Férus Mustafov
Férus Mustafov vient de la République de Macédoine, enclave entre la Serbie et la Grèce. Il sera présent dans le très contemporain festival Musiques en Scène à Lyon en mars 98. Une bonne occasion pour aborder avec le compositeur et directeur artistique James Giroudon, un point de vue décentré sur la place des musiques traditionnelles dans les musiques actuelles.
Entretien avec James Giroudon
CMTRA : Férus Mustafov est un tzigane de Macédoine : comment avez-vous croisé son chemin ?
James Giroudon : La République de Macédoine est un pays où l'on ressent beaucoup les influence de l'Orient, et ce mélange de culture des Balkans : le Moyen-Orient et la Turquie sont très proches, tout autant que l'Europe occidentale.
À Scopje, j'ai rencontré beaucoup de musiciens d'horizons divers, dans le cadre d'un festival de musique contemporaine. Il y a une grande curiosité localement pour connaître, pour se former ; ils ont actuellement un projet s'inscrivant dans le cadre de financements européens, pour monter un Centre de Recherche sur la musique contemporaine à Scopje.
Je ne connais pas assez bien ce pays pour juger, mais je pense qu'il y a un vrai désir de se mettre au carrefour de plusieurs approches artistiques et musicales : c'est ce qui justifie notre désir d'inviter Mustafov dans un festival comme Musiques en Scènes, orienté musique contemporaine.
Lorsque j'ai entendu la musique de Mustafov, par l'intermédiaire du Festival Mimi, et que je l'ai faite écouter à Pierre-Alain Jaffrenou, la séduction a été immédiate. Nous étions dans la "musique traditionnelle", dans un canevas, dans une forme conventionnelle, mais il y avait quelque chose qui se dégageait, qui a piqué notre curiosité... C'est très difficile à définir. Il y a une très grande virtuosité, et du coup un jeu instrumental qui dépasse la seule interprétation d'un répertoire. Ici on est un étage au dessus, on est dans un univers sonore qui entraîne ailleurs, qui pousse à l'écoute, à la soif de connaître, vers un autre monde. C'est d'autant plus fort que cela joue sur des références qui sont presque pesantes : musiques tziganes, traditionnelles...
CMTRA : Musiques en Scène propose-t-il ce dépassement pour d'autres genres musicaux invités ?
J.G. : Oui, je pense que l'on pourrait dire ça de toutes les musiques que nous invitons, même les musiques "contemporaines" très établies. Ou bien on vient et "on joue des notes", ou il se passe autre chose. Par exemple le même soir, il y aura de la musique improvisée avec le Trio Regel/Doneda/Achiary, qui évolue lui aussi dans d'autres sphères musicales. La musique, quelle que soit la forme dans laquelle on travaille, dans une perspective de création, de renouvellement, nécessite d'être resté à l'écoute d'autres mondes, d'autres univers, et je crois qu'un festival comme Musiques en Scène doit symboliquement, mais aussi essentiellement, donner leur place à d'autres genres musicaux.
Si le Festival présente à 90 % de la musique dite "contemporaine" - encore faudrait-il la définir, car nous sommes dans une perspective très ouverte sur les esthétiques, sur les styles, et sur les compositeurs. Pour dire simplement, un compositeur ne se définit pas aujourd'hui par la seule filiation à la musique occidentale, savante, etc...
Pour Musiques en Scène 98, nous attirons l'attention sur les compositeurs hongrois, comme Peter Eötvös avec sa création à l'Opéra, et un portrait de György Kurtag, qui se situent tous deux dans une lignée de musique savante. Ce sont des compositeurs parmi les plus grands compositeurs vivant aujourd'hui. Les compositeurs hongrois avec Ligeti, Kurtag, Eotvos mais aussi Bartok, ont cette préoccupation de confronter l'écriture contemporaine à d'autres racines Bartok est vraiment un compositeur emblématique dans cette relation avec la musique populaire.
CMTRA : On sait qu'il y a chez Bartok une très grande ré-interprétation de ces musiques. Ici vous proposez une étape importante : mettre sur scène dans un festival de musique contemporaine, des musiciens "traditionnels" eux-mêmes, leur donner la parole avec leur interprétation et surtout leur esthétique ?
J.G. : Oui, car pour qu'il y ait une ré-interprétation, pour que chaque compositeur puisse ensuite intégrer intérieurement d'autres démarches musicales à sa propre pratique, il faut montrer des "purs produits" : des approches qui vont à l'essentiel dans le domaine en question. En tant que programmateur, je suis extrêmement intéressé par ces imbrications. Nous avions proposé un itinéraire sur Ahmed Essyad il y a 2 ou 3 ans, et l'année dernière entre les compositeurs chinois "contemporains" et la musique traditionnelle chinoise.
CMTRA : L'école Américaine vous paraît-elle également intéressante, avec les travaux plus connus des répétitifs, comme Steve Reich ou Phil Glass ?
J.G. : C'est ma préoccupation actuelle, et l'on va faire plusieurs concerts autour de ces compositeurs en 1999. On va jouer des choses de ces gens là, peut-être les inviter, parmi d'autres. En 1999, l'un des thèmes sera de montrer d'autres démarches en musique contemporaine,des pratiques différentes de celle de la culture européenne savante. La musique américaine, avec les répétitifs ou les minimalistes, est typique de ce point de vue. Il y a tout un courant d'influences fortes plus ou moins bien assimilées.
On voit que cette préoccupation entre la tradition et la modernité, est au cur même de la création musicale pour un nombre important de compositeurs, et même pour ceux qui n'intègrent pas ce souci directement dans leur démarche. Le fait que ces musique existent ensemble est essentiel.
En tant que compositeur, même si je ne me sens pas concerné par la recherche de ces racines, quand je compose il m'est essentiel de savoir que je peux aller écouter des musiques traditionnelles improvisées, et que les musiques avancent communément : Il n'y a pas de hiérarchie à proprement parler.
Pour en revenir aux compositeurs hongrois, Ligeti est quelqu'un qui est passionné, et qui travaille beaucoup, à partir de processus rythmiques extrêmement complexes, très proches de certaines musiques africaines. Là aussi il y a croisement. C'est très encourageant de mettre en évidence ces convergences, parce que esthétiquement et presque idéologiquement, c'est porteur d'une ouverture.
CMTRA : Est ce que cela ne pose pas un problème vis à vis des musiques traditionnelles européennes ? On a l'impression que l'inspiration des compositeurs est moins évidente dès qu'il s'agit des musiques européennes : est-ce qu'il n'y a pas une forme d'exotisme, liée au lointain, à la distance culturelle ?
J.G. : Oui, il y a toujours cette recherche de l'exotisme, de la couleur inouïe, qui sert quelquefois à renouveler son propre matériau qui s'appauvrit. Je suis aussi très vigilant par rapport aux recettes et compilations faites de clichés et de facilités, qui masquent souvent un projet artistique peu développé. C'est le problème que soulève ce que l'on nomme la "World Music".
CMTRA : Musiques en Scène reste-t-il un Festival institutionnel lyonnais?
J.G. : Non, car Musiques en Scène se déroule aussi dans le grand Lyon, à Oullins, Décines, Vénissieux ou plus loin encore, comme le Théâtre de Vienne. Le festival s'étalera sur 20 jours, du 4 au 24 mars 98, avec une trentaine de programmes, pour une durée qui a doublé. Et pour la première fois Futura, un festival d'art acousmatique, s'associera à