Arfi - Sing For Freedom
Entretien avec Christian Rollet et Alain Gibert de l'Arfi
CMTRA : Christian Rollet, Alain Gibert, vous êtes en pleine réalisation du projet Sing For Freedom, qui réunit la Marmite Infernale (le big band de l'ARFI) et la chorale sud-africaine Nelson Mandela Metro Choir. Qu'est-ce qui fait l'essence d'une telle aventure musicale et humaine ?
Christian Rollet : C'est le mystère d'un projet, au départ théorique et porté par des choix optimistes, et qui se réalise et apporte des choses inattendues, une richesse incroyable dans le mélange des musiques ! Il y a une foule de chorales en Afrique du Sud. Cette chorale-ci est basée à Port-Elizabeth. Un an avant de les rencontrer nous avons fait un repérage là-bas, et la municipalité a rassemblé pour notre projet une nouvelle chorale en réunissant les meilleurs solistes de la région. Ils l'ont intitulée « Nelson Mandela Metropolitan Choir ». Ils ont choisi un excellent chef, Mthuthuzeli Majeke, et nous ont envoyé leur répertoire sur CD. Les arrangeurs de l'ARFI se sont penchés sur ce répertoire, et nous leur avons renvoyé un enregistrement de nos arrangements. Lors de notre première rencontre là-bas, nous avons essayé ce qui n'était jusque-là que théorique. Et ça a marché tout de suite. En trois jours, nous avons ajusté les nuances, peaufiné la musique et nous avons fait un premier concert à Port-Elizabeth : 2000 personnes, les gens debout dès la deuxième mesure, et un autre concert au Cap, fantastique !
La deuxième étape a été un concert en France, à Besançon, pour la clôture du Festival de Franche-Comté. C'était pour nous l'épreuve du feu, ce qui pouvait marcher en Afrique du Sud ne marcherait peut-être pas ici. Le public français ne comprend pas les paroles, ici l'ARFI est connue autrement, et nous avions averti nos amis sud-africains que les gens ne seraient peut-être pas debout dès les premières notes. À la fin du concert, ils nous ont dit « Vous voyez bien que ce n'est pas vrai ! ». Effectivement, nous n'arrivions pas à sortir de scène, succès total, moment rare ! Dans la foulée de ce concert, nous enregistrons un CD qui sera disponible pour la troisième étape en novembre, une tournée de vingt concerts.
Le mot français “chorale” renvoie à des univers particuliers, différents dans la pratique musicale et dans les textes chantés de ce mouvement vocal en Afrique du Sud.
Alain Gibert : Bien sûr ! pour les textes, il y a souvent des boucles, les paroles assez courtes racontent une situation en rapport avec les luttes sociales et politiques. La notion de couplet n'existe pas. La différence première, c'est la tradition orale. Ils ont bien un solfège très particulier, indéchiffrable pour nous, un système de dominos, des boîtes avec des points, plusieurs boîtes dans une page. Certains d'entre eux le connaissent, et ça leur permet de retrouver les mélodies. Mais tout s'apprend de tradition orale. Et tout le répertoire, ou presque, est polyphonique. C'est architecturé comme une chorale européenne, avec basse, ténor, alto et soprano, avec un soliste qui lance des appels. Mais ces quatre parties sont très souvent polyrythmiques, imbriquées les unes dans les autres, si bien qu'un cycle qui est objectivement assez court semble devoir ne jamais finir. C'est très subtilement agencé, il y a toujours une voix qui demande à continuer, et l'on ne veut pas que ça s'arrête. D'autant qu'ajouté à ça, ils ont une très grande culture de la nuance, du triple piano au forte, de façon très naturelle. C'est une culture musicale très brillante, renforcée par tout un travail gestuel. C'est la deuxième différence : la danse est partie intégrante de l'expression chorale, avec des claquements de mains, des frappements de pieds d'une grande complexité rythmique et d'une grande grâce gestuelle, des mouvements très lents pour des chants rapides. Cette énergie brise tous nos a priori sur l'Afrique. Ce n'est pas une énergie brute, mais une très grande grâce, un discours musical et chorégraphique d'une grande complexité pour un résultat limpide.
C.R. : Le chef dirige avec des gestes simples, des gestes de danses, immédiatement perçus par le collectif. En général, il commence la chanson en exposant le thème et les boucles, et tout à coup, il fait un tout petit geste d'épaule, ou de hanche. Là, tout le monde part dans le mouvement sur des rythmes très lents, parfaitement en place, un bloc très homogène. À la toute fin, il fait un petit signe, la danse s'arrête et le chant se termine a cappella. C'est incroyable. Dans le programme, nous lui avons demandé de nous diriger pour certaines pièces, pour les arrêts, le rubato, le rallentando. Nous avons immédiatement compris les signes. Il a cette manière de se faire comprendre physiquement, ça ne passe pas par un code, mais par les hanches, les mains, et nous avons été immédiatement ensemble sur la nuance qu'il voulait.
Il restera de cette aventure un CD. Qu'est-ce qu'on y entend ?
A.G. : Un instrumental, que j'ai trouvé il y a longtemps sur le disque Silex « Squashbox », de la musique de concertina jouée par des mineurs sud-africains, et que j'ai arrangé pour la Marmite. Mais en règle générale, nous avons voulu être au service de leur musique, y compris dans notre façon de jouer. Donc il y a leur répertoire, essentiellement des chants de lutte, arrangés par plusieurs d'entre nous. Nous leur avons appris des chansons de luttes français, dont Les Canuts, avec un arrangement très sophistiqué. Nous étions partis là-bas avec les chefs de chœur Pierre Valin et Philippe Bergère, qui nous ont aidé pour la prononciation, les mises en place des textes en français. Les choristes ont tout appris par cœur, et leur version est magnifique. Nous avons également proposé le Chant des Partisans, qu'ils chantent à deux voix, et nous avons également travaillé un chant du Réunionnais Daniel Waro, mixé au thème de l'Internationale, et ça leur convient tout à fait.
Propos recueillis par J.B.
Entretien avec Mthuthuzeli Majeke directeur du choeur Metropolitan Nelson Mandela
CMTRA : Bonjour, tout d'abord je voulais savoir comment est né le chœur Métropolitain Nelson Mandela ?
Mthuthuzeli Majeke (directeur du chœur) : La chorale qui chante aujourd'hui à Vénissieux est composée de chanteurs originaires de la métropole Nelson Mandela qui regroupe environ vingt et un chœurs, pour créer la formation présente ici nous avons pris quelques chanteurs de chacun de ces chœurs. La Métropole Nelson Mandela se compose de trois villes, Uitenhage, Despatch et Port-Elizabeth. Nous venons de cette zone de population d'environ un million et demi d'habitants. En vous voyant chanter, on est tout de suite surpris par les mouvements et les sons qui accompagnent vos voix...
Je pense que le rythme fait partie de nous, presque tout ce que nous chantons s'accompagne de mouvements, spécialement nos chants traditionnels. Nous n'utilisons pas que nos voix, mais aussi notre corps pour faire le rythme et donner encore plus de vie à nos performances.
Il semble qu'il y ait beaucoup plus de chorales en Afrique du Sud qu'en France, d'où cela vient-il ?
Tout simplement du fait que l'Afrique du Sud possède une riche culture musicale et spécialement en ce qui concerne le chant. Nous naissons en chantant, c'est quelque chose que nous faisons tous les jours, partout. Il y a beaucoup de rencontres traditionnelles, de rassemblements où les gens se retrouvent pour chanter ensemble. C'est pourquoi nous avons beaucoup de chanteurs, donc de chœurs. Chanter fait partie de notre culture, cela nous rend heureux, vous savez, tous les Africains aiment chanter.
Quel est le message que vous voulez faire passer à travers "Sing For Freedom" ?
Cette année, l'Afrique du sud fête le dixième anniversaire de la mise en place de la démocratie, nous essayons non pas juste d'évoquer les souvenirs, mais de montrer aux gens ce qui s'est passé, quelles chansons étaient utilisées à l'époque, quel style de vie nous avions de manière à ce que tout le monde puisse partager l'histoire de notre pays. Avec “Sing for Freedom”, nous voulons montrer à toutes les générations, même les plus jeunes, les chants qui ont conduit notre pays à la liberté. La plupart des pièces que nous chantons sont dans notre langue qui est le Xhosa. Il s'agit de “freedom songs”, chants de liberté que nous chantions au cours des soulèvements et des révolutions durant l'apartheid en Afrique du sud. Ces chansons essaient à la fois
d'inspirer les auditeurs mais aussi de leur faire prendre conscience de ce qui s'est passé. Nous voulons diffuser ce message de réveil, de prise de conscience et de combat pour les libertés de chacun.
Est-ce que les chants sud-africains sont systématiquement engagés ?
Non, nous avons beaucoup de styles et de types de chants différents. Nous chantons aussi des œuvres occidentales, du classique, du baroque, des chansons folks ou traditionnelles, des compositions. Nous chantons aussi dans beaucoup de langues étrangères : italien, français, allemand. Il n'y a pas de frontières, notre répertoire est très large et nous prenons beaucoup de plaisir à chanter et à emprunter des œuvres venant de nouveaux répertoires.
Comment se passe votre collaboration avec l'ARFI ?
C'est passionnant, nous collaborons depuis l'année dernière et nous partageons beaucoup de bons moments et de nouvelles sensations ensemble. Je pense que c'est la première fois qu'une collaboration de cette nature prend place et nous progressons chaque fois que nous nous rencontrons, nous sommes maintenant arrivés à un très bon niveau de performance. C'est très intéressant.
Quelques commentaires à propos de votre premier concert en France ?
C'était magnifique, l'atmosphère, la salle, le public, tout était parfait, à tel point que nous voulons demander aux gouvernements français et sud-africain de soutenir ces rencontres et d'en faire un événement annuel. L'ARFI est venue l'année dernière à Port-Elizabeth, nous sommes maintenant ici, il faut pérenniser ces échanges.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par C.M.
Contact
ARFI
Jérôme :
[jlopez@arfi.org->jlopez@arfi.org]
04 72 98 22 06
www.arfi.org
Production Arfi, avec le soutien du groupe des 20 - théâtre des villes en Rhône-Alpes, de la Région Rhône-Alpes dans le cadre du contrat - réseau des villes. Avec le concours des Alliances Françaises d'Afrique du Sud, de l'Institut Français d'Afrique du Sud, de la Nelson Mandela Metropolitan Municipality.
Dates en Rhône-Alpes :
Mercredi 17 novembre : Théâtre de Roanne
Lundi 22 novembre : Théâtre Jean Vilar, Bourgoin Jallieu
Mercredi 24 novembre : Le Dôme Théâtre, Albertville
Jeudi 25 novembre : Théâtre de Bourg en Bresse
Vendredi 26 novembre : Centre culturel Théo Argence, Saint-Priest
Samedi 27 novembre : Le Train Théâtre, Portes-les-Valence
Vendredi 03 décembre : Théâtre de Vénissieux.