Pain d'épices - de travers
"le chant, c'est la parole"
Entretien avec Jacques Tribuiani et Quentin Allemand
Inspiré des musiques traditionnelles de Bretagne, du Berry, d'Auvergne, d'Ecosse ou des Landes, Pain d'Épices, avec Vincent Sachello (basse fretless, clarinette et hautbois catalan), Quentin Allemand (percussions, bugle et chant), Didier Pourrat (saxophone soprano et chant), Tony Canton (violon), Jacques Tribuiani (cistre, ëûte et chant), propose une certaine conception de la musique qui cache derrière ses pièces traditionnelles une collection de compositions et d'improvisations.
CMTRA : Vous venez de sortir votre premier album long. Cet album est distribué chez l'Autre Distribution qui est l'un des grands distributeurs indépendants de musiques traditionnelles en France. Quel parcours avez-vous suivi pour en arriver jusqu'à ce point que tant de groupes cherchent difficilement à atteindre ?
Jacques Tribuiani : Ca n'a pas été facile mais finalement pas impossible. Faire un album, c'est d'abord une alchimie entre plusieurs impératifs. Le premier est artistique :
comment est-ce que l'on va procéder, qu'est ce que l'on va mettre en valeur par rapport à notre répertoire, quel choix va être fait, de manière à ce que notre CD soit le plus représentatif possible de ce qu'est Pain d'Épices actuellement.
Le deuxième point qui me vient à l'esprit, c'est le point financier, car il faut assumer le projet, sachant que c'est un album qui est autoproduit. Il a donc été entièrement financé par les cinq musiciens de Pain d'Épices. Il nous a fallu un certain temps pour décider du budget qui lui serait alloué. À partir de ce budget, on peut déterminer l'ambition par rapport au CD.
Après il y a les questions techniques, c'est-à-dire avec qui nous allons enregistrer, mixer, masteriser, quels sont les visuels qui vont être retenus pour le disque, sous quel format nous allons le sortir et en quelle quantité. Et enfin il y a la distribution. Et pour ce disque c'est l'Autre Distribution qui a bien voulu nous faire confiance et nous guider dans notre démarche.
Vous semblez vous inscrire dans le mouvement émergent que l'on pourrait appeler la musique traditionnelle évolutive. Quel est votre rapport aux musiques traditionnelles et comment observez-vous ses évolutions ?
J.T. : C'est un rapport qui est difÜcile, voir ambigu, car nous sommes d'une part attachés à ce terme « traditionnel » et cette musique représente beaucoup pour nous, mais en même temps nous avons le besoin de personnaliser notre approche, tout en restant accessibles au grand public.
Pour nous, ce qui est important dans la musique traditionnelle, c'est d'abord le respect du danseur, et les notions de chaleur, de rencontres, de convivialité. Et puis c'est un style qui tout simplement nous éclate ! Car c'est marrant de partir de quelque chose qui date et de s'amuser avec, essayer d'aller parfois jusqu'à la provocation avec des thèmes comme « La rose et le rosier » que nous reprenons sur notre album, qui est un chant traditionnel très connu et que l'on s'est fait un plaisir de défaire et refaire à notre manière.
Dans cet album, nous retrouvons beaucoup de thèmes liés à la danse bretonne. Vous n'avez pourtant pas d'attaches particulières à la Bretagne. Alors pourquoi un tel choix ?
J.T. : Je pense que le renouveau de la musique traditionnelle s'est fait en grande partie grâce à la musique bretonne et la musique irlandaise. Il est vrai que la Bretagne est un vivier de musiciens traditionnels. Nous y avons joué cet été, et nous nous sommes rendu compte que chaque week-end on arrive à trouver des dizaines de manifestations programmées en même temps. Donc c'est quelque chose de très vivant et je pense que c'est pour ça que cela vient jusqu'à chez nous. On s'en est aussi inspiré dès le début puisqu'il y a des grandes pointures comme Stivell, Tri Yann qui ont été des précurseurs et ont très largement participé à la popularisation de cette musique.
Quentin Allemand : Même si la musique bretonne est très présente dans notre répertoire, nous sommes ouverts à d'autres cultures. C'est vrai que nous sommes liés à la musique bretonne mais comme nous pouvons l'être à la musique auvergnate et aux musiques du monde en général, qui nous inspirent largement.
J.T. : Ce qu'il faut savoir, c'est que nous sommes de la Loire et du Rhône et nous avons en quelque sorte une malchance, mais qui peut être aussi une chance : dans nos régions la musique traditionnelle a été complètement étouffée par des impératifs économiques et de survie. Et lorsque l'on parle de la musique traditionnelle de la Loire et du Rhône on ne voit pas du tout ce que cela peut être.
En revanche si l'on parle de musique traditionnelle d'Auvergne, d'Alsace ou de Méditerranée, tout de suite cela nous parle. Nous sommes dans une région où la musique traditionnelle a été placée au second plan. Cela peut donc être un avantage, car du coup nous sommes curieux de tout et ouverts par rapport à tout type de musique. Nous avons cette curiosité parce que justement nous n'avons pas de point de départ... peut-être l'Auvergne avec la Haute-Loire puisque Didier, notre saxophoniste, a baigné là-dedans depuis plus longtemps avec son père qui jouait et animait des bals.
Pensez-vous qu'il existe un phénomène propre à la région Rhône-Alpes ?
J.T. : Au départ, nous avons une musique qui ne revendique rien en termes d'identité et de régionalisme. Nous ne sommes pas Stéphanois fiers de l'être ou Lyonnais fiers de l'être. Pour nous, c'est un plaisir musical avant tout, qui s'est orienté plus ou moins par hasard vers la musique traditionnelle, parce que c'est une musique qui nous a intéressé et qui avait une originalité par rapport à ce que l'on pouvait entendre sur NRJ, Fun Radio et dans la Star Académie !
Q.A. : Nous proÜtons du fait que nous n'avons pas de culture régionale très poussée pour solliciter des programmateurs qui n'ont pas d'attente spéciÜque par rapport à cette question, et qui ne souhaitent pas s'enfermer dans un créneau de musique traditionnelle.
J.T. : Le risque des musiques traditionnelles est une sorte de patriotisme, nationalisme qui peut se greffer autour. En Bretagne par exemple, certaines personnes peuvent être méprisantes pour les autres cultures, et là ça devient stupide.
Le chant et notamment le chant traditionnel est de plus en plus présent dans la musique de Pain d'Épices ?
Q.A. : Oui, nous puisons dans le répertoire traditionnel francophone, c'est-à-dire que les chants peuvent êtres parfois québécois ou canadiens. Après, tous les arrangements sont faits par nous-mêmes. En ce moment, nous développons des traductions de chant en patois de Haute-Loire, sur une initiative de Didier à qui cette langue, qui est celle de son père, tient à cœur.
J.T. : Nous avons tout de même dû affronter une difÜculté dans Pain d'Épices : au départ nous étions vraiment tournés vers nos instruments et notre musique un peu comme on peut le voir dans le jazz. Très vite, si nous n'avions pas fait attention, nous aurions pu partir vers de la musique de musicien. Le chant est essentiel dans la prestation en public car il s'adresse à tout le monde. Le chant c'est la parole, c'est l'essence même de la communication. Presque tout le monde sait jouer de cet instrument ! C'est aussi un peu une démarche commerciale car un groupe qui allie le chant à la musique se vend beaucoup plus. Nous sommes partis de ce constat, avons pris des cours de chant, et Ünalement le plaisir l'a largement emporté.
Finalement il y a peu d'instruments traditionnels dans votre formation ?
J.T. : C'est aussi peut-être ce qui fait la couleur Pain d'Épices. Les seuls véritables instruments traditionnels, c'est le cistre, qui s'apparente au bouzouki irlandais avec quelques cordes en plus histoire de faire bien, la gralla, qui est le hautbois catalan joué par Vincent, et le violon qui est un peu « passe partout » car il est indifféremment traditionnel et moderne.
Q.A. : Pour ma part je joue de quelques instruments traditionnels qui sont tirés de cultures diverses, que ce soit le udu drum qui vient d'Australie, les tablas qui viennent d'Inde ou le djembé d'Afrique. Mais c'est avant tout pour moi un choix de sonorités.
J.T. : Ce qui donne aussi cette impression de modernité dans Pain d'Épices, c'est les instruments qu'on joue. Dès qu'il y a un saxo et une basse, dès qu'il y a un set de percussions complet, là on s'adresse plus à un public amateur de musique moderne.
L'ambiguïté va jusque-là : elle part de la construction de la musique, elle part du passé de chacun pour arriver encore sur scène avec une ambiguïté au niveau de l'instrumentation, qui est un mélange de traditionnel et moderne. Il s'agit vraiment de musique traditionnelle contemporaine.
Concert, bal traditionnel moderne, comment vous vendez-vous auprès des programmateurs ?
J.T. : Il y a quelques années nous nous vendions comme groupe de bal. Et petit à petit, on s'est rendu compte que si on voulait toucher un public plus large, pas forcément danseur, il fallait qu'il ne s'ennuie pas et qu'il puisse voir un véritable spectacle. Donc ça a été le travail d'abord musical par rapport aux arrangements et l'instrumentation, et puis dans un deuxième temps ça a été aussi de changer peu à peu l'image du groupe. Maintenant on tend vraiment à toucher les programmateurs qui font autant du concert que du bal folk, et s'ouvrir progressivement à un réseau de salles nationales. Lorsque l'on sent quelqu'un qui accroche au niveau du démarchage, heureusement que nous avons ce disque puisqu'on peut dire « écoutez ça » !
Comment définir sinon cette espèce de mélange, ce n'est pas évident... Mais je pense que ça deviendra de plus en plus facile parce qu'il y a quand même un désir des musiciens de ce milieu d'avancer dans cette optique, c'est-à-dire de se démarquer de la musique à 120 décibels, le seuil de douleur, sans pour autant retourner à la musique « vielle et sabots », perdu tout seul au milieu d'un champ. Nous aurons de moins en moins de mal à définir notre musique, mais il nous faut encore un peu de patience.
Quels sont vos projets ?
J.T. : Nous avons une envie commune dans Pain d'Épices, car malgré de fortes personnalités il y a beaucoup de communication, ce qui n'est pas le cas de tous les groupes. Cette entente est primordiale si l'on veut travailler dans de bonnes conditions, pouvoir confronter des opinions et des idées parfois très opposées. Et à la fin, je crois qu'il y a une intelligence collective, tacite, qui nous permettra de mener ce projet Pain d'Épices loin.
Nous voyons ce projet comme une réalisation professionnelle, personnelle et esthétique. Nous tentons dans un avenir proche de valider ce projet au travers d'une résidence avec un scénographe, un éclairagiste et Richard, qui est notre sonorisateur et sixième membre du groupe Pain d'Épices. Richard est pour beaucoup dans l'évolution du groupe car il a un point de vue extérieur puisqu'il n'assiste pas aux répétitions. Désormais nous avons un CD représentatif de notre musique, et c'est tout ce travail sur la lumière, le son et la vie sur scène qui nous motive dans la réalisation de nos projets.
Propos recueillis par M.P.
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20, rue Buisson
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