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Lettre d'information n°28. Hiver 1998 Carnets autour d'une biennale

Éditos Morceau de choix dans le calendrier culturel de cette année : la huitième Biennale de la Danse de Lyon accompagnée désormais de son Défilé. L'édition 1998 aura pour thème la Méditerranée, sujet qui fait référence aux rencontres culturelles d'un espace géographique homogène, à la proximité et à l'éloignement, à la modernité et à la tradition, et enfin à la réalité et au mythe. Le prochain Défilé et son titre "La Méditerranée : un cercle ouvert sur le Monde", relance une nouvelle fois des enjeux de taille : chocs de générations, d'expériences et d'expressions. Rappelez-vous : ils étaient plus de 1 500 participants à danser sur le thème du Brésil au cur de Lyon le 15 septembre 1996. En 1998 ce sera au tour de la"Méditerrannée" de générer de nouvelles rencontres entre des artistes professionnels, des initiatives urbaines et de nombreux amateurs, et de dévoiler une vie et une ville aux multples cultures. Mais avant que les rencontres et les festivités ne commencent laissez-vous guider à travers différents regards sur la Méditerranée, l'implication des arts gestuels et musicaux empreints de la culture méditerranéenne dans la Biennale de la Danse et le Défilé. Lorsque Marion Boulay, Mary Chebbah et Laure-Leïla Malicet sont arrivées dans les locaux du CMTRA, leur idée était simple : proposer au public des danses traditionnelles une actualité régulière sur la Biennale de la Danse 98. Avec comme thème la Méditerranée, et une marque de plus en plus importante des danses populaires ou traditionnelles dans le paysage de la danse contemporaine, cette Biennale s'annonce en effet comme un évènement dépassant les repères conventionnels des publics spécialisés. Pour qu'elle soit une fête populaire, et que l'outil que représente la Lettre d'Information en soit un acteur supplémentaire, nous avons bien volontiers ouvert nos pages à cet évènement. Vous trouverez donc ici, jusqu'à l'automne 98, une chronique régulière, tenue par les acteurs de cette Biennale Méditerranéenne à Lyon. CMTRA Contacts, renseignements :

8e Biennale de la Danse de Lyon

Maison de Lyon

Place Bellecour 69002 Lyon

Tél : 04 72 40 26 26







Préambule "La Méditerranée est un sujet de cette fin de siècle. Nous aurions pu le faire pour l'an 2000 mais je crois qu'il y a une urgence : une urgence politique." Entretien avec Guy Darmet, directeur artistique de la Biennale de la danse Carnets Autour d'une Biennale : Pourquoi avez-vous choisi le thème de la Méditerranée pour cette prochaine édition de la Biennale de la Danse ? Guy Darmet : La Biennale de la Danse a beaucoup évolué depuis sa création en 1984. Pour la première année, je souhaitais rendre hommage aux grandes écoles de danse.

En 1986, la Biennale est devenue un festival thématique que l'on peut qualifier de classiques racontant l'histoire de la danse.

Depuis 1992 la Biennale est devenue plus événementielle en se rattachant à des thèmes d'actualité qui n'avaient plus forcément de liens directs avec l'histoire de la danse.

En 1992, il y a eu Passion d'España parce que c'était l'année des Jeux Olympiques et de l'Exposition Universelle, et parce que j'avais la sensation qu'on allait parler de beaucoup de choses mais pas de la danse espagnole qui était alors très vivante dans les années 90.

De plus, à partir de cette année là, la Biennale est devenue un événement populaire, car ce thème nous a ouvert sur des publics qui n'étaient pas forcément des publics de la danse. De plus, le fait d'avoir envisagé une grande fête dans la rue, de qualité et gratuite a été pour nous quelque chose de très important.

Ainsi à partir de 1992, la Biennale est devenue "la Fête de la Danse", car les gens peuvent participer en dansant eux mêmes. D'un autre côté, il y a eu, sans doute en vieillissant, une prise de conscience sur le fait que j'avais un rôle à jouer dans des domaines qui n'étaient pas seulement ceux du spectacle, mais plutôt ceux qui se rapprochent de la politique (dans le bon sens du terme).

Ainsi en 1994 avec Mama Africa, nous souhaitions apporter cette nécessaire reconnaissance de tout ce que l'on devait à ce continent aujourd'hui meurtri. En préparant cette Biennale et la Fête en couleur du Vieux Lyon, j'ai alors découvert le Brésil, pays mythique et onirique. La dimension populaire de ce pays m'a donné envie d'y consacrer la Biennale 1996.

Cette année là, nous sommes allés encore plus loin dans le domaine de la rencontre avec le public en créant le Défilé, qui a été un immense succès : deux cent mille personnes dans la rue. Le travail qui a été fait entre les chorégraphes et les jeunes a été quelque chose de très important et de qualité. Nous sommes amenés à le recommencer. Qui y-avait-il dans ce Défilé ? : Des enfants de la Méditerranée. De fait, le choix du thème de la Méditerranée s'est présenté de manière évidente.

Politiquement aussi, ce sujet est un sujet brûlant : d'une part parce qu'en Méditerranée il y a des conflits graves difficiles à comprendre et qu'on ne maîtrise pas comme la situation en Algérie, l'attitude du gouvernement israélien face au processus de paix ou bien la situation à Chypre entre les Grecs et les Turcs par exemple. Mon désir est de montrer que la culture peut aller beaucoup plus loin que les conflits politiques et peut réunir tous ces peuples-là : C'est peut être un pari fou, car il y a surement être des personnes qui n'apprécieront pas ce type de discours. Nous avons à montrer que cette culture méditerranéenne est très proche de nous et que nous la connaissons finalement fort mal. Et qu'en la connaissant nous comprendrons peut être mieux ceux dont ce sont les origines. C.a.B. : Qu'entendez-vous par "La Méditerranée un cercle ouvert sur le monde" ?

G.D. : La Méditerranée nous fait directement penser à l'idée du "berceau de la civilisation européenne". Elle est un point de passage, une mer de circulation qui a permis de créer des points de rencontres multiples. Si elle avait été un continent les choses ne se seraient probablement jamais faites, parce qu'il y aurait eu des frontières.

D'autre part, l'influence de la culture méditerranéenne est encore aujourd'hui considérable. Et elle doit l'être encore plus demain. Il faut dire également que sur le plan politique nous sommes sur une orientation d'ouverture. Les projets euro-méditerranéens fleurissent à l'heure actuelle. Un autre titre me semble intéressant : &laqno;l'Anneau brisé». Mais c'est un titre malheureusement un peu trop pessimiste, bien qu'il soit révélateur de la situation géographique et géopolitique. Car la Méditerranée est bien un anneau brisé par deux petites ouvertures, mais aussi par des conflits permanents qui brisent une "unité rêvée". Quoi qu'il en soit le thème de la Méditerranée est un sujet de cette fin de siècle. Nous aurions pu le faire pour l'an 2 000 mais je crois qu'il y a urgence : une urgence politique. C.a.B. : Pour préparer cette prochaine Biennale vous êtes allé à la rencontre de différentes approches gestuelles et musicales. Ces diverses rencontres vous ont-elles amenées à concevoir une programmation hétérogène, ou bien une unité culturelle méditerranéenne ? G.D. : J'ai cherché le "fil rouge". Il n'est absolument pas évident dans le domaine de la danse. Parce qu'entre la rive qui s'étend de l'Espagne, mais aussi du Portugal, à la Grèce incluse, et la seconde rive qui va de la Turquie au Maroc, il y a une vision du corps très différente. Le corps se dissimule, se voile ou se montre. La danse peut être publique et peut devenir privée. Il est difficile de parler d'une unité. Le "fil rouge", je l'ai trouvé sur ce qui accompagne la danse c'est-à-dire la musique, plus précisément : la voix, le chant. J'essaye alors de faire en sorte qu'il y ait dans la plupart des spectacles, non seulement des musiciens mais aussi des chanteurs. Car le chant en Méditerranée est quelque chose d'essentiel , qui forme un trait commun entre toutes les cultures. À travers le chant, on voit combien le monde arabe a eu une inþuence considérable à une certaine époque sur la rive nord occidentale de la Méditerranée. Je tiens à préciser, que la programmation, comme pour toutes les Biennales, correspond à des choix personnels, et que certains pays ne seront pas présents, pour des raisons politiques mais aussi pour des raisons de temps car il m'est impossible de faire le tour complet. La Méditerranée est un monde immense. Toutefois, le fait que Chypre ne soit pas présente ne me bouleverse pas, puisque la Turquie et la Grèce seront programmées. Il y a des sujets plus délicats, comme celui du Maroc, car les informations sur la danse contemporaine ou moderne, que je possède aujourd'hui, sont extrêmement fragmentaires. J'ai peur d'avoir sur ce plan très peu de possibilités de rencontre. J'espère par contre avoir une présence forte de danses traditionnelles qui me permettra de ne pas oublier un pays de cette importance là. Cela est aussi c'est vrai pour l'Égypte ou le Liban. Je ne traiterai pas l'Adriatique. Je m'arrêterai volontairement à la Grèce, car je pense que toute cette partie orientale des Balkans pourrait faire l'objet d'une autre Biennale. C.a.B. : La France fait partie intégrante de la sphère méditerranéenne, en particulier sa partie méridionale, quelle place occupera-t-elle dans la programmation ? G.D. : Elle sera essentiellement représentée par des créations qui seront soit des commandes, soit des créations de chorégraphes qui ont une implication personnelle avec la Méditerranée : autrement dit des chorégraphes originaires d'Espagne, de Tunisie ou d'Algérie par exemple, vivant et travaillant en France.

Nous avons un projet avec Bouvier-Obadia (CNDC d'Angers) sur le thème mythique d'Antigone. Cependant si Joëlle Bouvier est du Nord, Régis Obadia est, quant à lui, totalement du Sud. Pour la première fois, contrairement aux trois dernières Biennales, je suis submergé de projets français, car il est vrai que les créateurs se sentent réellement concernés. C.a.B. : En ce qui concerne les créateurs implantés dans la Région Rhône-Alpes qui ont une implication dans la culture méditerranéenne, quelles seront leur place ? G.D. : Pour l'instant, seules quelques décisions ont été prises comme par exemple une création du tout jeune chorégraphe Abou Lagraa. C.a.B. : Dans cette prochaine édition de la Biennale, il y aura un nouveau Défilé. Pour vous qu'elle est la symbolique de ce type d'événement et plus particulièrement son lien avec l'espace méditerranéen ? G.D. : La symbolique du Défilé est claire : C'est un événement d'ouverture car il donne la possibilité à des personnes (des spectateurs, des acteurs et des chorégraphes) qui ne se rencontrent pas d'habitude de pouvoir le faire. Le Défilé existe grâce à un noyau dur que sont les jeunes issus de la danse urbaine, mais aussi grâce à d'autres personnes qui n'ont pas forcément de pratiques gestuelles et qui appartiennent à d'autres générations. Tout en s'inspirant du travail que font en amont les écoles de Samba, les chorégraphes, les jeunes et les autres acteurs qui ont partcipé au premier Défilé, ont véritablement inventé des formes de rencontres. Comme nous le faisaient remarquer les journalistes brésiliens : nous avons retrouvé l'essence du Carnaval avant qu'il ne quitte la rue. Le fait que le prochain Défilé porte sur la Méditerranée ne change en rien cette symbolique d'ouverture et de rencontres. Seuls les groupes d'invités changeront : Ce seront les Gnawas, les Catalans, les Janissaires turcs qui nous enmèreront dans la Méditerranée. C.a.B. : Vous aviez dit du précédement Défilé qu'il "créait du lien social et favorisait l'intégration." Ne trouvez-vous pas que c'est un peu ambitieux d'associer une action événementielle à une autre qui se déroule plus dans le long terme ? G.D. : Ce qui est intéressant dans le Défilé c'est bien entendu le 13 septembre, le jour même de la manifestation. Mais c'est ce qui est le plus important c'est tout le travail en amont : C'est là que nous pouvons parler d'intégration et de lien social. On espère cette année que le projet du Défilé réunira de février à septembre 1998 des personnes de conditions sociales et de générations différentes. On souhaite également que les jeunes qui ont participé au Défilé 96 ne retravailleront pas avec les mêmes chorégraphes.

En ce qui concerne les retombées et l'enchaînement des choses, il m'est difficile d'en parler. Car en tant que directeur de la Biennale de la Danse je ne maîtrise pas le déroulement des choses ; le relais est passé aux politiques. J'ai seulement pu observer que certaines personnes qui s'étaient réunies pendant le Défilé, ont continué de travailler ensemble, comme le Collectif Kassou par exemple, qui a conçu depuis un projet sur le conte en Méditerranée. Ce qui les amènenent bien évidement à retravailler pour la Biennale 1998. Certains groupes se sont engagés vers une professionalisation, comme la Cie Azanie. Cette voie vers la professionalisation correspond à la politique que nous souhaitons mener à la Biennale de la Danse, mais aussi à la Maison de la Danse. C.a.B. : Du point de vue du financement, le premier Défilé reposait sur les 29 projets de quartier qui existaient à l'époque, qu'en est-il pour le Défilé 1998 ? G.D. : Ce financement du Ministère de la Culture a été remplacé par une autre ligne budgétaire du même montant. Pour ce Défilé, en plus des reconduites de subventions de la part de tous les partenaires déjà présents en 1996, nous avons été rejoints par le Conseil Général du Rhône et le Fonds d'Action Social. Ce qui est également intéressant c'est que de nouvelles communes ont également demandé à s'intégrer au projet. Mais, ce qui me semble le plus important, c'est qu'après le Défilé, les politiques ne laissent pas tomber les jeunes. Qu'ils se bougent pour leurs trouver des lieux de répétitions et qu'un certain nombre de projets continuent d'être financés. C.a.B. : Au coeur de la prochaine Biennale, mais aussi des trois dernières, la danse traditionnelle tient une place particulière au côté des expressions plus contemporaines. Ne craignez-vous pas cependant d'ancrer la Biennale de la Danse dans une approche trop ethnographique ? G.D. : Je pense qu'aujourd'hui il est impossible de dissocier Tradition et Modernité. Notre monde a besoin aussi de se replonger au cur de ses racines pour inventer de nouvelles choses. De plus, cette part de la Tradition me semble essentielle dans des Biennales évoquant des espaces géographiques. Car lorsqu'on se penche sur des cultures, on ne peut gommer leur part traditionnelle, car celle-ci participe pleinement à la compréhension des pays.

Dans un espace comme la Méditerranée, je crois qu'il est impossible d'éliminer cette part traditionnelle, d'autant plus que dans tous les pays méditerranéens les jeunes créateurs sont extrêment influencés par l'histoire, la mythologie ou les traditions. Pratiquement tous les spectacles qui seront programmés, qu'ils soient issus de la Turquie, de la Grèce ou bien des pays du Maghreb traiteront de manière contemporaine des sujets de mémoire. C.a.B. : Quel regard portez-vous sur des gestuelles ou des musiques traditionnelles ? Comment les percevez-vous : comme des références culturelles ou bien seulement comme des expressions purement esthétiques ? G.D. : La réponse n'est pas facile. Dans le cadre de la Biennale sur la Méditerranée il est évident que l'on ne peut pas faire l'impasse de nombreuses traditions qui sont aujourd'hui pour de véritables références culturelles. Artistiquement aussi, il me semble très important de montrer la danse sous toutes ses formes. Je ne souhaite pas éliminer la Tradition, car en France nous avons fait disparaître les danses traditionnelles et c'est extrêmement regrettable. Nous avons perdu de nombreuses racines gestuelles. Je ne fais pas cependant un festival de folklore, d'autant plus que le folklore a été perverti en "Show Holliday on Ice"! Mais, je crois qu'il est indispensable pour comprendre une culture de présenter certaines formes traditionnelles, à condition qu'elles soient bien choisies.







Rencontre "Bien que je sois d'origine algérienne, de nationalité française et ayant des racines égyptiennes, je n'ai aucune pression vis-à-vis de ce thème, car je ne cherche pas à faire de "l'arabiade"." Entretien avec Abou Lagraa, Chorégraphe en résidence à Annonay Carnets autour d'une Biennale : Quel a été votre parcours artistique ? Comment êtes-vous arrivé à la chorégraphie ? Abou Lagraa : J'ai commencé la danse, à 16 ans, dans une petite école à Annonay. Ensuite, j'ai suivi les formations des deux conservatoires de Lyon (le régional et le supérieur). Parallèlement à mes études au C.N.S.M., j'ai participé à une création de Denis Plassard. J'ai ensuite intégré la compagnie de Ruy Horta en 1994 à Francfort durant trois années. Nous avons travaillé sur deux créations dont Objet constant qui est passée à la Maison de la Danse. En faisant une création pour les plates-formes de Bagnolet avec Robert Pool1, je me suis aperçu que je commençais à m'éloigner artistiquement du travail de Ruy Horta. Avec lui ce qui était fabuleux c'est qu'il utilise pleinement la personnalité et l'énergie de ses danseurs. J'ai pu me découvrir et approfondir mon travail. Mais au bout de ma troisième année de collaboration, je ne sentais plus en accord avec sa mise en scène, j'avais l'impression de tourner un peu en rond, j'étais à la recherche d'autres choses.

Je suis donc rentré en France où j'ai retravaillé avec Denis Plassard et Lionel Hoche. Et puis, une nouvelle aventure a commencé en juin 1997, lorsqu'on m'a proposé de réaliser un projet avec le groupe Culture Street de Valence. Travailler avec des danseurs de Hip Hop cela m'intéressait beaucoup : cela me rappelait mes premiers investissements dans la danse dans les quartiers d'Annonay. On a fait une création où l'on a préservé les mouvements Hip Hop et une mise en scène plus liée à mon expérience contemporaine. Ils ont été programmés aux Rencontres de la Villette, dans beaucoup de lieux de la Région et apparemment ils seront diffusés au Festival de Montpellier Danse 98.

J'ai également monté un projet de compagnie, la Barraca. Il faut dire que même avant de commencer de danser j'ai toujours eu envie de chorégraphier, d'avoir une compagnie et de travailler avec des interprètes, sans avoir la prétention d'innover. La Barraca se compose de six danseurs, dont deux garçons et Aurélia Pico qui m'épaule et me soutient dans mes démarches. Courant mars on présentera pour la première fois, à Annonay, notre création Violatus qui sera également programmée et soutenue par la Biennale de la Danse 1998. C.a.B. : À partir de quelles émotions et inspirations vous construisez cette création ? A.L. : Violatus provient du mot latin viola ce qui signifie "ce qui contient de l'extrait de violette." Ce terme renvoie à la fois à la couleur violet et à la fleur violette. Le violet est un mélange de deux couleurs qui ont des énergies opposées : le bleu est calme, spatial et froid ; le rouge est sensuel, crépitant et chaud. La violette est une fleur qui a des variantes de couleurs allant du violet au blanc, et qui forme des petits groupes de fleurs solitaires.

En d'autres termes, Violatus est une pièce sur les relations humaines, sur les relations entre les différentes "couleurs émotionnelles" que chaque individu possède. Cette pièce est nous amènera aux autres créations. Ce que je recherche avant tout dans la danse c'est l'expression, la spontanéité des émotions. C.a.B. : Comment la musique s'intègre-t-elle à votre démarche ? A.L. : Je suis très ouvert à tous les courants musicaux, cela peut paraître simple à dire, mais il est vrai que lorsque je travaille avec les danseurs, je leur passe un échantillon de musiques très différentes qui peut aller de la chanson française, aux chansons pour enfants, à la musique orientale et maghrébine ou bien à la musique plus contemporaine. Cette multitude musicale me suggère une variété d'énergies. Je ne chorégraphie presque jamais sur la musique de la création, bien que je l'ai pleinement en tête. Je souhaite construire tout d'abord la rythmique de la danse. Toutefois, il y a aussi des musiques sur lesquelles je souhaite véritablement réaliser une approche similaire du point de vue de l'énergie et de la rythmique. Par exemple pour Violatus nous travaillons sur des musiques traditionnelles soufi provenant du Proche et Moyen Orient (du Pakistan, du Tagistan, d'Iran, d'Iraq) et des musiques algériennes. Au départ je souhaitais utiliser les psalmodies du Coran, ce qui me rappelait la manière dont mon père le lisait. Mais en vue de la situation actuelle, je ne voulais pas faire une pièce engagée. Je ne souhaitais pas faire une pièce sur l'Algérie, bien que je sois d'origine algérienne, mais ce choix autour des musiques soufi signifie d'une autre manière que "je n'oublie pas d'où je viens".

Toutefois à côté de cette musique traditionnelle arabo-musulmanne, j'ai proposé à l'un des musiciens du groupe les Bastardes, Éric Aldéa, de réaliser une composition entre les différents morceaux musicaux traditionnels. La combinaison de ces deux univers est une façon de dire que "j'ai la tête dans les airs tout en ayant les pied sur terre." C.a.B. : Quelle fusion faites-vous entre vos connaissances gestuelles, votre vécu dans différents pays et votre origine algérienne ; car vous semblez constituter en quelque sorte un étonnant mélange qui s'appropriant à la culture méditerranéenne ? A.L. : Je suis français, je suis né en France, mais il est vrai que j'ai également une part de la culture arabe du côté de mes parents qui sont Oranais. Du côté de ma famille en Algérie, nous sommes très variés : j'ai des cousins du sud algérien, des cousins blonds et d'autres basanés comme moi. Nous venons de la ville d'Oran qui possède une étonnante similitude avec les villes françaises et qui a toujours été très ouverte culturellement. Mais nous avons également de la famille dans le désert. Ce qui me fascinait dans cette région, c'étaient mes cousins Gnawas et plus particulièrement leur danse et leur musique. L'homme arabe était pour moi le chef de famille qui ne montre pas ses émotions, et lorsque ces hommes en djebba se mettaient à danser ensemble, ils dégageaient toute autre chose. Leur lâché de tête ou leur façon d'être dans le sol dégageaient une sensualité et une émotion qu'ils ne montraient pas ailleurs.

Ainsi, quand j'étais petit, j'ai toujours eu ce double rapport : lorsque j'étais à la maison j'étais en Algérie et lorsque j'étais à l'extérieur je vivais en France. Ce qui est difficile dans ce genre de situation c'est de ne pas se perdre. De mon côté, j'ai choisi l'extérieur car c'était plus approprié à ce que je souhaitais. Toutefois, je garde en mémoire l'esprit de tolérance et de générosité, et l'humour qu'il y avait chez moi. Face à tout cela, je ne recherche pas à créer une fusion calculée et artificielle de mes différentes expériences culturelles. Mon travail est évidement imprégner de cet amalgame, mais il se digère lentement et naturellement. Il est vrai que dans Violatus j'ai très envie d'intégrer la danse des Gnawas, les émotions qui s'en dégagent. C.a.B. : Participer à la prochaine édition de la Biennale de la Danse qui a pour thème la Méditerranée, signifie quoi pour vous ? N'avez-vous pas une pression face à ce thème là ? A.L. : Mon désir de participer à la Biennale de la Danse sur la Méditerranée s'est présenté comme un besoin, une nécessité face à mon vécu, car je me sens entièrement concerné par ce thème là. Si la Biennale 1998 avait porté sur un autre thème, je crois que je n'aurais même pas pensé à aller voir Guy Darmet. Il y a deux ans, lorsque j'avais entendu parler du thème de la Méditerranée pour la Biennale, alors que j'étais encore en Allemagne, j'ai eu immédiatement envie d'y participer, car je me sens concerné. J'ai véritablement l'impression d'appartenir à un ensemble culturel méditerranéen. Il est évident que je me sens pleinement connecté avec ce qui se passe aujourd'hui en Algérie. Toutefois, ma volonté de réaliser une création pour cet événement ne voulait pas dire que j'avais envie de faire une pièce sur l'Algérie ou sur l'Égypte. Bien que je sois d'origine algérienne, de nationalité française et ayant des racines égyptiennes, je n'ai aucune pression vis à vis de ce thème, car je ne cherche pas à faire de "l'arabiade". 1N.B.R. : Robert Pool est un chorégraphe anglais installé à Berlin.







Intention "Une manifestation festive telle que le Défilé sur la Méditerranée donnera l'occasion de valoriser cette richesse et ces confrontetions. Ce sera l'occasion de mettre en exergue un quotidien du métissage." Entretien avec Gilberte Hugouvieux, département Culturel ISM-RA Carnets autour d'une Biennale : Selon vous comment s'inscrit une manifestation telle que le Défilé dans la culture méditerranéenne ? Gilberte Hugouvieux : Dans les pays maghrébins, que je connais plus particulièrement, les fêtes et les soirées musicales sont généralement liées aux événements familiaux. Elles se déroulent dans un espace privé. À partir de là, le Défilé sur la Méditerranée pose déjà un certain nombre de questions. Les danses et la musiques traditionnelles se déplaçant d'un lieu intime à un espace ouvert et collectif.

Dans ce genre de manifestations publiques, la place des femmes se pose également de manière particulière... Il est essentiel de réfléchir, dès aujourd'hui, comment les mobiliser ; pour cela nous travaillons déjà avec plusieurs associations. Car, dans ce Défilé nous espérons réunir une présence massive de femmes d'origine méditerrannéenne. D'autre part, Guy Darmet envisage comme en 1996 d'inviter des artistes qui ont une tradition vivante de déambulation dans les rues des villes ou des villages ; mais ceux-ci ne sont pas aussi nombreux dans les pays méditerranéens qu'au Brésil par exemple. C.a.B. : Ce prochain thème de la Biennale sera-t-il un élément fédérateur pour les compagnies locales qui ont un pied dans la Méditerranée ? G.H. : La Méditerranée est à la fois une mer qui fascine, elle représente le mouvement, la circularité, une histoire commune imprégnée en chacun de nous. C'est un espace dans lequel est ancré l'origine lointaine des civilisations, un lieu de mémoire et de passages, mais aussi de conflits. Toutefois, personne ne dit qu'il est méditerranéen. Ce qu'il y a d'étonnant dans le bassin méditerrannéen, c'est qu'il existe des espaces géographiques et culturels qui sont à la fois très proches et très éloignés dans leurs coutumes ou bien dans leur langue. Cet aspect est générateur de croisements culturels mais aussi de représentations, de discours et de pratiques complexes. La France, quant à elle, est un pays où il y a une très grande proximité de populations originaires de la Méditerranée. Il y a eu une immigration portugaise, espagnole, italienne et maghrébine. Nous avons une réelle histoire partagée avec ces peuples. Nous sommes une population métissée et interculturelle qui est le fruit de ces brassages.

Au quotidien, ce métissage est aussi présent en région Rhône-Alpes ; et une manifestation festive telle que le Défilé sur la Méditerranée donnera l'occasion de valoriser cette richesse et ces confrontations. Ce sera l'occasion de mettre en exergue un quotidien du métissage. Le Défilé sera un point d'appui extrêmement fort pour avancer avec plus d'intelligence et de tolérance. Il est vrai que la musique et la fête font tomber les barrières, puisque c'est la part joyeuse de chacun qui s'exprime. C.a.B. : En tant que lieu de ressources et de passerelles artistiques, quels types de collaborations entretient l'ISM-RA avec la Biennale de la Danse ? G.H. : Avant l'expérience du Défilé 1996, nous avions collaboré étroitement avec la Maison de la Danse sur Danse Ville Danse et en 94 sur la Biennale de la Danse Mama Africa1. D'autre part pour la réalisation du Guide Image Spectacle et Musique du Monde, nous effectuons un repérage des groupes et des compagnies présentes en Rhône-Alpes, ce qui nous maintient constamment en lien direct avec le foisonnement artistique des quartiers populaires de la région. Nous accompagnons et aidons à la qualification des artistes et des associations dont la dynamique peut contribuer à la vie culturelle de l'agglomération. Une manifestation forte, comme le Défilé de la Biennale de la Danse, leur permet de s'appuyer sur un événement moteur, de catalyser les énergies, d'avoir une échéance pour un grand rendez-vous. Ce type d'événement donne du carburant. C'est dans cet esprit donc que nous avons travaillé en commun avec la Biennale de la Danse en 1996.

Nous avons contribué à mettre en oeuvre des collaborations nouvelles et vivantes qui ont mis en relation les gens des quartiers, des chorégraphes, des musiciens... 15 quartiers de Lyon et de plusieurs villes de l'agglomération se sont ainsi mobilisés, soit plus de 1 500 participants. C.a.B. : Envisagez-vous de réaliser pour cette prochaine édition de la Biennale de la Danse un travail de collaboration similaire à celui réalisé pour l'édition 96 ? G.H. : Bien entendu ; nous démarrons actuellement les réunions de travail et les appels à projets viennent d'être envoyés dans l'ensemble de l'agglomération. Nous travaillons sur l'idée un peu semblable à celle du Défilé 1996, en sachant toutefois qu'il y a des caractéristiques thématiques différentes. Le pari est de taille ! Le Défilé 96 ayant été une grande réussite avec un fort impact médiatique, il va nous falloir trouver un nouveau souffle. De plus, l'impact qu'a eu ce premier défilé provoquera probablement plus de demandes de participations. Cet événement doit réellement préserver sa dimension de grande fête populaire. C.a.B. : Un type d'événement comme le Défilé est-il une occasion privilégiée de renforcer votre travail de médiation entre les milieux culturels et artistiques et de permettre à des groupes et des artistes d'aller de l'avant ? G.H. : Bien évidemment ! Ce type d'événement nous permet de mettre en relief une dynamique artistique souvent peu lisible avec une dynamique plus forte et fédératrice. De plus, ce genre d'événement crée de la maturité et des croisements, et rend visible des pratiques artistiques, qui lorsqu'elles bénéficient d'une telle médiatisation publique trouvent de nouvelles opportunités pour poursuivre leur travail, pour se produire ou participer à de nouveaux événements. Ces grands moments festifs donnent l'occasion à de nombreux jeunes, mobilisés autour de pratiques artistiques, de se constituer autour d'un projet et d'innover collectivement. Dans le projet du Défilé, le travail de préparation tient une place importante. Il consiste à faire travailler ensemble des artistes qui ont une matière, un patrimoine et une réelle écriture artistique avec des personnes de toutes générations qui ont envie de faire quelque chose de festif à partir de leur quartier. Ainsi, on ne se situe pas uniquement dans le domaine de l'animation. 1N.B.R. : Dans la continuité de Danse Ville Danse 1992 avait été mis en place dans les studios du Conservatoire Nationale Supérieur en Danse pour différents jeunes et moins jeunes amateurs de Hip Hop, un stage de deux jours avec la compagnie newyorkaise de David Roussève.



Regard "Il y a toujours eu à l'intérieur de cette mer une intense circulation de population et un sentiment d'être "chez soi ailleurs." Entretien avec Jean-François Salles, directeur de recherche au CNRS, Maison de l'Orient méditerranéen Carnets autour d'une Biennale : Quel sens mettez vous derrière le mot "Méditerranée" ? Jean-François Salles : Si on voulait jouer je vous répondrais Braudel. C'est-à-dire, qu'il y a une unité méditerranéenne : une communauté qui a évolué dans des environnements écologiques et des comportements relationnels humains semblables depuis des millénaires et dont l'évolution est relativement homogène. En effet, derrière une diversité de populations se cache une unité forte liée à des conditions naturelles homogènes, et surtout à une adaptation commune face à un espace développant des concepts et des appréciations se rapprochant les uns des autres. Contrairement à ce qui s'est passé pour la Perse antique, par exemple, les liens humains, qui se sont mis en place sur les rives et à l'intérieur du monde méditerranéen ont développé un principe de vie par communauté. Alors qu'en Perse antique fonctionne un système hiérarchique centralisé et autoritaire, dans l'espace méditerranéen se développe ce que l'on appelle la "démocratie".

La communauté méditerranéenne est une communauté de personnes qui tout d'abord vivent dans des milieux plus ou moins clos, puisque la Méditerranée est une succession de plaines côtières. De fait, il s'est créé une sorte de "nécessité de vivre ensemble". En d'autres termes, pour pouvoir régler les problèmes, on est obligé de s'entendre avec la communauté côtière voisine etc... Il y a là tout un système relationnel qui est la base de la société méditerranéenne antique ou moderne. D'autre part, du point de vue historique et archéologique, c'est autour de la Méditerranée que sont nées un certain nombre de civilisations qui nous ont profondément influencés jusqu'à présent : la Méditerranée est un berceau de cultures. C.a.B. : Quels sont les espaces géographiques qui font partie de l'enceinte méditerranéenne ? J-F.S. : Mes connaissances sont assez vagues en ce qui concerne le Maghreb. Mais il me semble évident que les lignes de coupures naturelles de la rive sud se font sur des lignes géographiques. Le monde méditerranéen s'étend jusqu'à l'Atlas et s'arrête à la rupture du monde désertique. Les Berbères, les Touaregs ou même les Nubiens sont profondément tournés vers ce monde-là. Toutefois, il existe également des régions comme le nord de la Mauritanie autour de Tombouctou, qui sont beaucoup plus orientées vers la Méditerranée que vers le Golfe d'Afrique. La tradition chez les historiens de l'antiquité veut que la limite orientale de la Méditerranée corresponde à l'Euphrate. Il est vrai que le monde Perse n'est pas la Méditerranée, que ce soit dans ses conceptions ou dans ses langues, même si dès le VIe siècle av. J.-C, dans la mesure où il a conquis une partie de Méditerranée orientale, il s'est méditerranéisé. Notons que c'est également ce qui est en train de se passer de nos jours pour les habitants de l'espace du Golfe persique.1

En ce qui concerne la rive nord, il est certain que la Méditerranée ne s'étend pas jusqu'à Lille, ni jusqu'à Fribourg ou aux rives du Danube. Le Portugal est également un espace méditerranéen. Certes, cette population est partie vers l'Ouest, mais elle est profondément imbriquée dans la culture méditerranéenne. C.a.B. : Le thème du Défilé de la Biennale sera "la Méditerranée un cercle ouvert sur le monde." Est-ce que la Méditerranée correspond à cette notion de cercle ? On parle souvent de rive nord, rive sud, rive orientale ou rive occidentale. J.-F.S. : Pour les périodes anciennes, il me semble qu'il n'y avait pas d'opposition entre la rive orientale et la rive occidentale. Par exemple si on se penche sur la période phénicienne, on constate que les Phéniciens ont méditerranéisé la rive occidentale. Autrement dit, si l'Espagne ou une partie de l'Afrique du Nord sont ce qu'elles sont, c'est en partie parce qu'il y a eu cet inlfux phénicien depuis le IXe Siècle av. J.-C. Il ne semble pas non plus qu'il y ait d'opposition entre la rive nord et la rive sud. Même lorsqu'on regarde l'islamisation, au courant des VIIIe, IXe et Xe siècles de notre ère, il n'y a pas eu de coupure. Il y a eu des batailles, mais il n'y a pas eu de véritables coupures culturelles.

De l'Antiquité au Moyen Âge et après, il y a certes une rive plus tournée vers les mondes arides et désertiques, et une autre plus orientée vers les mondes nordiques. Mais là non plus, il n'y a pas de véritable coupure culturelle. Les distinctions entre les rives sont des données très contemporaines. Que ce soit en Espagne, en France, en Italie, en Grèce (en dehors de la Macédoine septentrionale qui est en relation avec d'autres conceptions), en Turquie, au Liban, en Syrie, en Israël, en Égypte ou au Maghreb, vous trouverez des modes d'expressions et des appréciations différentes, mais vous ne verrez pas des modes de vie ou de pensée qui soient fondamentalement opposés. C.a.B. : Est-ce que les arts vivants (danse, musique etc...) sont des arts qui tiennent une place particulière dans la culture méditerranéenne ? J.-F.S. : Bien que cela sorte de mon cadre de recherche, d'un point de vue plus expérimental lorsqu'on voit de la danse ou qu'on écoute de la musique "traditionnelle" qu'elle soit d'Espagne, du sud de la France, d'Italie, de Chypre, du Liban ou du Maghreb... bien qu'il s'agisse d'appréciations et de rythmes différents, il ressort un fond commun entre ces expressions musicales et gestuelles.

Lorsqu'on assiste à une prestation de musique ou de danse indienne, par exemple, cela est totalement dissemblable. On n'a plus du tout l'impression d'appartenir à une "mémoire" musicale et gestuelle comme celle qui est commune à la Méditerranée. La culture méditerranéenne présente une identité de métissage qui s'est faite par les riverains mais aussi grâce aux apports plus extérieurs. Par exemple quand on prend les chants de "dabkés" du Liban, il s'agit d'un mélange profond de chants et de danses issus du désert de Syrie et de sonorités provenant de la Méditerranée. C.a.B. : L'espace méditerranéen est un espace circulaire, où les gens circulent : est-ce un espace qui favorise la tolérance, l'échange ? J.-F.S. : Grâce aux recherches archéologiques et historiques, nous sommes en train de nous apercevoir de mieux en mieux, que dès la plus haute antiquité il y a eu une énorme circulation de population. On trouve des Phéniciens ou des gens parlant le phénicien sur l'ensemble du pourtour de la Méditerranée. Lorsqu'on examine des inscriptions funéraires en Grèce au IVe siècle ou en Égypte à l'époque hellénistique, toutes les cultures méditerranéennes y sont représentées : grecque, phénicienne, égyptienne, espagnole, italienne, arabe... Il y a toujours eu à l'intérieur de cette mer une intense circulation de population et un sentiment d'être "chez soi ailleurs". Ces deux points sont d'ailleurs ce sur quoi s'est construite l'unité méditerranéenne.

Les régions qui composent l'espace méditerranéen ne sont pas des nations qui s'excluent les unes des autres, mais des groupes qui se mélangent et qui vont s'installer les uns chez les autres. C'est de là que viennent les phénomènes de tolérance, d'adaptabilité et ces osmoses culturelles. 1N.B.R. : Traditionnellement les peuples du Golfe persique sont des Bédouins issus de l'Arabie profonde. Aujourd'hui, ces personnes-là sont en train de se dire que leurs modèles ne sont plus simplement les lois Wahhabites de l'Islam, mais plutôt une appréciation se rapprochant de celle des peuples de la Méditerranée.



Témoignage "La Méditerranée me révèle un thème qui m'est cher : celui de l'articulation entre la nature et la culture." Entretien avec Hélène Taddeï, Chorégraphe de la Compagnie Art Mouv'in Saïlence Carnets autour d'une Biennale : La prochaine édition de la Biennale de la Danse aura pour thème celui de la Méditerranée. Pour vous qu'est-ce que cela évoque ? Hélène Taddéï : De par mes origines corses, je suis très fortement attachée à la Méditerranée. Toutefois, cela me révèle un thème qui m'est cher : celui de l'articulation entre nature et culture. Cela m'évoque également un espace géographique rempli de mélanges, de saveurs mais aussi de métissages culturels. En tant qu'artiste de Hip Hop, je suis très sensible au métissage des cultures, car c'est quelque chose que je vis au jour le jour sur le terrain. D'autre part, durant cette saison 97-98, nous allons retourner en résidence en Corse pour préparer une création sur la Méditerranée, plus particulièrement sur les croisements culturels qui sont passés en Corse.

À mon sens cet espace insulaire est vraiment au coeur de la Méditerranée et bouillonne des influences culturelles du bassin méditerranéens. À une autre échelle c'est ce que nous rencontrons dans le Hip Hop1 : un creuset de cultures. Ainsi pour cette création, on souhaite faire parler les croisements entre les cultures gestuelles du Hip Hop - qui déjà à elles seules fusionnent des mouvements traditionnels et modernes - du Maghreb, d'Afrique et du Moyen Orient... Sans faire appel à un effet de mode, le métissage est une véritable préoccupation d'aujourd'hui... C.a.B. : Les croisements musicaux sont aussi nombreux dans la danse urbaine. Comment sont-ils utilisés par rapport à la danse ? H.T. : Le Rap est né de la rencontre entre la tradition orale africaine d'apposer de la parole sur des rythmes de percussions, "la musique noire américaine" (Gospel, Blues, Jazz, qui ont donné la Soul, la funk, le Jazz rock...), les courants jamaïcains avec les Toasteurs mais aussi l'envie chercher des nouveaux sons. Aujourd'hui le Rap, comme le Jazz, est devenu un vaste champ sonore regroupant une diversité d'écoles.2

Il est vrai que ces croisements sont un peu éloignés de la Méditerranée, toutefois le Rap commence à "re"gagner à grande vitesse les terres africaines non loin de la Méditerranée. En ce qui concerne l'utilisation de la musique, il faut rappeler qu'à la base les danseurs de Hip Hop sont des fous de son. Mais au niveau de la création, les danseurs sont totalement libres de suivre la musique ou de s'en détacher. Il est vrai que les danseurs s'imprègnent le plus souvent de la musique. Mais, il est intéressant de les faire évoluer sur autre chose, comme il est important pour quelqu'un qui commence à danser du Hip Hop de s'imprégner de ces sons-là. Car il s'agit bien d'un bain, d'un feeling. C.a.B. : Pour vous qu'est ce que le Défilé représente ? Quel est son lien avec l'espace méditerranéen ? H.T. : En tant que danseur Hip Hop ce qui me semble extraordinaire, quelle que soit la thématique de ce type de manifestation, c'est que les gens dansent dans la rue. Je me rappelle une lettre d'une dame qui avait travaillé avec nous pour le Défilé 96, qui nous disait : "en tant que citoyen, vous ne pouvez pas savoir ce que d'avoir dansé dans la rue cela a représenté." Il est vrai que le Défilé 96 se rapportait pleinement à la culture Brésilienne, mais en ce qui concerne le thème de la Méditerranée, cela me semble également intéressant car dans les espaces méditerranéens les gens vivent dehors et entretiennent une tradition de communication importante. De toutes les manières les connexions sont toujours possibles. C.a.B. : Après votre participation au Défilé 96 avez vous eu des retombées ? H.T. : Patrice Papelard le coordinateur général du Défilé, nous a contacté quelque temps après, pour nous proposer une aide de la Ville de Lyon nous permettant de poursuivre la dynamique des projets de quartiers. Ce soutien nous a donc permis de monter une formation gratuite autour du Hip Hop, ouverte à des jeunes issus de divers horizons et ayant des niveaux différents.

Dans le même esprit que le projet du Défilé, bien qu'ils ne s'adressent pas au même public, puisqu'il s'agissait pour le Défilé des abonnés de la Maison de la danse, ces rendez-vous pédagogiques hebdomadaires reprennent l'idée de mélanger un public. Les jeunes qui sont fidèles à ces rencontres ne viennent pas forcément des cités. Certains viennent de milieux plus aisés. Ainsi, se créent des "rencontres possibles". Ils apprennent à se côtoyer. C.a.B. : Ces rendez-vous se passent toujours au 116 ? H.T. : Oui. On souhaitait le 116 parce que c'est un lieu qui n'est pas excentré de Lyon, et parce qu'il ne s'agit pas d'une structure sociale. Cela permettait à ceux qui viennent des cités de sortir du circuit habituel. De plus c'est un lieu qui n'est pas très facile d'accès, et de fait ce sont vraiment les gens qui sont motivés qui suivent l'histoire. Aujourd'hui il y a 20 à 30 personnes qui viennent régulièrement, dont quelques personnes qui étaient présentes dans le projet du Défilé. C.a.B. : Avez vous été déjà sollicités pour le prochain Défilé ? H.T. : Le Défilé de la Biennale de la Danse 1996 a été une aventure fascinante, avec tout ce qui s'est passé sur le plan humain. Mais il m'est difficile de me prononcer sur notre participation pour le prochain Défilé. Cela dépendra du temps de travail disponible, car le projet du Défilé demande un énorme investissement, une lourde responsabilité pour mener à bien une telle aventure. C.a.B. :Vous avez obtenu un soutien pour la formation, mais en ce qui concerne votre activité artistique quelles ont été les retombées ? H.T. : C'est difficile à déterminer exactement, car les démarches artistiques ou pédagogiques qu'elles soient de la compagnie, de Soda Pop ou de moi, elles se recoupent sans cesse. C'est essentiellement à la suite des Rencontre de la Villette que nous avons pu mener un travail de résidence en Corse, avec le soutien du Théâtre de Bastia mais aussi de la D.R.A.C., des collectivités territoriales et du Ministère de la Jeunesse et des sports. Il est vrai que le projet du Défilé rentre plus dans le cadre d'un travail pédagogique et événementiel. Il s'agit plus d'une demande particulière où l'on doit créer l'événement. 1N.B.R : le Hip Hop est né de la rencontre de l'exportation de l'Afrique aux Etats-Unis, puisque ses origines commencent dans le Bronx entre le mélange de la culture Black et de la culture latine. En extrapolant le Hip Hop a quelque chose d'africain et européen ce qui nous renvoie forcément à la Méditerranée. 2 N.B.R : La old school, la new school, le Jazz rap (intégration de sonorité empruntées du Jazz), le Hardcore (revendicatif), l'école du Outan clan (sonorités plus contemporaine, basée sur le répétitif, par exemple avec des morceaux de piano déglingué).


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