Antiquarks
Duo de particules
CMTRA : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Sébastien Tron : En 1995...10 ans déjà, Richard donnait des cours de percussions à l'AREP auxquels j'ai participé. Lorsque je suis arrivé à Lyon en 1998, il m'a proposé d'accompagner les cours de danse africaine de M'Bemba Camara, artiste guinéen, puis de participer au travail de création des Tools Percussions, où il s'agissait d'amener les percussions « traditionnelles » vers des échanges avec des instruments mélodiques comme la clarinette basse ou la vielle à roue entre autres. Puis en février 99, on crée le trio Marge de Manœuvre avec Julien Lachal au saxo. Richard tient la batterie, la voix et moi les claviers.
Richard Monségu : Seb jouait déjà du piano et de la vielle. On s'est rapidement entendu sur une conception de la musique, puis on a commencé à collaborer et contribuer à différents projets autour de la danse.
Vos influences musicales sont multiples, comment peut-on définir la musique d'Antiquarks ?
S.T: Il a fallu trouver une « étiquette ». Pour nous Antiquarks, c'est du world progressif. On aurait aussi pu dire de la musique populaire progressive. Mais on ne décide pas tout ça. Quand on joue, on ne cherche pas à travailler une « étiquette » en particulier, c'est plutôt ce qu'on a digéré qui en ressort. On a envie de toucher toutes formes de sentiments, l'imagination, le rapport à l'image, l'énergie du corps, l'émotion.
R.M: Ce qui nous intéresse dans les musiques dites ethniques, c'est le « swing », le « groove », la façon dont le corps interprète le son. C'est le côté world que l'on regarde, et aussi la façon dont ces musiques ont évolué électriquement à partir des années 50 dans les grandes villes du monde où l'exode rural force les nouvelles rencontres. Le côté progressif, c'est l'occident, et toute l'histoire du rock avec des groupes comme Led Zep, Pink Floyd... Sans oublier tout le mouvement noir avec le blues, le jazz et le funk. Antiquarks, c'est du world vu d'ici, puisque nous essayons de digérer les musiques immigrées. Par exemple aux Etats-Unis dans le milieu jazz des années 60, les artistes noirs et blancs, en échangeant leurs visions sociales de la musique, ont créé une musique savante à partir de l'oralité. C'est pour ça qu'on s'en prend plein la gueule avec ce jazz. Il est tellement chargé ! Cette ouverture existe dans la culture française, notamment chez certains intellectuels. Des types comme Bourdieu ont passé leur vie à chercher les moyens de libérer les énergies créatrices. Même si tout ça semble théorique, c'est un peu le discours qui se dégage de ce qu'on fait.
S.T. : On a envie de s'adresser à tous les publics. On parle aujourd'hui de métissages dans la musique, mais on oublie que le public lui-même est métissé.
R.M. : C'est une contribution au métissage, à notre façon, éclairée par les connaissances sur le terrain des musiques traditionnelles et populaires, par les écoutes, les lectures, les recherches. On préfère rassembler plutôt que d'opposer. Ça fait un moment qu'on nous baratine avec la musique métissée heureuse où tout est beau et gentil : aujourd'hui, tous les styles de musiques ont leur Star'Ac !! Non, l'exil et le métissage, c'est aussi la souffrance d'une vision dominée. C'est pour ça que nous travaillons sur le caractère savant de ces métissages, pour créer tout ce que nous ne connaissons pas encore et qu'il reste à imaginer. On se déplace sur les frontières.
S.T. : L'univers dans lequel on évolue est électroacoustique. Notre but n'est pas de faire de la musique traditionnelle, mais plutôt d'utiliser ces instruments en tant que sons, tenter d'en extraire toute leur musicalité.
R.M. : Nous considérons, à tort ou à raison, que notre musique peut se jouer partout, pour tous, toutes
« étiquettes » confondues, c'est naturel dans ce qu'on conçoit.
Le chant a aussi une place importante, comment utilisez-vous vos voix ?
S.T. : Le chant est présent dans les musiques traditionnelles et populaires, il permet une identification de l'oreille et une meilleure lisibilité de ce qui se passe dans la musique, il aide à
rassembler et à communiquer, c'est une interaction directe avec le public. Avec Antiquarks, on utilise nos voix en tant qu'instruments et on développe un travail sur les intonations, les accents, les couleurs, avec une bonne part d'improvisation. A partir d'onomatopées, on essaie de trouver la musicalité qui s'en dégage et la langue qui peut s'en rapprocher. Ma voix a plutôt un rôle instrumental ou d'accompagnement. Richard tient plus la place de chanteur sur un format se rapprochant du couplet-refrain.
R.M.: Lorsque Sébastien joue une mélodie à la vielle, je place des voyelles qui tentent au mieux de se rapprocher de son jeu, naturellement. J'utilise plus une imitation avec ma voix, même si ça peut faire penser à une langue. Lorsqu'un chanteur touche un auditeur qui ne comprend pas les paroles - un indien Nambikwara qui écoute Brel par exemple -, c'est que le sens de ce qu'il chante se retrouve dans son intonation. C'est amusant de chanter du sens sans rien dire !
Sébastien, la vielle à roue est bien souvent méconnue ou mal estimée du grand public bien qu'elle fasse partie de notre patrimoine et de notre histoire. Elle est aussi en perpétuelle évolution et ses ouvertures sont nombreuses, comment l'abordes-tu ?
S.T. : Je vais commencer en parlant des retours que me donne le public. À la fin des concerts, certains viennent voir l'instrument de plus près pour comprendre d'où viennent les sons qu'ils ont entendus. Qui dit vielle à roue dit son continu. Embêtant... Même si l'instrument a des contraintes, ses possibilités sont innombrables. Je me sers des éléments séparés que sont la mélodie, les bourdons, le rythme et les cordes sympathiques comme quatre instruments à part entière. J'utilise un instrument fait par Denis Siorat, et tout ça serait difficilement concevable si la vielle n'était pas électroacoustique. Je l'aborde avec ma pratique de pianiste et de percussionniste, sous un angle polyphonique et polyrythmique et je tiens autant le rôle d'accompagnateur que de soliste, on interagit avec Richard dans ce sens là. Si je pouvais faire oublier que je joue de la vielle pour qu'on en retienne essentiellement la musicalité qui en sort, ce serait génial.
Quelles sont les percussions utilisées ?
R.M : La batterie bien sûr, jouée avec la vision du percussionniste, des cymbales, des objets métalliques, mais aussi des percussions populaires « neutres » telles que le tambour basse qu'on retrouve depuis l'Antiquité sur tout le pourtour méditerranéen, ou encore le tama - tambour à aisselle - d'Afrique de l'Ouest. Ils sont utilisés de façons différentes dans chaque région. Les sons de ces instruments m'intéressent car ils ont traversé le temps sans qu'on les remarque. Je peux les réapproprier à ma manière. Leur sens n'a pas été saisi par un milieu savant qui codifie, comme dans le cas des tablas, du zarb.
Quelles sont les méthodes de travail, comment composez-vous ?
S.T. : Alors déjà, un bon rendez-vous à 10h pour le p'tit dèj', ne pas oublier d'aller manger à midi au Clos Suiphon, et après on verra... Non, plus sérieusement, notre méthode, c'est surtout de jouer, on se voit selon nos disponibilités, on s'assoie et on joue. Parfois sans se parler. Il se passe des choses, on improvise, on enregistre, on réécoute, on construit et on laisse le temps aux morceaux d'arriver à maturation. On essaie aussi de développer le travail du chant. On parle beaucoup en termes d'images, de sensations, on se raconte des histoires, ça peut faire référence à des choses historiques comme à des choses qui relèvent de la pure imagination.
R.M : Il y a aussi un boulot sur le peu de paroles, sur les mots plus que les phrases, comme si on essayait de tirer d'un texte l'essentiel. Disons que notre approche est intuitive, et la part d'improvisation dans nos répétitions fait partie des opérations qui mènent à un résultat de composition de groupe. Il est difficile de savoir qui compose les morceaux. Il y a une interaction énorme, inépuisable, qui nous permet de nous renouveler, et chacun encourage l'évolution individuelle de l'autre pour pouvoir faire sonner son instrument... Le rapport que nous avons à la musique est aussi un rapport « scientifique » dans son sens général. Notre formation universitaire, Sébastien en Sciences Physiques et moi en Sciences Humaines, nous a familiarisé avec la théorie et les méthodes, la réflexivité et la création. Tout ça nous donne envie de faire exister un lien entre l'art et la science...
S.T. : On joue aussi avec d'autres personnes, on se confronte à d'autres visions dans des milieux qui ne se fréquentent pas forcément les uns les autres... C'est aussi en ça que notre musique est populaire.
Quels sont les projets ?
R.M. : Que ça le fasse grave, qu'on envoie du bois et des copeaux, et qu'on soit à la fois des bûcherons et des poètes ! [sourires]
S.T. : Plus concrètement [rires...] on enregistre un album au mois d'avril avec au son Pascal Cacouault et Raphaël Guenot.
R.M. : On a rencontré Raphaël le soir où on jouait en trio de percussions pour une soirée de soutien au Bistroy au Ninkasi Kao. Il s'occupait des retours. Depuis, il nous aide et nous soutient. Il fait ses armes en même temps que nous, même si ça fait plus longtemps qu'on est sur le terrain. Toutes ces énergies, qu'elle que soit la « génération », je pense qu'il est nécessaire d'apprendre à les cumuler et les voir ensemble plutôt que de constater passivement les différences (...)
Propos recueillis par S.Q.
Sébastien Tron
vielle à roue électroacoustique, voix
Retrouvez Sébastien Tron dans la [lettre n°41->article612]
Richard Monségu
chant, batterie, percussions
Retrouvez Richard Monségu dans la [lettre n°27->article1071]
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