Lames à nues
Entretien avec Wang Li
Entretien avec Wang Li,
joueur de guimbarde.
Avec ses guimbardes de métal
ou de bambou et ses flûtes,
Wang Li parle, raconte,
insuffle la vie à des petites
histoires le plus souvent
inspirées de la sienne …
CMTRA : Nous avons généralement
une vision impersonnelle et abstraite
de la guimbarde. Dans tes
concerts tu donnes à l’instrument
un côté intimiste assez inhabituel,
je trouve …
Mais la guimbarde, ça peut être très
joyeux, ça peut être très triste, on peut
exprimer toutes sortes de sentiments
avec la guimbarde ! Ca sert d’abord à ça.
Mais il est vrai qu’entendre de la
guimbarde, c’est un peu parfois
comme se retrouver face à un tableau
contemporain dont on ne comprendrait
rien, parce que toutes les clefs
vous échappent.
Je dis beaucoup de petites histoires sur
scène, pour ouvrir la porte, pour ramener
le public à moi lorsqu’il ne comprend
plus ce que je fais.
Je dis un peu mais pas tout, pour que
ça ne tue pas l’imagination des gens.
Je dis juste ce qu’il faut.
Malgré cela tu n’es pas du tout
dans un rapport didactique avec
le public …
La mentalité occidentale passe beaucoup
par la recherche et l’analyse. La
mentalité chinoise est plus secrète et
moins démonstrative.
Le spectacle évolue t-il au fil du
temps ?
Le spectacle évolue sans arrêt. Il y a
deux mois, il avait des choses que je ne
fais plus aujourd’hui.
L’enfance semble être pour toi une
source d’inspiration importante …
Disons le franchement, je n’ai pas
beaucoup de bons souvenirs et de
manière générale, la vie est dure. Ce
que j’ai pu vivre enfant me semble
essentiel et profond. Après, tout n’a
que peu d’intérêt …
Enfant, jouais-tu déjà de la guimbarde
?
Oui, je jouais déjà, mais je n’étais pas
très sérieux. Je n’avais pas la patience
nécessaire pour l’instrument.
Cette patience, où l’as-tu trouvée ?
Je suis loin encore. Par rapport au
joueur de guimbarde que je connais, je
ne suis rien.
On peut dire que j’essaie de jouer.
Lorsque tu dis que tu es loin, fais-tu
référence à un mode de jeu
traditionnel spécifique ?
Non, je ne fais pas référence à un type
de jeu en particulier. Je parle de
manière générale du respect que l’on
doit à la guimbarde. Un maître n’a rien
à voir avec un musicien ou un instrumentiste.
Tu as fait plusieurs voyages en
Chine pour enregistrer différentes
pratiques de guimbardes et chercher
les grands maîtres de musique.
Qu’as-tu rencontré sur ta route ?
En réalité, ce ne sont que de modestes
paysans, un vrai maître ne se dit jamais
tel. Ce n’est jamais celui que l’on présente
comme tel et qui tourne sur les
scènes de Chine ou d’ailleurs. Un
maître ne « montre » pas alors qu’un
musicien essaie toujours d’une
manière ou d’une autre de toucher et
de séduire.
Les maîtres dont je parle restent dans
leur environnement et dans leur temps.
On ne peut pas les presser de jouer ;
lorsqu’on leur demande les choses,
elles n’existent tout simplement plus.
Il s’agit juste d’être là et d’écouter. Il
faut attendre patiemment qu’ils t’ouvrent
à leur rythme ....
D’autre part, ça demande beaucoup de
patience et de qualité pour comprendre
ce qu’ils font. Ce que je joue est plus
direct. C’est la grande différence. Je te
dis la vérité, je ne t’ai pas menti.
Où as-tu collecté ?
J’ai collecté partout, à l’Est, à l’Ouest,
au Sud et au Nord de la Chine. Maintenant,
je ne le fais plus. Lorsque je
rentre en Chine, j’ai besoin de voir ma
famille et lorsque je vais là-bas le
temps est compté. Je ne peux plus crapahuter
pendant des mois dans les
montagnes. Lorsque je dis les montagnes,
ce ne sont pas les Alpes! On
prend trois fois l’avion pour se rendre
sur place, ensuite on change trois fois
de bus, puis il y a trois jours de marche :
ça, c’est la montagne.
Qu’as-tu appris auprès d’eux ?
De manière générale, cela n’existe pas
un professeur de guimbarde. C’est la
guimbarde qui est le professeur. Il y a
bien des modes de transmission, mais
cela se fait implicitement, on écoute et
on reproduit.
En ce qui me concerne, je n’ai pas
vraiment suivi d’enseignement auprès
d’eux. Je suis à Paris depuis presque
six ans, ma vie est ici aujourd’hui. Je
n’ai pas le même esprit qu’eux, donc
je ne peux pas faire la même musique.
Dans ma vie et dans ma manière de
jouer de la musique, j’ai choisi un
autre chemin.
Le musicien qui désirerait s’inscrire
dans une démarche identique arrivera
peut-être à montrer une couleur de jeu,
mais il ne fera jamais la vraie musique
de là-bas. Avant de jouer en Chine, le
musicien invoque la terre, le ciel,
l’eau, le feu et l’harmonie avec les
gens autour de lui. Ce musicien n’aura
tout simplement pas les mêmes choses
ici et sa musique s’en trouvera changée.
Qu’est-ce qui te pousse vers la
France si cela t’éloigne de l’instrument
?
Je suis venu en France au début parce
que je ne trouvais pas la respiration
dont j’avais besoin en Chine. Je suis
venu comme touriste, petit à petit je
me suis installé, les choses se sont
enchaînées. J’ai appris beaucoup de
choses ici, et je suis resté.
Mais ce n’est pas à cause de la Chine
que je suis là, c’est moi qui porte cette
responsabilité. C’est moi qui ne suis
pas assez patient, qui suis léger, qui
n’ai pas assez de générosité, c’est moi
qui n’arrive pas à comprendre la
Chine... Maintenant, d’ici, je la
connais un peu mieux.
Tu as résidé pendant une période
assez longue dans une chapelle de
l’agglomération parisienne …
J’ai d’abord habité dans un hôtel, avec
les travailleurs au noir du quartier chinois
du 13ème à Paris. C’était très cher
et les conditions de vie étaient horribles.
Et puis en cherchant, je suis
arrivé là-bas. J’ai rencontré des séminaristes
dans la banlieue parisienne,
j’ai frappé à leur porte, je leur ai parlé
de ma condition et moyennant un peu
d’argent, ils ont accepté de m’héberger.
Je ne parlais alors ni français, ni
anglais et j’ai habité tout seul pendant
plusieurs années cette immense chapelle.
Ce moment de retraite a t-il
influencé ta musique?
Tout vient de là. J’ai connu plusieurs
métamorphoses. Petit à petit, j’ai compris
que le silence, les murs, la terre
peuvent faire de la musique. Ca c’est
la vraie musique. Quand j’ai compris
cela et que j’ai essayé ensuite de jouer
de la guimbarde, tout était changé.
Derrière chaque son, on peut entendre
le silence. C’est cette voie entrouverte
qui fera peut-être à l’avenir mon style
de guimbarde.
Connais-tu un joueur de guimbarde
en France avec qui tu
échanges?
Oui, à Paris il y a John Wright. C’est
quelqu’un de très modeste. Pour moi,
c’est comme un maître. On peut parler
comme des amis sans qu’il cherche à
prouver quoique ce soit, bien qu’il soit
bien plus âgé que moi et qu’il ait beaucoup
plus d’expérience. J’aime ce
qu’il fait et je crois qu’il aime aussi ce
que je joue, même si ce que nous faisons
tous les deux est très différent.
Propos recueillis par Péroline Barbet