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Le Grand Carillon de Chambéry

Entretien avec Jean-Pierre Vittot, carillonneur, titulaire du Grand Carillon de Chambéry, président de l'association "Les Amis des Carillons Savoyards" Jean-Pierre Vittot : D'après la définition de la Fédération Mondiale du Carillon, c'est un instrument de musique, comportant au moins vingt-trois cloches, formant ainsi un ensemble comportant deux octaves chromatiques, avec un clavier à "bâtons" et une transmission mécanique. Le nom de carillon aurait pour origine "quadrillon", un ensemble de quatre cloches.

En anglais, nous avons deux appellations : "carillon", pour les instruments de 23 cloches et plus, et "chime" pour les instruments de moins de 23 cloches. En France, ces derniers sont appelés "ensembles campanaires". Dans les clochers, les cloches ont d'abord eu une fonction de communication ; religieuses, elles rythmaient la vie du village ou de la ville au VIe siècle selon la règle de Saint-Benoît, sonnant les heures canoniales et les offices divins, laïques, elles diffusèrent l'information, chaque appel variant dans le rythme ou l'utilisation d'une sonorité particulière (tocsin), identifiant ainsi le message (alerte au feu ou à l'envahisseur, convocation à une assemblée). Le carillon devient instrument de musique au XVIe siècle, avec l'augmentation du nombre de cloches dans les beffrois. Le clavier à bâtons apparaît en Flandre, vers 1510, le pédalier quant à lui, est créé en 1583 à Malignes en Belgique, d'où le développement dans le nord de la France, dans les beffrois civils et religieux.

La révolution, puis les guerres mondiales, ont occasionné la destruction de nombreuses cloches. Plusieurs carillons ont été reconstruits ou restaurés par des fondeurs de canons, sans savoir-faire technique ou musical, d'où le nombre d'instruments musicalement navrants. Ce n'est d'ailleurs qu'à partir des années 1930 que les fondeurs se sont vraiment attachés à la justesse des instruments, et particulièrement un français, Paccard. La discordance générale des instruments antérieurs explique le peu d'intérêt que les grands compositeurs ont accordé au carillon. Il est très rare que l'on puisse réaccorder un instrument ancien. En effet, l'évolution du "la" du diapason au cours des différentes époques, complique encore davantage la tâche pour les fondeurs. À l'inverse d'autres instruments, le carillon, une fois accordé, l'est pour toujours. Le premier carillon de Chambéry était au "La 435" ; aujourd'hui le "La" se situe plutôt à 440 voir 442 ; le "mariage" avec d'autres instruments devient donc difficile. C'est la raison pour laquelle le nouveau carillon de Chambéry est au "La 440".

Dans les harmoniques du carillon, il y a la quinte, l'octave et la tierce, à des niveaux plus ou moins forts, mais la grande particularité de la cloche, c'est que cette fameuse harmonique de tierce est mineure et non majeure. Si vous jouez un Do, vous n'entendez donc pas le Mi naturel, mais le Mi bémol. C'est ce qui donne à la cloche ce son qui vous "prend au ventre" pour les plus grosses cloches. On a toujours cette tierce mineure, plus ou moins forte, qui crée une architecture harmonique très particulière. Quand vous composez pour carillon, il faut faire très attention à cette tierce, car on peut avoir l'impression que l'instrument joue faux lorsque l'on est en mode majeur, en particulier lorsqu'on utilise la dixième qui est la tierce à l'octave. Le carillon de Chambéry à presque six octaves, avec une cloche grave "Sol 2" qui pèse 5 tonnes. L'ancien carillon avait quarante cloches, avec une cloche grave "Sol 3", à l'octave au dessus, elle pesait 680 kg. La note de la cloche est directement proportionnelle à sa dimension, donc à son poids ; il en va de même pour le battant. Pour un écart d'un octave, le poids de la cloche va être multiplié ou divisé approximativement par huit. Un carillonneur qui change d'instrument va devoir nécessairement s'adapter au nouvel instrument.

Parmi la cinquantaine de carillons de plus de 23 cloches en France, seulement neuf sont en Do. Tous les autres sont transpositeurs, en Si b, Sol, Fa, etc... Le répertoire pose problème. À cause de toutes ces imperfections du passé, les grands compositeurs ont ignoré le carillon. Les carillonneurs ont composé pour leur instrument, mais la grande diversité de taille des carillons rend souvent difficile, voire impossible de jouer sur un autre instrument que celui pour lequel la pièce a été composée dans la mesure où l'on veut respecter la tonalité d'origine. Il est également très difficile de restituer une oeuvre sur un carillon contemporain en ignorant les caractéristiques de l'instrument d'origine. Traditionnellement, dans la plupart des cas, la touche Do du clavier était raccordée à la plus grosse cloche qu'on avait eu les moyens de s'offrir, d'où la difficulté pour les compositeurs d'écrire des oeuvres universelles devant la très grande diversité des instruments existants.

Dans le cadre des manifestations de l'an 2 000, la Guilde des Carillonneurs de France organise un concours de composition avec obligation pour les compositeurs de créer deux ou trois adaptations de la même oeuvre de façon à ce qu'elle soit interprétable sur des instruments de taille différente. Le répertoire actuel, c'est, d'une part, l'héritage des oeuvres écrites pour carillon, d'autre part, des transcriptions d'oeuvres écrites pour d'autres instruments, piano, guitare, clavecin, orgue, etc... ainsi que les adaptations faites par les carillonneurs eux-mêmes des chansons populaires, en fonction de leur instrument.

Quelques compositeurs contemporains écrivent pour le carillon, mais c'est une musique difficile à "faire passer" au grand public, tous les carillonneurs essaient cependant d'aller dans ce sens. Certaines adaptations sont particulièrement belles au carillon, grâce à son timbre particulier. Par exemple, les Gnossiennes d'Éric Satie, si difficiles au piano, prennent une dimension étonnante sur le carillon qui ne possède pas d'étouffoir comme le piano. (Philippe Decoufflé, séduit par ce timbre si particulier a intégré la première à son spectacle Petites pièces montées). Le premier carillon de Chambéry avait été acquis en 1938, suite à une souscription à laquelle les Savoyards avaient répondus avec beaucoup de générosité. Il s'agissait d'un carillon installé à l'exposition universelle des Arts et Techniques de Paris en 1937, (d'où 37 cloches), dans le pavillon savoyard. oeuvre de la Fonderie PACCARD à Annecy, c'était un des tous premiers à bénéficier d'un accordage d'une grande qualité, ce qui était révolutionnaire dans le domaine des carillons.

En 1986, la Tour Yolande du Château des Ducs de Savoie dans laquelle il était installé, devait subir d'importants travaux de restauration, nécessitant son démontage. Une nouvelle dalle, plus résistante étant envisagée, l'idée d'un carillon beaucoup plus lourd fit son chemin. Sous le modèle de la souscription de 1937, un Comité présidé par Pierre Fontanel, adjoint à la Culture de la municipalité, avec l'aide de Jean-Pierre Madelon pour la communication, mit en place un mécénat, combiné avec une aide publique, qui permit la création d'un nouveau carillon de 70 cloches, la plus grosse pesant 5 tonnes, oeuvre du facteur de carillon Paccard à Annecy.

Cet instrument d'une qualité exceptionnelle, est parmis les cinq premiers du monde. La difficulté pour le carillon, c'est que tout exercice musical se fait sur l'instrument. Afin de ne pas importuner les riverains par la répétitions, des heures durant, du même passage d'une oeuvre virtuose, nous avons acquis un clavier d'étude, inaudible à l'extérieur, que nous recevrons bientôt et qui nous permettra de travailler sans importuner les habitants du quartier.

Nous attendons ce clavier d'étude avec impatience. Le carillon est un instrument trop méconnu, malheureusement trop pratiqué dans le passé par des gens pleins de bonne volonté, mais n'ayant pas la culture polyphonique nécessaire à la pleine utilisation des possibilités de l'instrument. Pour adapter une partition, il faut tenir compte de son architecture harmonique ; certains carillonneurs conçoivent des musiques complètement "touffues", alors que d'autres transcrivent véritablement pour le carillon une partition, en respectant l'esprit de l'oeuvre dans le contexte de l'instrument.

Devenir carillonneur est encore aujourd'hui souvent le fruit du hasard. Il n'y a pas de politiques claires, notamment au Ministère, pour la promotion de la musique sur le carillon. Je reçois ici des jeunes qui ne sont pas intéressés au carillon existant dans leur propre ville, et qui découvrent sur notre instrument une réelle dimension. Je crois que l'art campanaire n'avancera pas sans l'existence de grands instruments et de beaucoup de communication. Il faut s'astreindre à faire écouter des instruments, à faire visiter des carillons, à expliquer, ne pas avoir peur de dire ce qui va bien et ce qui va mal. Un esprit mal compris de la conservation du patrimoine incite quantité de gens à dire "c'est vieux, c'est merveilleux." Je ne suis pas d'accord. Je dis toujours, "il y a des cloches qui sont très belles à voir mais pas belles à entendre." Voulons nous qu'une cloche soit belle à voir ou belle à entendre ? Il y a un phénomène physique concernant la décoration des cloches.

À juste titre, certains s'émerveillent de cloches très anciennes, magnifiquement décorées. Très bien, c'est un bel objet d'art décoratif, mais il faut savoir que plus vous décorerez une cloche, moins elle sera bonne sur le plan sonore, parce que les ajouts de décoration nuisent à la symétrie. Si vous observez les cloches de Chambéry, vous voyez qu'elles ne portent aucune décoration, ce sont des cloches prévues pour un enregistrement de musique ; c'est voulu, nous avons évité ainsi les problèmes à l'accordage et à l'harmonisation.

Si l'on considère tous les ensembles campanaires de France, ils sont globalement dans un très mauvais état. Il y a eu des restaurations réussies, des choses très bien faites, quelques factures nouvelle comme à Chambéry et d'autres villes en France, mais elles restent rares. Il y a surtout des restaurations et des ajouts. On vient ajouter des cloches à un carillon existant. Si c'est un carillon récent, datant du dernier demi-siècle, c'est possible. Mais on a souvent mariages de cloches neuves avec des carillons nettement antérieurs. On "joue" le nombre de cloches, contre la qualité, et là, je ne suis pas d'accord. Il y a des cas ou il faut savoir mettre les vielles cloches au musée et les remplacer par des cloches neuves. Certains ajouts sont d'ailleurs pires parce qu'ils enlèvent la couleur typique de l'instrument et lui font perdre son homogénéité.

Aujourd'hui, les pouvoirs publics voient plus le carillon comme un patrimoine que comme un instrument de musique évolutif sur le plan musical. Dans le domaine du carillon, on a trop de passéistes, pas assez de gens tournés vers l'avenir, mais il est vrai que peu d'instruments peuvent répondre à une vision musicale. Vouloir restaurer les vieux instruments à l'ancienne, avec les vieilles transmissions, les vieux claviers archaïques qui ne sont pas aux normes internationales, c'est se couper du reste du monde. Classer ces instruments, c'est se figer et les condamner à l'oubli avec l'arrivée d'instruments aux normes internationales. Si certains ont un intérêt indéniable d'animation locale, comment intéresser des compositeurs et des musiciens de talent ?

Tous les instruments de musique évoluent, c'est la vie de la musique, pourquoi vouloir revenir en arrière. Si nous voulons que l'art campanaire prenne toute sa dimension et que le carillon soit reconnu comme instrument de musique à part entière, il faut mobiliser sur un projet qui ne parte pas dans toutes les directions.

Beaucoup de musiciens de claviers, de haut niveau, et en particulier des jeunes, ont déjà manifesté leur intérêt pour la facture contemporaine du carillon de Chambéry, et attendent le clavier d'étude avec impatience.

En 1994, la Guilde des Carillonneurs de France, dont je suis le Président depuis deux ans, a organisé à Chambéry, le Congrès de la Fédération Mondiale. Nous avons à cette occasion, pu mesurer l'intérêt de la communication pédagogique, grâce au succès remporté par la projection sur grand écran, sur la place du château, des concerts donnés dans la tour Yolande par les plus grands interprètes mondiaux. Le coût d'une telle opération ne permet pas, bien sûr, de renouveler l'opération chaque année, mais, depuis l'année dernière, nous organisons des concerts d'été, auxquels nous invitons les carillonneurs français et étrangers. Nous espérons ainsi pérenniser une manifestation autour du carillon de Chambéry, qui trouvera sa place dans les grandes manifestations campanaires internationales. Contact : "Les Amis des Carillons Savoyards" Chemin du Pré Quénard F-73800 Myans Tél : 04 79 71 52 00 Fax : 04 79 71 52 01


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