CMTRA : Commençons par parler de Babel Caucase qui associe des membres de la Bizz’art à d’autres associations drômoises. Pourquoi décider de sortir de votre Drôme pour aller si loin, par la route, dans le Caucase jusqu’en Tchétchénie, à la rencontre d’artistes et musiciens de ce pays en guerre ?
C’est une histoire qui a commencé en juillet 2001 à l’initiative de Mylène Sauloy, réalisatrice de documentaires « touchée et accrochée » par la Tchétchénie depuis la première guerre en 95, qui a improvisé l’accueil d’une troupe de 40 enfants danseurs de Grozny dans un gymnase désaffecté à Main d’œuvre, un squat artistique. Le spectacle saisissant, impressionnant de vitalité, de force et de fureur, de fierté aussi a connu un succès incroyable et a finit par deux représentation au Théâtre du Soleil sous les ailes d’Ariane Mnouchkine. Le lien était fait, la chaîne de solidarité enclenchée et jamais brisée depuis. Une association s’est créée, Marcho Doryila, salutation qui signifie en tchétchène « que la liberté entre avec toi ». Marcho avec Daymokh en fer de lance est là pour nous rappeler la guerre et ses injustices en Tchétchénie, la résistance, la défense d’une culture menacée et aussi l’espoir…
D’où l’idée d’une caravane pour le Caucase qui part d’ici mi-avril …
Rapidement, l’idée que des artistes de différentes régions de France aillent revigorer cet espoir sur place, dans le Caucase a germé et pris forme; un collectif d’une soixantaine de personnes, des gens de spectacle, des intellectuels, des cuisiniers, des gens de chevaux, des cinéastes… compose une caravane qui fera 5 étapes en Tchétchénie et Géorgie au printemps 2007. C’est le projet Babel Caucase. La Bizz’Art y est investie depuis le début, avec une dizaine de ses membres. Elle propose des ateliers d’arts plastiques pour la création d’une œuvre collective, de cirque équestre pour renouer avec une tradition un peu oubliée, des rencontres culinaires. Sur ce projet, elle est associée avec le Collectif Drôme, c’est à dire la Cie Caméléon (batucada de Crest) et la Cie Caramantran (les marionnettes géantes).
A votre retour, vous jetez l’ancre du 21 juin au 8 juillet en Drôme provençale à Bonlieu-sur-Roubion pour un événement. A quoi va rassembler votre « campement »?
Au retour de Babel Caucase, c’est le temps de L’Oasis : une halte créative et ré-créative dans un lieu en pleine nature entre ramière, clairière et rivière. Un lieu investi par des « jardiniers de l’imaginaire » qui, un mois durant, vont transformer ce campement de roulottes en grand navire baroque et barré. L’Oasis est donc un chantier festif jalonné de concerts où le public est convié à différentes dates pour mesurer l’avancement des travaux. La programmation est en cours. Cette année, le thème retenu est celui de l’eau, ou l’absence d’eau, sa préciosité.
Les évènements organisés par la Bizz’Art ne sont pas comme les autres, transversaux, polymorphes, ils fédèrent un collectif d’amis, de voisins, et d’artistes résidents en Drôme qui tous s’investissent dans la fête. Comment pensez-vous les évènements « Bizz’Art » ?
Avant de penser les événements de la Bizz’Art, nous les rêvons. Et quand nous les concrétisons, nous essayons de rationaliser au minimum pour garder cette folie, cette insouciance du rêve. C’est ce qu’on pourrait appeler l’esprit Bizz’Art. Lorsque celui-ci disparaît, on perd l’aspect créatif et on tombe dans la consommation. La richesse de ces événements vient aussi du fait que nous sommes nombreux et polyvalents, plasticiens, musiciens, comédiens, acrobates, artistes, mais aussi cuisiniers, maçons, éleveurs de chevaux, agriculteurs…etc, un mélange épicé !!! L’espace est toujours ouvert à la création qui est, la plupart du temps, collective. Ces dernières années, Oasis et Cabaret Mobile, les événements phares de la Bizz’Art ont encore renforcé cet esprit particulier en instituant une appartenance à une tribu, le choix d’un art de vivre :
cela se manifeste par une conscience aiguë de la nature et des problèmes écologiques qui nous menacent et tout ce qui en découle, surconsommation, apologie de la vitesse, pollution… A travers la fête, la musique, les arts, l’Oasis se veut donc un lieu de réflexion et d’expérimentation sur notre rapport à la nature, à l’autre, à l’homme. Enfin, mettre de l’art dans sa vie au quotidien et de la vie dans son art… sinon pour un monde meilleur, pour un monde moins pire.
Comment s’inscrivent les concerts de musiques traditionnelles et musique du monde dans le festival ?
Chaque soirée a une thématique et est soumise à une mise en scène : tous les sens sont sollicités, l’odorat avec des essences diverses, le goût avec les saveurs culinaires, la vue avec la déco, les brillances, les étoffes des costumes de l’équipe, mais aussi du public qui se prête de plus en plus au jeu, l’ouïe avec les concerts bien évidemment, le toucher avec les œuvres plastiques (qui sont ici plutôt faite de matières minérales, sculptures et autres…). Avec en prime, le frisson des grosses ou des petites surprises qui ne sont vues que par quelques spectateurs, des moments précieux d’intimité et d’exclusivité ; un comédien qui dit un poème, une diseuse de bonne aventure, un serveur de bar vous déclame quelques vers de Khalil Gibran… Comme nous aimons les mélanges surprenants, il n’est pas rare que nous programmions deux groupes le même soir qui a priori n’ont rien à voir ensemble. Dans ces cas-là , l’un est prétexte à faire découvrir l’autre au public qui n’aurait jamais eu l’idée d’aller le voir. Les musiques du monde sont un vecteur de voyage et l’art de les présenter à la Bizz’Art, un moyen de faire découvrir une culture.
Propos recueillis par P.B.