Entretien avec Eddy Schepens, responsable de la recherche et des sciences de l'éducation au CEFEDEM Rhône-Alpes, professeur de sciences de l'éducation à la formation diplômante au CA, CNSMD de Lyon.
CMTRA : Le CEFEDEM Rhône-Alpes a mis en œuvre les Journées d'Études sur l'avenir de l'enseignement spécialisé de la musique, qui se sont tenues à Lyon en avril 2000. En 2002, le CEFEDEM édite le tome I des actes de ces journées nationales. Y-a-t-il dans ce tome I, des éléments de réponses à toutes les questions soulevées ?
Eddy Schepens : Ce tome I est davantage centré sur les questions à se poser, au départ de diverses sources de réëexion : politique, anthropologique, pédagogique. Le but du colloque était de permettre de construire un débat plus outillé, moins partisan, mais peut-être plus polémique, car l'avenir de l'enseignement spécialisé de la musique se décidera dans l'articulation de choix de valeurs et de choix pédagogiques.
En vingt ans, on a assisté à un extraordinaire développement des écoles de musiques dans notre pays. Pourtant toutes les esthétiques, tous les publics n'accèdent pas de la même manière aux institutions d'enseignement. Celles-ci sont diverses : établissements contrôlés ou agréés par l'État, secteur municipal non agréé par l'État, et secteur associatif au sens large du terme. Au total, on peut estimer à plus d'un million deux cent mille le nombre d'élèves concernés. Ces élèves sont encadrés par un grand nombre de professionnels, sous différents statuts.
Par ailleurs, en trente ans, les publics ont changé, mais les professionnels n'ont que peu d'éléments d'informations sur l'état des lieux. Tout cela pose des questions pédagogiques, comme la question des cursus, celle du sens des cycles, celles amenées par des expériences nouvelles, faites par exemple dans le domaine des musiques actuelles ou traditionnelles.
Mais, par exemple, le problème posé par la nécessité de doter tout parcours d'apprentissage musical d'une acquisition du solfège est plus souvent traité par le conëit d'opinion qu'abordé sereinement sous ses divers aspects. Les professionnels de l'enseignement de la musique ont peu de recherches à leur disposition, et sont encore peu habitués au débat. Les pouvoirs publics locaux ont fait en trente ans des efforts extraordinaires pour soutenir Ünancièrement les écoles de musique ; mais les professionnels concernés semblent hésiter sur le sens de l'avenir de ces établissements.
C'est ainsi qu'il faut sans doute entendre leurs questionnements sur la reconnaissance des différentes musiques, sur les aspects sociologiques, voire philosophiques qui entrent en jeu dans de telles perspectives. C'est dans l'intention de construire un tel débat que, avec des associations d'élus, des enseignants, des directeurs d'établissement, la DRAC Rhône-alpes et l'Observatoire des politiques culturelles, nous avons conçu ces trois journées de réëexion et d'échanges professionnels, et prévu d'en conserver la trace sur un document écrit.
Nous avions divisé le colloque en trois journées. La première journée abordait une interrogation sur le modèle français d'enseignement de la musique. Car ce modèle a une histoire, liée au Conservatoire de Paris, institution qui a deux siècles, qui s'est développée localement par essaimage, qui s'est exportée à l'étranger, institution-phare, d'excellence, réservée à la formation de musiciens classiques professionnels, et qui a profondément marqué les conceptions pédagogiques.
Quels types de ruptures pourrions-nous envisager aujourd'hui pour aménager cette histoire-là , sans sacrifier la dimension d'excellence ? Et comment repenser les établissements en se dégageant quelque peu des réëexes, typiquement français, unificateurs et centralisateurs ? La deuxième journée a été consacrée au thème de la question de l'école : qu'est-ce qu'une « école » de musique ? Doit-on opposer le concept d'école à celui de centres de ressources ?
La troisième journée était réservée à une délicate question, qui condense les précédentes : que doit signiÜer aujourd'hui le service public de l'éducation musicale ? Le tome I présente les pistes générales abordées en séances plénières. Le tome II fera apparaître les désirs comme les inquiétudes des participants lors des discussions en commissions, dans lesquelles trois cents personnes ont débattu pendant trois jours.
Nous sommes en train de travailler sur ces textes. L'impression qui domine, c'est que ce débat a fait tomber la langue de bois ; il est d'une richesse extraordinaire, du fait de la rencontre de personnes de traditions pédagogiques et esthétiques différentes. Je pense que le tome II montrera que non seulement élus, directeurs, enseignants et musiciens de toutes origines peuvent travailler ensemble, mais qu'ils en éprouvent le besoin, de manière urgente pour beaucoup d'entre eux.
Dans les questions posées dans ce tome I, la philosophie de l'enseignement paraît la plus fondamentale. Comment a-t-elle été abordée ?
La notion d'école de musique porte en soi, bien sûr, l'idée d'éducation musicale. Mais l'éducation est une notion plus large, qui interroge au-delà des dispositifs scolaires.
Par ailleurs, certains ont peut-être de mauvais souvenirs de l'école, y compris de l'école de musique, et se posent la question « Est-ce que la musique peut s'enseigner dans une école ? » Voilà une question de philosophie de l'éducation autant que de conception des esthétiques. L'expression « éducation musicale » est trop générale. Selon ce qu'on y met, on peut faire perdurer la situation actuelle - des enseignements savants, très perfectionnés d'un côté, de l'autre une politique d'animation musicale peu structurée, peu financée, et peu définie - ou tenter une redistribution des rôles, repensée au départ, des divers acteurs de la pratique musicale, des divers publics et des divers lieux.
Il n'y a certes pas de réponses immédiates, sans médiations, à de telles questions de fond, et le colloque avait davantage pour objet de les poser que d'enregistrer d'improbables consensus. Pourtant, une majorité des trois cents participants au colloque semble penser que l'école de musique doit se considérer elle-même comme un pôle culturel au niveau local, et que c'est sur cette base qu'il faut repenser, même si c'est douloureux, les diverses fonctions : celles du professeur de musique, celles de la direction de l'établissement, celles du nécessaire travail en équipe, celles de la coopération avec les associations.
On voit là que les trois thèmes traités se rejoignent sur une redéfinition du rôle des établissements, lesquels représentent des investissements lourds pour les collectivités locales, dont les budgets ne sont pas extensibles à l'infini. Quand nous avons réëéchi, avec nos différents partenaires, à l'organisation de ce colloque, il nous est apparu très vite que l'urgence était de donner la parole aux professionnels, qu'ils puissent échanger entre eux, au-delà des différences d'esthétique, des problèmes spécifiques, en relisant leurs propres itinéraires.
L'idée était de confronter ces témoignages avec ceux d'élus, et de tenter d'inventer l'avenir, de favoriser l'invention d'une culture professionnelle qui nous permette d'avancer. Il s'est dégagé un écho extraordinairement positif par rapport à cette démarche. Les gens ont parlé, échangé, parfois difÜcilement, on le mesurera dans le tome II. Se dégage l'idée que les équipes pédagogiques, avec les associations périphériques, définissent ensemble un projet d'établissement pour chaque école, et que cet échange soit l'occasion de perpétuer le débat, ou de l'entamer.
Ces actes sont un outil qui permettra peut-être d'afÜrmer et de développer la culture professionnelle, par la confrontation des idées et des expériences, au-delà des esthétiques, des chapelles et des statuts.
Propos recueillis par J.B.
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