Musafiri
CMTRA : Vous êtes tous les trois des musiciens voyageurs... Quelle est votre histoire musicale à chacun ?
David Brossier : Je fais du violon. Mon parcours a commencé en musique classique mais j'ai rencontré les musiques traditionnelles très tôt, dans les Hautes-Alpes puis les musiques des Balkans avec le groupe Aksak. Ça m'a bien plu alors je suis allé à fond là-dedans. J'ai fait plusieurs voyages en Roumanie pour chercher du répertoire. Mon but n'était pas d'apprendre une technique de jeux parce qu'il n'y a pas vraiment de technique instituée, ni pour le doigté ni pour la manière de tenir le violon. Quand je vais là-bas, c'est vraiment pour apprendre des mélodies, des ornementations, du style avec ma technique, qui n'est pas non plus une technique classique conventionnelle. J'essaye de suivre les mêmes musiciens à chaque voyage, parce que pour partager un répertoire il faut du temps pour qu'un rapport de confiance s'établisse. Il faut y aller plusieurs fois et rester longtemps.
Elsa Ille : J'ai un peu touché à pas mal d'instruments au fur et à mesure de mon parcours, en apprenant plutôt d'oreille. J'ai eu un contact difficile avec les musiques écrites et du coup les musiques traditionnelles sont beaucoup plus proches de moi. J'ai fait pas mal de folk et de chanson française aussi, j'aime bien accompagner les chanteurs. À coté de ça, la musique des pays de l'Est m'a toujours plu. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai choisi l'accordéon chromatique plutôt que le diatonique : pour pouvoir profiter de toute la palette de notes et jouer dans tous les modes. Cet été, je suis partie faire un stage avec des Roms de Serbie, eux aussi ont ce jeu si particulier à l'accordéon, à la fois fourni et léger, très chantant. À travers la musique, les voyages, c'est intéressant d'essayer de comprendre ces musiques en découvrant les gens dans leur contexte, et de capter des éléments de leur culture en partageant une pratique musicale. Le fait que nous jouons beaucoup de musiques à danser notamment prend tout son sens quand on assiste à des fêtes là-bas, où les danses trad restent populaires même si les boîtes de nuit ont leur succès...
Léa Maquart : Moi c'est plutôt l'instrument qui m'a conduit à travers plusieurs répertoires. À la base je suis flûtiste traversière avec un parcours classique et j'ai rencontré les musiques traditionnelles en Auvergne. J'ai commencé à traîner un peu dans les bals trad et j'ai découvert qu'on pouvait jouer autrement qu'avec une partition sous le nez. Je me suis investie un peu là-dedans avant de m'ouvrir à d'autres styles musicaux et notamment la musique orientale. J'ai entendu le ney, qui est une flûte en roseau qui se joue en biais dans la musique arabe et dans la musique turque. Je suis partie trois mois l'an dernier à Istanbul pour apprendre. C'est la rencontre avec David qui m'a fait découvrir les musiques d'Europe Centrale. C'est une musique qui m'a intéressée mais ce n'était pas vraiment possible de la pratiquer avec le ney parce que c'est un instrument qui n'a pas les écarts adaptés. Donc je me suis mise au kaval qui est le pendant populaire du ney en Turquie et qui est également joué en Bulgarie et en Grèce. Je suis en train, petit à petit de faire le chemin vers les flûtes roumaines, qui sont de toutes petites flûtes à encoche.
Musafiri compte également deux autres musiciens. Il y a Léonore Grollemund, brillante violoncelliste qui vient des musiques classiques. Elle aussi a fait pas mal de musique d'Auvergne, elle joue avec Anne-Lise Foy, Patrick Bouffard et, par ce biais là, elle est arrivée aux musiques de l'Est. Elle est allée aussi plusieurs fois en Turquie et se met au kamanche qu'elle apprend en Turquie. Elle fait un gros travail d'ornementation : sous ses doigts, le violoncelle est un peu comme un gros violon ! Elle a ce double rôle, mélodiste et bassiste. Elle se base sur le jeu de David qui choisi un type d'ornementation, un style. On tend vraiment vers ça, être respectueux d'un style. Et puis il y a David Lefèbvre : il joue du cymbalum, du bouzouki et il chante en roumain. Il est surtout spécialiste de la musique Klezmer, il joue dans le groupe Glik. C'est vrai que ce sont des musiques assez voisines parce qu'il y avait beaucoup de juifs en Roumanie.
La Roumanie compte une grande variété de styles musicaux. Dans quelle lignée s'inscrit Musafiri, à partir de quelle démarche et quelle part de transformation vous accordez-vous ?
D.B. : Oui, en Roumanie, il y a une grande variété de styles. Deux musiciens de deux régions différentes n'auront peut-être aucun morceau en commun. Il y a des codes harmoniques et rythmiques très spécifiques. Il y a des répertoires liés aux fêtes, noces, baptêmes, toutes ces fêtes où il faut faire danser les gens. Après il y a tout un répertoire des doinas, des balades. Certaines sont des chansons, d'autres sont instrumentales. Selon les régions, ça peut être des morceaux que l'on joue en famille au coin du feu où dans certains mariages où les gens s'assoient et écoutent. Chaque morceau a donc une histoire et est intégré à un milieu social, et on ne peut pas vraiment en faire abstraction. Mine de rien, on les joue quand même hors contexte, on n'est ni dans un mariage roumain, ni au coin du feu, mais en salle de concert, en bal... Essayer de comprendre les répertoires, les modes, c'est déjà donner un contexte à ces musiques-là.
Musafiri travaille à partir des morceaux que je ramène, souvent de mes voyages en Roumanie, mais aussi à partir d'anciens enregistrements roumains. Le travail commence avec les mélodistes, qui peuvent être deux, trois, quatre ou cinq, car même le cymbalum peut être mélodiste. En tout cas on essaye de tous l'apprendre. À ce moment-là, c'est un travail de détail sur les ornementations, le style des mélodies, propre à chaque région. Puis on compose des grilles d'accords. Comme nous ne cherchons pas à reproduire un enregistrement, plusieurs options sont possibles. Le but est de trouver un état d'esprit qui
correspond à ce style de musique.
Vous interprétez également des morceaux des répertoires tsiganes de Roumanie. Ici, on fait souvent l'amalgame et on a tendance à identifier les musiques d'Europe de l'Est aux musiques tsiganes. La réalité musicale roumaine doit être bien différente ?
D.B. : Oui, là-bas il faut faire attention à ne pas confondre parce qu'on peut être très mal reçu... En Roumanie il y a 10% de Tsiganes, donc c'est une communauté qui est assez présente, mais tous les Tsiganes ne font pas de la musique, les trois quart n'en font pas du tout d'ailleurs. C'est une communauté qui est constituée de plusieurs groupes, il y a les ferronniers, les cristalliers, il y a les ursari, qui sont les montreurs d'ours qui maintenant sont devenus des musiciens et puis les lautari qui est le groupe des musiciens. Ceci dit, en Roumanie, la musique est aussi essentiellement faite par des Roumains non-tsiganes. En fait, la culture musicale tsigane, telle qu'on l'entend ici, c'est un phénomène assez nouveau, les chansons tsiganes qui sont populaires aujourd'hui, elles viennent de la mouvance de Goran Bregovic.
En Roumanie aujourd'hui, la grande révolution de la musique populaire, c'est le synthé. Il est devenu incontournable. Nous, la musique que l'on fait, ce n'est pas la musique que l'on trouve aujourd'hui en Roumanie mais plutôt celle que l'on trouvait il y a vingt ans, avant la Lambada et tout ça. La formation la plus répandue aujourd'hui, c'est synthé, accordéon et saxophone, des instruments introduits récemment. Mais bon, dans le renouvellement des musiques traditionnelles, le synthé joue le rôle du violon du 18ème siècle. Ce qui est intéressant c'est que même avec des formations très différentes, on retrouve tous les éléments musicaux de la formation antérieure.
Vous faite partie d'un collectif de groupes, la Fédezik...
L.M. : La Fédézik est née il y a presque un an. C'est une fédération de groupes lyonnais : Azalaï (rock-chanson du monde), le Bus Rouge (fanfare à anches), Kamenko (musiques klezmer/macédonniennes) et qui va intégrer bientôt La basse tonne (clarinettes basses et batterie). Il y a donc des styles musicaux très différents, mais l'idée est de se retrouver et de se serrer les coudes dans nos démarches en créant un catalogue commun, une plaquette de présentation et une démo avec deux morceaux de chaque groupe. Ces outils nous serviront à démarcher pour tous les groupes en même temps, c'est une multiplication du potentiel. À terme, on voudrait monter une structure administrative.
E.I. : Tous les membres, ce qui fait environ vingt-cinq personnes, se retrouvent dans les différentes formations de la Fédezik. C'est avant tout une entente humaine, l'envie de faire quelque chose ensemble. Une particularité de la Fédezik c'est d'être essentiellement composée de formations qui explorent des styles plutôt acoustiques. Notre fonctionnement est particulier aussi puisqu'il est horizontal et égalitaire. Un premier événement va avoir lieu du 11 au 15 avril à la Scène sur Saône Gerland pour entériner l'existence du collectif et présenter les groupes. Chaque soir il y aura un spectacle et l'un des groupes et le dernier soir, un concert collectif.
Propos recueillis par Y.E.
Retrouvez Musafiri dans la [lettre n°60->article148]
Musafiri
David Brossier (violon),
Elsa Ille (accordéon chromatique),
Léa Maquart (kaval),
Léonore Grollemund (violoncelle),
David Lefèbvre (cymbalum, bouzouki et chant).
Contact
Musafiri - 86 rue Béchevelin 69007 Lyon
04 72 71 95 89 - [musafiri@laposte.net->musafiri@laposte.net]
Concerts :
-2 juin 2005 au 6e continent 51, rue Saint-Michel 69007 Lyon
-3 juin au bal de fin d'année de l'association La ronde folklorique...
-4 juin au bar De l'autre coté du pont 15, cours Gambetta 69003 Lyon