest". CMTRA : Travaillez-vous avec des associations-relais pour ce projet ?

J.-M.B. : Nous travaillons effectivement en relation avec des associations, mais l'initiative revient au Centre Culturel, porteur de ce projet en particulier pour le théâtre. Les autres partenaires : ciné 89, le centre d'Art Contemporain, les centres sociaux de la ville, les maisons de quartier. Chacun ayant une resposabilité dans ce projet. CMTRA : Quel sera le moment fort de l'activité musicale ?

J.-M.B. : L'association Awal a fait le choix d'inviter le groupe Takfarinas, et nous organiserons ensemble le concert. Tout est géré conjointement : la prise de risque, le travail en direction du public pour faire en sorte que ce dimanche 6 avril après-midi soit une rencontre de convivialité. Il y aura peut-être avant le concert, dans le hall du théâtre, des pratiques musicales du Maghreb amateurs. CMTRA : "Lueurs méditerranéennes" aura lieu au mois d'avril : le Centre Culturel gère-t-il d'autres activités en direction de ces populations, le reste de l'année ?

J.-M.B. : Un des axes forts à Saint-Priest c'est la danse issue du mouvement hip-hop et le rap. Ces danses que l'on appelle maintenant "danses urbaines" constituent un travail à long terme. La prise en compte des jeunes à travers cette expression de la danse est importante aujourd'hui. Souvent ce qu'ils ont à dire passe par le corps, le mouvement. C'est pourquoi la danse urbaine a une grande importance à Saint-Priest, d'autant plus qu'existe ici la compagnie Accrorap, ainsi que Käfig, deux compagnies vraiment insérées dans la ville, qui ont leurs racines ici, et qui se sont élargies avec les années.

Ces deux compagnies professionnelles créent des spectacles mais vont aussi dans les quartiers, dans les écoles pour des animations, des rencontres et des échanges, organisent des ateliers... Ce qui permet de toucher, grâce à la danse, une large population, qu'elle soit française ou maghrébine. De même nous proposons depuis deux ans un atelier d'écriture rap. Des jeunes ont envie d'écrire, de s'exprimer à travers le rap.

Cette année, l'atelier est conduit par deux rappeurs du groupe Lex Léo. Ces jeunes écrivent des textes, ils sont accompagnés dans leur écriture et ce que l'on peut entendre est de très bonne qualité ! Ils font aussi de la composition musicale. Quatre textes de l'atelier ont été présentés lors du "Tremplin Chanson", d'autres thèmes le seront à la Fête de la Musique. Ce travail est inscrit dans le projet de Saint-Priest et il y a une sorte de pérennité. La semaine culturelle sur le Maghreb est un temps fort. Des échanges pourront avoir lieu avec les 13 comédiens de la compagnie tunisienne et l'auteur du texte du spectacle : Fadhel Jaïbi. CMTRA : Quel sera l'objectif pour l'année prochaine ?

J.-M.B. : Pour le troisième accueil, au cours de la saison 97-98, nous avons pensé au Portugal car il s'y passe des choses importantes : en chanson, avec le fado, en danse mais aussi dans le domaine de l'écriture et du cinéma. Nous voudrions donc voir ce qui se passe au Portugal et montrer, comme nous le faisons cette année avec le Maghreb, quelques moments de la culture portugaise, par exemple inviter Vera Da Silva. CMTRA : Hadja Lagoune, vous êtes chargée du projet "Lueurs méditerranéennes": pouvez-vous nous parler de l'association Awal, qui en est partenaire ?

Hadja Lagoune : AWAL est une association qui défend toutes les cultures berbères, que ce soit par le chant, la langue : elle enseigne également la danse, et bientôt le théâtre.

C'est une association basée à Lyon, qui a un an ou deux d'existence. Elle commence à s'agrandir, beaucoup de personnes y adhèrent, surtout des kabyles. Nous allons travailler ensemble pour l'accueil de Takfarinas. Ils sont "leaders" du concert et nous mettons à disposition la salle, la technique, la communication et l'accueil. Le Centre Culturel de Saint-Priest est un lieu d'accueil de spectacles. Pour réaliser ce coup de projecteur sur le Maghreb, nous faisons venir une compagnie tunisienne et un chanteur algérien et l'objectif est de déplacer tout un public qui n'a pas l'habitude de venir au théâtre, un public qui viendra découvrir une culture que lui-même ignore. Le Centre a donc une démarche artistique en premier lieu, pas une démarche folklorique. Nous nous intéressons à l'actualité de cette culture, au débat qu'elle peut provoquer... C'est une culture moderne et contemporaine.

"Les amoureux du Café Désert" est un spectacle de théâtre très fort. Il raconte les difficultés de la jeunesse tunisienne, ces jeunes qui ont le mal de vivre, sans repère, ne sachant plus où ils sont. La pièce parle aussi du conflit entre les générations, du rapport à l'intégrisme aujourd'hui, du rapport au politique, au religieux, à l'homosexualité, sujets encore plus difficiles à aborder dans le contexte maghrébin contemporain. Fadhel Jaïbi est un des metteurs en scène les plus connus et reconnus en Tunisie. J.M.B. : Il y a quelques années la force du théâtre était surtout en Egypte puis elle s'est passée en Algérie : maintenant elle est en Tunisie, où il semble se passer les choses les plus fortes. J'ai rencontré Fadhel Jaïbi : il me disait qu'il était contesté en Tunisie.

C'est quelqu'un qui ose dire, qui ose parler de ce qui est tabou. Or il ne faut pas trop parler dans le Maghreb aujourd'hui. Contact : Centre Culturel Théo Argence Place Ferdinand Buisson 69800 Saint-Priest Tél. 04 78 20 02 50