CMTRA : Vous faites partie de la
(toute) nouvelle fanfare pastorale
“Cornes de Muses et Manies
Vielles” qui s’est constituée dans le
sud de la région. Quelles sont les
origines de ce nouveau projet artistique
?
Une commande ou presque ! L’idée
initiale a émergé lors d’une discussion
entre Gilles Rhodes de la Cie Transe
Express qui avait la responsabilité
artistique des Fêtes Caprines du Val de
Drôme et moi-même. Je lui ai suggéré
que pour l’animation musicale d’une
fête de cette nature, une troupe de cornemuses
serait idéale compte tenu de
l’imaginaire qu’on associe entre cet
instrument et le monde caprin. (cf. la
cabrette).
Quelque temps plus tard, alors que
j’avais oublié cette idée, il me demandait
un budget et un document de présentation
pour mon groupe de cornemuses,
à destination de l’équipe de
programmation des Caprines et à
remettre dans les trois jours ! Face à
cette urgence et sans trop me poser de
question sur la faisabilité, j’ai abouti
sur le papier à un ensemble d’instruments
traditionnels dont le couple
habituel vielle-cornemuse serait
l’ossature. J’ai consulté les trois-quatre
musiciens avec qui je joue régulièrement
et grâce à leur enthousiasme, j’ai
préparé budget et dossier. La réponse
positive est arrivée le 24 décembre au
soir en guise de cadeau de Noël !
Le répertoire que nous jouons est celui
généralement privilégié sur nos instruments
: celui des musiques traditionnelles
et il est généraliste. Il comporte
aussi quelques pièces médiévalorenaissance.
Car cet ensemble s’est
constitué non pas pour exprimer le
répertoire d’une région déterminée
mais pour générer une atmosphère
musicale propre à produire un effet
surprenant dans l’imaginaire d’un
public « M. et Mme Tout le Monde ».
C’est la force du son et de l’aspect
visuel produit par cette assemblée
d’instruments qui est important.
Du côté des instruments, outre le
couple vielle/cornemuse, on
retrouve des instruments moins
connus dans notre région tels que le
galoubet tambourin ou le hautbois
(type languedocien).
Le choix des instruments a été déterminé
par leurs matériaux constitutifs :
le bois, le cuir, la corne, les peaux, le
roseau. Toutes matières naturelles et
rustiques. Ensuite pour rester dans ce
rapport à la nature, on s’est amusé à
sélectionner uniquement des morceaux
de musiques nommés: « Aï vist
lo loup, l’aïgo de rotzo, le branle du
rat, des chevaux, la bourrée papillon,
A la Montanha… Mais ça il n’y a
guère que nous qui le savons !
Le travail musical s’est porté sur des
effets de masse, de son (les vielles en
staccato !), de jeux de questions réponses,
de surprises musicales avec
des associations et enchaînements de
mélodies par pupitres, en tutti… Cela
dit, il y a une identité musicale globalement
issue des pays d’oc et qui
devrait se renforcer avec de nouveaux
morceaux venus du sud et de nos
répertoires respectifs… Mais attention
toujours à condition d’être dans le
sujet !
Vous avez privilégié les thèmes
ayant rapport à la nature, l’animalité...
Pourquoi ce choix ?
C’est en quelque sorte le cahier des
charges de l’Ensemble puisque sa
création s’est faite pour une manifestation
à caractère rural. Il était important
et logique que tous les chapitres de
cette histoire soient en cohérence et
dans un même univers.
C’est ainsi que les musiciens sont
vêtus de feutre, de laine, de cuir, de
drap, de fourrure et de plumes pour
évoquer des personnages aux allures
de bergers ou de sorciers, de cheminots,
de colporteurs ou de bandits de
grands chemins.Il y a donc un concept
global que le vocable « fanfare pastorale
» qualifie assez bien en raccourci,
il me semble.
Dans quel type de manifestation
souhaitez-vous proposer ce projet
au public ?
Toutes manifestations grand public
mais en souhaitant participer plutôt à
des manifestations ayant des particularités
soit de lieux (patrimoniaux,
cadres naturels), soit de sujet (de la
fête des vendanges au sommet des
alter mondialistes !) soit de programmation
(festival de fanfares ?)
Je crois qu’on n’ira pas jouer au milieu
des sonos des manèges d’une fête
foraine…
« Cornes de Muses et Manies Vielles »
est pour l’instant un groupe préparé
pour de l’animation festive. Mais il me
plairait assez qu’il ne se destine pas
exclusivement à ce type d’intervention.
Il y a une force tellurique dans cet
orchestre qui pourrait « déchirer grave »
avec un répertoire de scène…
C’est la Cie de l’Aloète qui gère ce
projet. Pouvez-vous nous parler de
son projet artistique ?
À l’origine de la Compagnie, il y a
Louis Soret et moi-même qui sommes
musiciens et plus généralement artistes
du spectacle avec pour spécificité les
cultures traditionnelles au sens large.
De ce fait, les créations ont toujours
été conçues autour de ce sujet associé
au monde médiéval avec qui la filiation
est évidente. N’étant pas seulement
musiciens mais littérateurs,
comédiens, chanteurs, toutes les réalisations
ont toujours été faites avec la
préoccupation de travailler à divers
degrés : textes, musiques, décors, costumes…
De « La ballade de Jehan de
l’ours » (1989) à la Fanfare Pastorale,
(2008) il y a une continuité d’identité
de nos spectacles.
La Cie de l’Aloète, comme ce
projet, entretient un rapport
évident entre musiques médiévales,
renaissance et musiques traditionnelles
en assumant pleinement leur
filiation et en les “mêlant.”
Lorsque l’on se penche sur ces répertoires,
on s’aperçoit vite qu’ils sont liés
par descendance. L’exemple le plus
célèbre est celui du Dies Irae grégorien
qui se retrouve note à note dans une
des versions de « J’ai vu le loup, le
renard, le lièvre ». La quinte estampie
(XIVe siècle) est dans son mouvement
une bourrée à 3 temps…
Tous les pas des danses anciennes (on
ne les connaît qu’à partir de la Renaissance)
se retrouvent dans les danses
traditionnelles et sont également passés
dans le vocabulaire de la danse
classique où il y a le pas de bourrée par
exemple.
Les instruments des musiques traditionnelles
sont les mêmes que ceux des
musiques anciennes à quelques différences
près d’aspect ou de style de jeu.
Le Luth renaissance est le fils du Oud
oriental comme exemple le plus évident.
Propos recueillis par
Jean-Sébastien Esnault