Entretien avec Jonathan Da Silva, fondateur de Forró de Rebeca
CMTRA : Jonathan, quel est ton parcours et qu’est-ce qui t’a conduit vers le forró ?
JDS : Je suis franco-brésilien, de père brésilien et de mère française. Je suis né à Rio, j’ai grandi là-bas et je suis arrivé en France à 18 ans. J’avais déjà une expérience du spectacle vivant. J’ai commencé avec le cirque, j’ai fait du théâtre, de la danse, de la musique… Mais c’est à travers le cirque que j’ai fait la connaissance des manifestations traditionnelles du Brésil comme la capoeira angola, le coco, le maracatu et le forró. Je me suis rendu compte que tout ce que je cherchais dans le cirque était en germe dans ces formes d’expression, que tout était relié et je trouvais une profondeur de plus dans ces formes-là par rapport à ce qui est dit contemporain.
Je suis devenu professeur de capoeira angola et, en arrivant à Lyon pour continuer mon parcours universitaire, j’ai brassé un peu dans les milieux brésiliens et de la diaspora africaine, et puis j’ai commencé à enseigner. À côté je suis comédien et je travaille avec une compagnie de théâtre « jeune public ».
L’idée de monter un groupe de musique brésilienne est là depuis le début. J’avais vraiment l’envie de développer un travail qui soit relié à ces racines de la musique du Brésil, un peu plus que ce qu’on a l’habitude de voir dans les grands medias et les scènes internationales.
Le projet a vu le jour suite à une année très enrichissante que j’ai passé dans l’état de Pernambuco, où j’ai découvert beaucoup d’éléments musicaux que je ne connaissais pas et où j’ai côtoyé de nombreux maîtres de musique. Mais c’est avant tout de la rencontre de trois musiciens d’horizons différents, en aller retour entre le Brésil et la France qu’est né le groupe Forró de Rebeca. Avec le percussioniste français Stéphane Moulin, qui est mon compère de jeu depuis plusieurs années, on a d’abord décidé d’approfondir l’étude de deux manifestations : le coco et le maracatu.
Le coco, c’est une musique qui est proche de la samba du nordeste du Brésil, c’est une danse de ronde, avec plein de variantes selon les régions et qui est très proche de la musique occitane, celle des troubadours. Ce sont des joutes vocales, accompagnées au pandeiro (le tambourin brésilien) qui assure une base rythmique stable et dansante, presque envoûtante. Sur cette base, les chanteurs improvisent des vers et surenchérissent.
C’est un autre type de joutes que celui des repentistas que l’on connaît grâce au film « Saudade do Brasil » ?
Coco c’est un nom générique et une esthétique particulière. Les repentistas font un type de coco, qui s’appelle le coco de embolada. On a le coco de roda, le coco de mazurca, le coco de tebei... Le coco est la musique que l’on joue pour bâtir les maisons là où il n’y a pas de béton, on fait le coco pour damer la terre battue. La légende raconte aussi que les esclaves chantaient et dansaient le coco pour rythmer leur travail. Il y a aussi le coco de obrigação qui est celui que l’on entend lors des cérémonies afro-amérindiennes et des rituels du candomblé de jurema. C’est un grand mélange donc, entre les racines occitanes, africaines, amérindiennes, qui a donné des formes d’expressions très riches…
Par ailleurs, nous nous intéressions au Maracatu qui est une manifestation liée au couronnement des rois du Congo au Brésil, et qui se joue avec de grosses percussions. C’est un cortège royal, davantage lié au sacré et aux religions afro-brésiliennes comme le candomblé.
Les deux projets suivaient leur cours et c’est là qu’on a eu l’agréable surprise de rencontrer Ivo Correia, brésilien de Recife qui venait de débarquer sur Lyon. Il est de formation plus classique et il est venu pour parfaire ses connaissances en musique médiévale et, par le biais des musiques occitanes, il s’est retourné vers les musiques brésiliennes, les musiques de bal et notamment la rebeca, instrument un peu emblématique de notre groupe… C’est là qu’on s’est laissé entraîner dans le forró…
Comment décrirais-tu le forró ?
Le forró vient du Nordeste. C’est une manifestation un peu plus « décontracte », c’est la musique de bal, qu’on va entendre au marché ou au coin de la rue, la musique des samedis soirs... C’est une musique qui est intergénérationnelle, qui regroupe des gens de différentes couches sociales, la musique que l’on danse le plus facilement au Brésil aujourd’hui. C’est une danse de couple qui ressemble un peu à la valse, qui peut être assez « collé-serré » mais il y a aussi des papis et des mamies qui dansent très simplement, sans trop se toucher et puis des jeunes qui dansent comme s’ils étaient en compétition… Il y a de la place pour tous les goûts, toutes les couleurs. L’une des versions de l’étymologie du mot forró est d’ailleurs que ça vient de « for all », c’est donc vraiment pour tous ! D’autres dirons que le mot vient de « forrobodó », soit une confusion, une pagaille,...
En France, comme au Brésil, on a cette tendance à vouloir mettre la batterie, la basse, le clavier, la guitare… Ce qui au départ était une exigence des producteurs pour faire passer la pilule est devenu une mode. Aujourd’hui les musiciens « vraiment traditionnels », qui font le forró tel qu’il a pris forme et qu’il a trouvé sa force disons, et bien ils continuent pour la plupart dans l’anonymat. On les retrouve dans les lieux plus intimes, chez eux ou dans le bar du coin, en acoustique... c’est des gens qui sont boucher, menuisiers ou chauffeur le jour et qui le soir retrouvent leur instrument, la musique et la danse.
L’idée, en montant le groupe, c’était de puiser dans ce répertoire-là, dans cette manière-là de faire de la musique et de revenir à la base du forró, celle du « pé-de-serra » (pied de la montagne, la base) qui est une formule à trois avec la zabumba qui est une grosse caisse, le triangle et un instrument mélodique, l’accordéon ou la rebeca.
Mais, qui est cette rebeca ???
C’est une sorte de violon d’origine ibérique qui se joue un peu partout au Brésil et qui est fabriqué avec des bois locaux à partir d’une science qui n’a pas de chiffres ni d’écrits... Il accompagne souvent la voix. C’est un instrument qui reste assez rare au Brésil. Dans le forró c’est l’accordéon qui a remplacé la rebeca grâce a de grands virtuoses comme Luiz Gonzaga.
Le mouvement « mangue beat » qui a œuvré à la valorisation des musiques traditionnelles en les rapprochant des musiques urbaines du monde (le rap, le rock, le hip hop, etc) a permis que de nombreux instruments traditionnels ne disparaissent pas complètement comme cela s’est passé pour certains instruments de la samba, que plus personne n’enseigne aujourd’hui, comme le machete. La rebeca a échappé de peu à ça, grâce à des groupes comme Mestre Ambrósio ou Nação Zumbi. Aujourd’hui elle renaît un peu, on la trouve de plus en plus souvent à partager, à jouer, à vendre…
Dans le forró, elle suit la ligne mélodique de la voix, c’est ça ?
Oui et c’est vrai que c’est important pour nous parce que dans le choix du répertoire et même dans la composition, on se laisse guider par le travail de la voix. Nous chantons tous les trois et sommes donc très attachés aux mélodies qui accrochent, qui donnent envie de chanter, de taper dans les mains, de danser et la rebeca, par son accompagnement, enfonce un peu le clou. Après on n’hésite pas à enrichir tous ça avec de nouvelles influences, avec nos différents personnages… Au départ l’idée était de recréer cette ambiance de bal, ça va à la fois au-delà du répertoire, une ambiance, un contexte. On laisse la place à l’improvisation au niveau du chant et des arrangements, on n’hésite pas à arrêter le bal si quelque chose ne va pas ou pour faire un commentaire sur un couple qui danse, pour essayer de retrouver ce côté informel du bal et dans l’idée que la musique n’est pas à nous mais qu’elle est vraiment dans le partage entre le public et ceux qui sont sur scène.
Et ça réagit bien en face ?
Oui ! On peut dire que le challenge est plutôt réussi. C’est vrai que par rapport à la samba qui est assez difficile à danser, le forró reste assez proche de la mazurka, la scottish, la quadrille et d’autres danses de ronde importées des pays de l’est en France dès le XIIIe. Une fois qu’on a essayé, on est parti pour la nuit et on en redemande à la fin. Les réactions sont très encourageantes. Ça fait un an que le groupe existe, on avance doucement mais sûrement. Notre répertoire est composé à la fois de grands classiques du genre mais surtout de thèmes traditionnels qu’on a écouté dans la bouche de nos grands-mères, ou sur la place publique, que l’on se réapproprie en créant un nouvel arrangement, on met une rebeca là où il n’y en avait pas forcément. Toutes nos compositions sont imprégnées un peu de ça, de divagations à partir d’une impression, d’un dicton, de petites choses que l’on a collecté. C’est très fort parce que ça parle aux gens. La musique orale a cette puissance-là… et puis on essaye de jeter des ponts vers d’autres esthétiques, les musiques orientales, occitanes, d’autres rythmes latino comme la rumba ou la cumbia, pour laisser la ronde ouverte à d’autres façons de s’amuser !
Propos recueillis par Y.E
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