"Un dydd ar tro"/"Jour après jour"
Jim Rowlands,
un chanteur gallois à Grenoble
Jim Rowlands : Je viens d'un petit village qui est très proche de la frontière galloise. Mon père est gallois, et la famille de ma mère est française. Quand j'ai quitté la maison, il y a à peu près huit ou neuf ans, j'avais deux choses en tête : d'abord, trouver les racines de la famille de ma mère, et c'est pour ça que je suis venu en France, et ensuite, le fait que je sois ici m'a donné de plus en plus envie de retrouver les traces de la culture de mon père.
Bien qu'il soit gallois, il ne parle pas la langue galloise, et donc pour moi, c'est une recherche pour trouver qui je suis, et d'où je viens. C'est pour ça que je suis ici en France, mais que je fais de la musique galloise. Quant à savoir ce qu'est la musique galloise, c'est difficile à dire. On m'a posé il y quelques temps la question de savoir quelle était la différence entre la musique irlandaise et la musique galloise. J'ai répondu que c'était comme si on vous demandais ce qu'était la différence entre la chanson française et la chanson italienne : c'est tellement varié que ce n'est pas possible de répondre à la question en une phrase, ou même en quelques minutes.
Au pays de Galles, il y a actuellement plusieurs chanteurs et groupes qui chantent des choses très différentes, dans des styles très différents également. Tout d'abord, Dafydd Iwan, qui est à la fois le président d'une association de défense de la langue galloise, qui s'appelle Cymdeithas Yr Iaith, et un chanteur qui parle de choses très politiques, et contre la disparition de la langue. Il a fait quelques mois de prison il y a quelques années, parce que, avec un groupe de militants, il est allé casser des panneaux de signalisation qui étaient uniquement en anglais. Il est déjà venu en France, jouer pour l'association des Gallois de Paris, gratuitement. Il gère également la seule maison d'édition de musique galloise, Sain, qui produit les disques en langue galloise des artistes gallois.
Il y a également Meic Stephens, qui est en quelque sorte un homme polyvalent, "renaissance man". Il a plusieurs activités : il est chanteur depuis vingt-cinq ans, et il enseigne le gallois en tant que professeur d'université. Il est aussi traducteur : quasiment chaque fois qu'on trouve un livre en anglais traduit du gallois, on trouve son nom dessus comme traducteur. Il est également écrivain. Ses chansons sont des chansons d'amour, en langue galloise. Personnellement je préfère les gens comme Meic Stephens, qui n'écrivent pas forcément pour une idée, mais qui chantent ce qui leur vient à l'esprit, pas forcément dans un certain style. C'est peut-être trop arbitraire de dire &laqno; je fais de la musique celte », et d'essayer tout de suite de copier l'idée qu'on a de la musique celte.
Il y a des chanteurs comme Bob Delyn (pas Dylan !), qui fait du folk-rock, mais en gallois, et qui a aussi un goût celte, et à la limite on pourrait déjà dire que c'est celte, parce que c'est un Gallois. Et dernièrement, le seul groupe qui s'exporte pas mal, Ar Log, ce qui veux dire "à louer", qui fait uniquement de la musique traditionnelle, folklorique. On trouve beaucoup de styles différents dans la musique galloise, comme dans la musique irlandaise, et dans la chanson française. Et c'est peut-être mieux d'en écouter une sélection, plutôt que d'essayer de définir la musique galloise a priori, en disant qu'il y a telle ou telle chose présente dans cette musique.
Depuis 1967, au Pays de Galles, le Parlement Britannique a voté une loi qui maintient la langue galloise à égalité avec l'anglais. C'était la première fois qu'il y avait une telle loi. Avant, un Gallois qui était monolingue, par exemple dans un tribunal, était obligé de payer un traducteur, car tout devait se passer en anglais. Les parlementaires gallois qui allaient à Londres étaient obligés de prêter serment en anglais ; il y a toujours eu beaucoup d'antipathie, de mauvais feeling, entre les Gallois galloisant et les Gallois anglophones, et la langue anglaise en général, peut-être un peu comme en Bretagne, où, année après année, la langue disparaît.
Il faut dire que dans le Nord du Pays de Galles, il y cinq cent mille personnes qui parlent le gallois à l'école, dans les bureaux, à la maison, comme vous parlez le français. C'est quelque chose qui est vivant. Mais il faut dire que les grandes villes du pays, qui sont toutes dans le sud, sont toutes anglophones, et c'est pour ça que les résultats du référendum ont été spectaculaires. La majorité des Gallois, à six mille voix près, a dit oui pour le parlement gallois, mais il y a seulement un cinquième de la population qui parle le gallois.
Ca fait plaisir de voir qu'il y a une reconnaissance de nationalité (pas dans un sens négatif), aussi par les gens qui ne parlent pas la langue, et qui n'ont pas accès à cette culture. Il y des gallois qui ne parlent pas le "cmraeg", comme Dylan Thomas, l'écrivain, ou Richard Burton, l'acteur, mais qui sont reconnus comme gallois. Contrairement à des gens qui jouent de la musique, qui parlent, qui chantent en gallois, et qui sont très peu connus, comme les gens que je viens de citer. Le référendum est une bonne chose, on peut espérer que la langue prenne une place plus importante dans la vie de tous les jours. Il y a aussi le danger qu'un pays qui n'est pas sur le point d'être indépendant et libre, mais qui va avoir plus de possibilités de s'exprimer, d'être reconnu à l'étranger, va encore plus utiliser l'anglais, parce que c'est la langue universelle, la lingua franca.
Maintenant que le Pays de Galles devient un peu indépendant, sa culture pourrait mourir. Il va être difficile de trouver les interprètes à Bruxelles pour parler gallois, alors que tous les Gallois sont bilingues. Je suis peut-être trop pessimiste. Il faut dire que depuis huit siècles que le Pays de Galles est "attaché" à l'Angleterre, c'est quand-même incroyable que la langue ait survécu jusque là. C'est sûr que ça doit continuer. C'est important pour la culture dans le pays lui-même, mais ça marche moins bien à l'extérieur. Les gens qui chantent en gallois, ça marche très bien au Pays de Galles, mais ça s'exporte très mal. Mais par contre les gallois qui chantent en anglais s'exportent très bien. Ca serait dommage que la langue existe seulement en tant que cliché, dans la culture et dans la chanson, et pas réellement dans la vie de tous les jours.
Pour le festival Celtitudes, nous serons quatre, un britannique qui s'appelle John, un français qui s'appelle Laurent, un franco-italien, le violoniste, qui s'appelle Marco, et moi. Je vais chanter moitié en anglais, et moitié en gallois, dans un style plutôt traditionnel.
C'est une formation instrumentale spéciale pour le festival, la plus traditionnelle possible, pour faire plaisir aux gens qui ne vont pas comprendre les paroles. On peut toujours expliquer avant les chansons, mais dès que je commence à chanter, personne ne comprend. Il y a une chanson qui s'appelle One day at a time, qu'on a adapté d'une célèbre chanson galloise du même nom, Un dydd ar y tro, qui est sur le référendum, qui parle du symbolisme autour de la Saint-David (qui est aussi importante que la Saint-Patrick en Irlande), le jour du vote, où des tas de civils votent, et ça fait si longtemps qu'on attend ce jour là, je développe l'idée d'amour du pays, des paysages et des montagnes, des événement politiques, et à la fin, l'espoir que c'est une bonne chose, mais qu'il faut y aller doucement. Il y aussi une chanson qui s'appelle Ellen Vannin, qui est l'histoire vraie d'un bateau, entre l'Irlande et le Pays de Galles, et qui a coulé, au XIXe siècle.On parle de ce naufrage, qui est assez triste.
Il y a toujours dans les chansons un mélange de politique, (sur les chômeurs, le complexe d'infériorité gallois) et des chansons traditionnelles. Dans chaque chanson j'essaye d'incarner l'image du pays. Chez tous les gens que je connais qui chantent des chansons galloises il y a non pas un désespoir, mais une profonde tristesse, c'est important de le dire, mais, ironiquement, notre CD, enregistré l'année prochaine, s'appellera Gobaith, l'espoir !
Contact Jim Rowlands :
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