La Maison du Pays de Bresse
Entretien avec André Laurent
CMTRA : Monsieur André Laurent, vous êtes l'un des initiateurs et responsables de l'association de la Maison de Pays en Bresse. Comment est né ce projet associatif ?
A. L. : Notre association est née fortuitement, il y a plus une quinzaine d'années. Il y avait une ferme typique du pays, la dernière en bon état, qui était menacée. On s'est dit qu'il fallait travailler à sa sauvegarde. On a donc transféré cette ferme, "Les Mangettes", qui date de 1465. Nous y avons reconstitué une habitation traditionnelle autour de la cheminée sarrasine. Ensuite, l'association a acheté une autre ferme "La Claison" (XVIIe siècle), que nous avons également déplacée et où sont exposés les outils des métiers d'autrefois, du mobilier
CMTRA : Quelles sont les particularités du "pays" bressan ?
A.L. : La Bresse est réellement un pays. C'est un pays parce qu'il y a des frontières assez marquées et qu'il est différent des régions qui l'entourent. Aussi bien la Bresse de l'Ain que la Bresse de Saône-et-Loire qui reposent sur un terrain très argileux et le climat est très humide.
Comme il n'y avait pas les matériaux nécessaires à construire des routes, il n'y avait que des chemins. De ce fait, la Bresse a été pendant des siècles un pays très isolé. Il a fallu attendre 1850 pour avoir des routes réellement carrossables. Durant les différentes invasions, la Bresse a été contournée, le long de la Saône. C'est un pays qui a vécu sur lui-même. Il y a une période importante dans l'histoire de la Bresse, c'est celle de l'avènement du maïs. Ce sont les Espagnols qui l'ont amené car l'Espagne se situait à quelques kilomètres d'ici Puisque la Franche-Comté était espagnole !
L'Espagne a eu une grande influence sur la région. Le chapeau bressan, par exemple, avec ses mantilles, est un chapeau espagnol. La langue du pays est le francoprovençal, qui est parlé depuis le Rhône, le Dauphiné, la Savoie, jusqu'au nord de l'Italie et par une partie de la Suisse française. Et puis la Bresse est un pays de traditions, de folklore et de fêtes. Depuis le côté religieux le matin jusqu'au profane l'après-midi, beaucoup de chants, de danses particulières étaient pratiquées.
Il y avait toujours "Lou ménétri", le ménétrier, qui jouait autrefois de la cornemuse. Il y a longtemps qu'elle s'est perdue, mais vers 1600, elle était très présente. C'est la vielle à roue qui l'a remplacée. Il y avait beaucoup de vielleux, des fabricants de vielle dont on connaît encore les noms. Actuellement la vielle est encore très pratiquée, et puis plus tard, la clarinette et l'accordéon sont apparus.
CMTRA : Vous effectuez également un travail autour de la conservation et de la diffusion du patrimoine linguistique et musical. Comment vous y prenez-vous ?
A.L. : En Bresse, il y a pas mal de gens de mon âge qui parlent patois. Alors rien que pour le plaisir de le parler, on a commencé à se réunir. Au bout de quelque temps, certains s'étaient mis à écrire des nouvelles qu'on écoutait lors des réunions. L'un avait écrit une scène sur les battages, un autre racontait la foire
Un beau jour, on s'est dit qu'il fallait qu'on en fasse quelque chose. Alors on les a enregistrées sur des cassettes puis on les a consignées dans un bouquin intitulé "C'était hier". Parallèlement, nous avons entrepris un glossaire de patois. On a travaillé sur ce projet pendant deux ans, en écrivant le patois phonétiquement. Je suis allé rencontrer Jean-Baptiste Martin, un spécialiste du francoprovençal, qui m'a appris l'existence d'une manière homologuée de le transcrire. Pour que tous les groupes se rencontrent et puissent communiquer, il fallait l'écrire de cette manière-là. Alors on a recommencé à zéro
On a collectionné 5500 mots qu'on a classés par ordre alphabétique, avec explication à la clef. Après cinq ans, on a pu publier notre premier glossaire. Ensuite on a publié un recueil de chants bressans dans lequel on a sélectionné les meilleures chansons de la Bresse. On a aussi réalisé une cassette. Ce n'est pas une oeuvre d'art, ce ne sont pas des chanteurs professionnels qui interprètent les morceaux, mais simplement des gens du pays qui parlent le patois. Et comme le patois, "ça ne va sûrement pas durer autant que les contributions", comme on dit chez nous, il fallait profiter qu'il y ait encore des gens qui le parlent pour réaliser cet enregistrement.
CMTRA : Les chansons qui figurent sur cette cassette, sont celles que vous chantez lors de ces ateliers ?
A.L. : Oui, ce sont des chansons connues par les personnes du groupe. On a repris un recueil qui avait été publié, il y a quatre-vingt ans par le syndicat d'initiative de Bourg-en-Bresse, et qui était tombé en désuétude. Les paroles et la musique y figuraient. Il y en avait une trentaine, on a gardé les principales. Les archives en avaient d'autres, mais on a préféré interpréter celles qui se chantaient le plus couramment.
CMTRA : Comment avez-vous choisi d'interpréter plusieurs chansons dans les deux versions, française et patoise ? Est-ce que cela correspondait à une pratique réelle ?
A. L. : La plupart des gens ne comprennent plus le patois, alors si vous voulez rendre une chanson compréhensible, il faut l'interpréter en français. Vraisemblablement, ces chansons avaient été écrites en patois, mais on les a transposées en français pour l'enregistrement. Déjà dans le manuel de chansons, il y avait la traduction en français de plusieurs chansons. Quand on allait à l'école, on n'avait pas le droit de parler patois.
Si vous le parliez, vous étiez admonestés. Il y avait des directives de l'enseignement très claires à ce sujet. C'est comme ça que le patois s'est perdu.
CMTRA : Les musiciens intervenants sur l'enregistrement font-ils partie eux aussi de l'atelier patois ?
A.L. : On a un vielleux avec nous, Pierre Basset. D'autres musiciens faisaient partie d'un groupe folklorique. Une chorale de Saint-Denis-du-Bourg a également participé à l'enregistrement. Elle est composée d'anciens qui ont accepté de chanter une ou deux chansons en patois, même si ce n'était pas dans leur habitude. Ils ont eu beaucoup de mal, mais ils y sont arrivés. Les gens étaient réticents au patois, mais petit à petit ça revient, on s'y intéresse de plus en plus.
Propos recueillis par Yaël Epstein
Les ouvrages "C'était hier" - "Quelle était riche notre langue !" - "Chants et airs du Pays de Bresse" sont disponibles à La Maison de Pays en Bresse.
Les fermes et expositions du patrimoine bressan sont ouvertes d'Avril à Novembre, tous les jours sauf le dimanche matin.
Contact
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