"Il est pas frais mon dicton ?"

Entretien avec Jean Andreo, directeur artistique, et Dominique Borthelle, administrateur de production de Tracas d'Affaires Cie Jean Andreo : Il est pas frais mon dicton ?, notre prochaine création musicale, met en jeu un équipage de treize musiciens. Cette croisière urbaine traite avec humour des problèmes liés à la profession d'artiste dans une ambiance de port de pêche.

L'ingrédient principal de ce spectacle c'est le rythme sous des formes diverses. Nous travaillons beaucoup à partir de "tournes" (mise en boucle de cellules rythmiques inspirée du fonctionnement africain) qui progressent par traitements successifs, par exemple systèmes de mélodies partagées où chaque musicien est responsable d'une note. Ce fonctionnement peut servir aussi bien d'accompagnement que de thème ; vocalement, instrumentalement et corporellement (utilisation de parties du corps frappées à la main).

Actuellement nous utilisons beaucoup le PVC comme tuyau frappé qui résonne différemment selon sa longueur et peut être accordée de manière très précise. Une pratique similaire existe au Brésil avec des tuyaux frappés dans les rivières ; nous avons remplacé l'eau par des raquettes recouvertes de mousse et le résultat donne un son entre balafon et tom de batterie.

Chaque musicien possède un tuyau PVC (dont la longueur peut aller jusqu'à 2 m) et donc une seule note, l'équipage devient alors un instrument géant où chacun est une touche vivante d'un clavier. Restait à trouver une pulsation commune pour jouer ensemble, ce qui a pu être réglé par des chorégraphies qui nous permettent de visualiser le tempo. Cela a aussi l'avantage d'apporter une dimension visuelle à la musique. CMTRA : Quelle place donnez-vous au public dans votre démarche musicale ?

J.A. : L'expérience du spectacle de rue nous a permis de réfléchir sur ce point, puisqu'il faut accrocher un piéton et en faire un spectateur attentif. Nous avons voulu préserver en salle cette relation privilégiée avec le public. Celui-ci se retrouve plongé dans l'ambiance maritime dès qu'il prend son billet, et proche de l'équipage. CMTRA : Y-a-t-il une histoire ou un fil conducteur dans cette création ?

J.A. : Il n'y a pas à proprement parler d'histoire ; nous sommes partis d'un parallèle entre le musicien qui se débat avec les instances culturelles pour être plus largement entendu et le marin qui se bat avec les éléments naturels en pleine mer. Malgré le sérieux du sujet, ce spectacle reste à l'image de la compagnie : &laqno; rigolo qui rigolera le dernier. » CMTRA : Depuis 1991, date de création de votre compagnie, quel a été le cheminement de Tracas d'Affaires Cie ?

J.A. : L'univers musical du groupe est lié à son histoire. J'ai avant tout réuni des personnes avec qui j'avais envie de travailler aussi bien pour leurs qualités musicales qu'humaines. Nous nous sommes d'abord rassemblés autour de la pratique des percussions brésiliennes.

Le fonctionnement de cette musique - la batucada - est intéressant notamment par le jeu de questions-réponses entre le meneur et le groupe ce qui nous a permis de développer des réflexes auditifs, des codages visuels, et de mener de manière vivante et en temps réel le spectacle Braquage de rues, spectacle déambulatoire monté autour de polyrythmies traditionnelles mais aussi de percussions corporelles, de déplacements chorégraphiés,...

Cette base de travail nous a permis de créer un langage et des réflexes communs propres au groupe. Ils évoluent continuellement en intégrant les expériences de chacun, puisque les membres de la compagnie sont parallèlement des artistes professionnels sur des circuits ou des pratiques instrumentales très différents les uns des autres : musique traditionnelle européenne, orientale, africaine, jazz, classique, contemporaine... créant ainsi un mélange détonant marquant l'identité de la compagnie. CMTRA : Quels sont les projets à suivre de Tracas d'Affaires Cie ?

Dominique Borthelle : Des projets et des vux. Le mixage et le pressage du CD en autoproduction de notre création Il est pas frais mon dicton ?, la poursuite des séances studio pour deux autres CD en cours : Desao avec Pierre Drevet à la trompette et Xavier Sanchez aux percussions et au cajon traditionnel en invités et Tracas de Trafic également avec de nombreux invités de la région issus de la scène du Jazz, des musiques du Monde ou du classique.

À plus long terme, la présentation de Il est pas frais mon dicton ? au Off du Festival d'Avignon en 1999. Pour nos projets de formation : poursuivre le travail que nous menons ici avec l'Harmonie de Saint-Fons et les différentes actions à long terme sur la ville de Bron.

Et nos voeux ! Ceux pour la nouvelle année bien sûr, à toute l'équipe du CMTRA et au public qui suit déjà ou deviendra fidèle à notre travail. Mais aussi et surtout, sur un autre registre, le voeu que les nombreuses compagnies comme la nôtre ne se sentent pas, peu à peu, les "créateurs indigènes" de ce "bouillonnement culturel" nécessaire et prolixe. Faire que les "Baleines" culturelles ne deviennent pas, peu ou prou, les faire-valoir de rentes de situations... Et il est de bon thon de lever l'ancre, sinon le métier va morue !...