Entretien avec Gillie McPherson et Thierry Pigot
Sur des chemins partagés d'influences irlandaises, maghrébines et des pays de l'Est, Gillie McPherson et ses musiciens nous présentent leur dernier album Common Ground pour flâner sur ce « sol commun ».
CMTRA : Dans votre dernier CD, de nombreuses influences viennent élargir la palette déjà bien riche des musiques traditionnelles irlandaises. Pouvez-vous nous présenter votre démarche artistique pour cet album ?
Gillie McPherson : J'ai toujours été ouverte aux divers courants musicaux. Je respecte les groupes qui perpétuent le répertoire de la musique traditionnelle irlandaise « pure et dure » comme Altan, DeDanan... Je respecte ce travail de « puriste » et je pense que c'est très important que de tels groupes continuent à jouer.
Pour ma part, j'ai toujours eu une oreille attirée par tout ce qui se passe dans le monde musical. J'ai toujours été à l'écoute d'autres cultures et c'est donc normal que cela inëuence ma manière de composer et de jouer la musique.
Concernant les textes de vos chansons, comment procédez-vous ? S'agit-il de chants traditionnels, êtes-vous auteur ?
G.M.P. : Je suis auteur compositeur de Never safe, et Equad'or, les autres chants de Common Ground sont des chansons traditionnelles qui viennent d'Irlande, Sovay est une version Anglaise de The Female Highwayman, datant du xvie siècle.
My sweetheart in the old country est une chanson qui traite de l'émigration en Irlande, peut-être à l'époque de la maladie de la pomme de terre, c'est-à-dire au moment où le pays a connu une grande famine. Les hommes partaient souvent vers l'Amérique et pensaient qu'ils allaient revenir au pays avec de l'argent, mais très souvent ces hommes ne revenaient pas car ce n'était pas possible.
The lass among the Heather est une chanson traditionnelle irlandaise que l'on retrouve aussi en Écosse avec certaines variations. Dans de nombreuses chansons irlandaises, nous retrouvons des inëuences des pays de la Grande-Bretagne et également d'Espagne et d'Italie, car dans le passé les gens voyageaient en bateau et souvent dans ces navires, des musiciens étaient à bord pour encourager les marins. Ces mêmes musiciens étaient eux-mêmes très inëuencés par ces voyages.
Enfin je veux expliquer comment on trouve ces variations de chanson et de musique ailleurs. She moved through the fair est une chanson bien connue, la mélodie vient du Donegal. Nous avons repris cette chanson car nous avions envie de faire un arrangement complètement différent et peu connu dans la musique traditionnelle. Nous avons utilisé des udus drums et une guitare à douze cordes pour donner l'idée du bourdon du sitar.
Je crois que certaines chansons sont issues de vos collectages ?
G.M.P. : Oui dans les années 68 j'ai fait du collectage avec Fergus Woods, de Belfast, et nous avons recueilli vingt-huit chansons auprès d'un certain Tommy Mc Cabe qui était un musicien chanteur sans dents mais à la voix d'oiseau. Certaines de ces chansons n'ont jamais été recensées et présentent donc un caractère original.
Dans notre CD, il y a trois titres issus de ce collectage. Il s'agit donc en quelque sorte de nouveautés.
Nous pouvons noter la présence de deux percussionnistes dans votre groupe. Cela peut surprendre pour une formation de cinq musiciens. Quelles sont les raisons de ce choix ?
G.M.P. : Les percussions africaines et méditerranéennes complètent les sons du bodhran Irlandais, ces instruments peuvent être joués ensemble même s'il s'agit de techniques complètement différentes. C'est cette ouverture aux autres cultures et aux autres pays que nous trouvons agréable.
Thierry Pigot : Le bodhran apporte les tonalités basses et c'est pour cela qu'il a sa place dans la musique Irlandaise où il y a beaucoup d'instruments à cordes avec des médiums et des hauts médiums. Il asseoit vraiment la basse, de plus, les autres percussions sont surtout dans les médiums, le résultat est, nous-a-t-on dit, très harmonique.
Tous les musiciens du groupe sont compositeurs et arrangeurs ; il s'agit donc d'un véritable travail collectif ?
G.M.P. : Patrick et moi-même avons composé, et pour les arrangements, tout le monde a participé. C'était très intéressant, car chacun pouvait ajouter des idées qui n'étaient pas forcément irlandaises.
T.P. : Du point de vue de la musique irlandaise, si tu t'en tiens juste à la tradition, tu vas dans n'importe quel coin en Irlande et tu trouves des musiciens bien meilleurs. À défaut, il faut bâtir sa propre identité. Et notre projet s'est fondé autour de Gillie, de Belfast : cette femme, sa personnalité. Chacun a un peu apporté sa sauce, pour les uns, c'était un peu la Méditerranée, pour les autres, c'était plutôt l'Est, pour d'autres plutôt le groove. Mais toujours en évoluant autour de Gillie, en sachant qu'elle est aussi là pour nous ramener au répertoire irlandais et nous permettre de nous envoler vers d'autres horizons musicaux, et ainsi de suite...
Avez-vous déjà joué en Irlande avec cette formation ?
G.M.P. : Je suis allée à Belfast l'été dernier, je suis retournée au « Kitchen bar » retrouver certains musiciens, c'était comme si le temps s'était arrêté. Nous avons chanté toute la soirée, l'un d'entre eux est d'ailleurs venu en France à l'automne pour partager un moment sur scène avec nous. Mais je préfère partager les scènes avec des musiciens d'Irlande lorsqu'ils sont invités en France.
T.P. : Nous avons l'idée de jouer au Belfast Folk Festival (créé il y a 3 ans) qui a accueilli Gillie à plusieurs reprises. La première année, nous avions joué en tant qu'artistes Rhône-Alpes et la deuxième en national. Nous consolidons maintenant cette position et commençons à aller dans d'autres pays.
G.M.P. : Notre public nous dit souvent que nous les faisons rêver d'Irlande et que nous leur donnons l'envie d'y aller. J'apprécie ce rapport et si je vais jouer en Irlande, je ne peux pas faire rêver les gens de la même manière, ils vont avoir un autre regard sur ce que l'on fait. C'est comme si un Danois voulait vendre son vin en France.
Avez-vous fait appel à d'autres musiciens pour le CD ?
G.M.P : Oui, Bernard Dépit à l'accordéon et à la mandoline sur quelques morceaux, ainsi qu'Étienne Roche à la contrebasse pour deux chansons, Equad'or et My sweetheart. Ce sont des amis, et leur participation était spontanée. Parfois, Bernard joue avec nous, ou Michel Biaux au Fiddle et d'autres, on retrouve bien l'esprit session en fin de spectacle.
T.P. : Parmi les intervenants, il ne faut pas oublier Pascal Cacouault à qui l'on a confié l'enregistrement de Common Ground. Précisons que si nous avons pu travailler avec lui, c'est grâce au CMTRA qui nous a recommandé plusieurs ingénieurs du son. Gillie et moi sommes donc allés voir Pascal Cacouault et avons passé une après-midi à discuter avec lui. Nous sommes revenus enthousiasmés de cette rencontre (nous étions à jeûn). Nous l'avons accueilli comme le sixième musicien du groupe et depuis l'enregistrement, il nous accompagne sur scène. Nous espérons encore travailler plus avec lui au-delà de l'aspect sonorisation.
G.M.P. : Nous aimerions enregistrer un autre disque avec lui, pourquoi pas en live. C'est impossible de rendre le côté live en studio.
Pour la distribution du CD vous avez obtenu un accord avec Coop Breizh, ce qui est assez rare pour des groupes de la région. Comment s'est produit votre CD ?
T.P. : Jean Yves Lecorre, de Coop Breizh Distribution, est tombé amoureux de notre premier CD Celtic Cross, il y a environ trois ans, mais nous n'étions pas prêts. Dans le milieu de la distribution, Coop Breizh semblait le plus adapté à représenter notre produit. En outre, le public de plus en plus nombreux à nos concerts, du fait de la maturité du groupe et du talent vocal et scénique de Gillie, a sûrement aidé Jean-Yves dans son choix.
Que pensez vous de votre place au sein des groupes de musiques irlandaises en Rhône-Alpes, qui, depuis Tonynara, continuent à remplir les salles de la région ?
T.P. : Il y a en France beaucoup de groupes de qualité qui jouent en Rhône-Alpes, je pense à Djal, Sualtam pour la Bretagne. La liste n'est pas exhaustive. Nous sommes complémentaires de ces formations dans le sens ou nous présentons un spectacle avec une chanteuse, et quelle chanteuse ! De ce fait, nous nous produisons dans des festivals consacrés à la voix, dans des centres culturels, des soirées irlandaises, et quelquefois des pubs. Cette diversité nous permet de rencontrer un public varié.
G.M.P. : Les gens qui apprécient la musique Irlandaise viennent aux concerts par nostalgie d'un pays visité, par curiosité, ou parce qu'ils la connaissait déjà. Beaucoup en repartent séduits par le voyage. C'est très intéressant de les écouter au moment où je signe des autographes ; ils sont touchés et me le font savoir. C'est le moment où je suis spectatrice, à l'écoute.
Quels sont vos projets après la sortie de ce disque ?
T.P. : Ce disque est un aboutissement de trois années de travail. Certains groupes sortent un CD et le représentent. En ce qui nous concerne, nous partons du disque pour aller vers le prochain. Mais pour l'instant nous allons nous occuper du lancement de celui-ci avec la presse et les radios, pour avoir un écho et préparer la saison prochaine. Nous avons tellement voyagé que nous nous réservons pour nos proches. Gillie travaille actuellement sur un nouveau répertoire avec Paul Habourdin, Rachid Hassani et moi-même.
Propos recueillis par M.P.
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Common Ground est distribué par Coopbreizh :
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